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Quelle est la raison qui, dans le discours de M. Barrot, a agi le plus profondément sur les esprits? C'est que vous léguerez à l'avenir une très-grande difficulté, c'est-à-dire une loi toute faite qui, si un jour elle venait à désigner un régent dont la présence ne serait pas souhaitable aux affaires, obligerait le parlement d'alors à livrer à une personne déjà investie d'un titre légal, à lui livrer un combat pour cause d'indignité. Voilà certainement l'argument qui, dans le discours de l'honorable M. Barrot, a touché le plus les esprits.

Pour moi, je crois que ces cas d'indignité sont très-rares. Qu'appelez-vous indignité? Avec vos institutions, est-ce le plus ou moins d'esprit chez un roi? Appelez-vous indignité le plus ou moins de capacité, le plus ou moins d'adhésion à vos idées? Non.

Qu'appelez-vous une véritable indignité? Ce sont ces infirmités morales qui font qu'on est disposé à exclure même le roi.

Ainsi, en Angleterre, le roi Georges III, roi très-respecté, trèsvertueux, animé des meilleurs sentiments, a été atteint trois ou quatre fois d'accès d'aliénation; ç'a été pour le parlement anglais une grave situation. On en est sorti noblement, et vous en jugeriez ainsi vous-mêmes, si je pouvais à cette tribune vous rappeler les scènes mémorables, glorieuses, qui se sont passées dans le parlement d'Angleterre, le respect avec lequel tous les partis se sont arrêtés devant cette situation, la manière dont M. Sheridan et M. Fox se présentaient devant M. Pitt, et lui adressaient ces nobles paroles, pendant que le roi était entouré de médecins et qu'on savait qu'il ne pouvait plus donner d'ordres : « Nous sommes sûrs que vous ne voudriez pas exercer un seul instant pour votre compte l'autorité royale, et que, lorsque définitivement vous ne pourrez plus recevoir d'ordre de Sa Majesté, vous viendrez le déclarer au parlement. >>

Voilà comment, dans un noble pays où l'on entend les véritables principes du gouvernement représentatif, on résout ces situations. difficiles.

Eh bien! voulez-vous, ou non, avec moi, remplacer la perte de force que la France a faite? le voulez-vous? Oui, sans doute, je

n'en doute pas; que faut-il pour cela? faut-il discuter sur des difficultés de second ordre? Non, messieurs, il faut montrer une adhésion unanime. (Très-bien !)

M. le ministre des affaires étrangères l'a dit, il n'y a aucune loi qui remplacera un prince plein de talent, plein de patriotisme, plein du véritable esprit de nos institutions; mais enfin, si quelque chose peut compenser la perte de force que nous avons faite, c'est notre adhésion unanime. Pourquoi a-t on dit de tous les côtés que l'impression produite par la mort de monseigneur le duc d'Orléans était un dédommagement, s'il pouvait y en avoir pour une telle perte? c'est que cette union du pays, après la perte que nous venions de faire, prouvait aux partis qu'ils avaient tort d'espérer; que, contents ou mécontents de la monarchie, contents ou mécontents de ce gouvernement, quand il s'agissait de son intérêt, nous étions tous prêts à adhérer; c'est là sa force, c'est là ce qui a prouvé à tout le monde que les espérances des partis étaient au moins aventureuses, si elles n'étaient pas complétement vaines (Très-bien!), et que, quoi qu'il pût arriver, les opposants comme les ministériels seraient unanimes pour donner force à la monarchie. (Très-bien! très-bien !)

Eh bien, messieurs, le pays a adhéré. Je ne viens pas faire ici de beaux sentiments, le pays a adhéré.

Cependant, je ne suis pas aussi fier que M. le ministre des affaires étrangères, qui disait : « Je n'ai besoin de personne. » Moi, je déclare ici que, dans l'intérêt de la loi, que je ne suis pas chargé de défendre (je ne remplis qu'un devoir de citoyen), j'ai besoin de tout le monde. Il n'y a pas une voix que je ne voulusse conquérir pour ce grand intérêt. M. Odilon Barrot s'est récrié; il vous a dit que l'opposition pense, non à ses intérêts, mais à ses convictions. C'est ainsi que je l'entends. Mais, enfin, elle a ses convictions qui, sur quelques points, se rapprochent des miennes, et sur beaucoup d'autres en diffèrent.

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Permettez donc à l'homme qui marche avec vous de n'être pas

quelquefois de votre avis. (Nouvelle approbation au centre. Rumeurs à gauche.)

Je crois (je n'impose ma conviction à personne, je n'ai pas ce pouvoir), je crois que dans un moment où il faut de l'adhésion, la séparation de la chambre, non pas en deux parties égales, mais en deux parties quelconques sur une question de la loi, quand ce n'est pas une question fondamentale, quand vous avez accepté le plus important, en fixant la majorité du roi à dix-huit ans, et en préfé- ' rant la régence des hommes à celle des femmes, quand vous avez fait les concessions les plus graves de toutes se diviser pour un avenir qu'on n'enchaîne pas, se diviser pour un intérêt pareil, en présence de la situation actuelle, je dis que cela n'est pas sérieux, que cela n'est pas digne de vos loyales intentions.

L'opposition bien conduite, savez-vous ce qu'elle doit faire? Au lieu de faire ce qu'ont fait toutes les oppositions depuis cinquante ans, au lieu de se détacher vite et vite des gouvernements qui ne réalisaient pas leurs espérances, pour courir à de nouveaux gouvernements qui ne les réalisaient pas davantage, savez-vous ce que doit faire une opposition sage? Au lieu de se décourager, de se retirer, elle doit s'appliquer davantage à corriger le gouvernement existant; s'il se trompe, tâcher de le relever: quand elle n'a pas pu se former une majorité, elle doit s'y mieux appliquer une autre fois. On améliore, on redresse, et l'on ne déserte pas un gouvernement; et le seul moyen de l'améliorer, c'est de prouver qu'on le veut, qu'on le veut avec énergie; c'est de lui prouver que les conseils qu'on lui adresse sont des conseils, non pas d'amis douteux, mais d'amis certains. Quant à moi, je crois que la tendance de l'opposition est de conserver autant que d'améliorer, et d'améliorer autant que de conserver. Ce qui me confirme davantage dans cette opinion, c'est que si je n'ai pas cessé de vouloir notre gouvernement autant qu'il y a douze ans, malgré quelques divergences d'opinions, quelques mécontentements personnels, c'est que je n'ai pas cessé, entendez-vous, de repousser les autres gouvernements qui pouvaient s'élever à sa place; c'est que, pour moi, derrière le gouvernement de juillet il y a la contre-révolution je l'appelle par son nom; et

:

que, devant, il y a l'abîme de l'anarchie. Cette conviction, je l'avais en 1830, je l'ai encore aujourd'hui. (Marques d'approbation.)

Je vois derrière nous la contre-révolution; en avant je vois un abîme; je reste sur le terrain où la charte nous a placés. Je conjure mes amis de venir faire sur ce terrain un travail d'hommes qui savent édifier, et non pas un travail d'hommes qui ne savent que démolir.

Voilà ce que la plus pure, la plus sincère conviction m'a dicté. Les paroles que je viens de dire m'ont coûté; elles m'ont coûté beaucoup, elles me coûteront encore en descendant de cette tribune.

Mais je me suis promis à toutes les époques de ma vie, et j'espère que je tiendrai parole, de ne jamais humilier ma raison devant aucun pouvoir quel qu'il fût, quelle que fût sa nature, quelle que fût son origine, et de marcher toujours le front haut, comme doit faire un homme qui a eu le courage jusqu'au bout de dire à tout le monde sa pensée, quelque désagréable qu'elle pût être.

DISCOURS SUR L'INSTRUCTION SECONDAIRE.

Nous ne pouvons ici donner place au rapport tout entier de M. Thiers sur cette importante question; mais nous donnons en extrait les points principaux qu'il y traite, ceux surtout qui ont une corrélation nécessaire avec la politique qui doit être appliquée en ces inatières.

Une question préoccupait particulièrement les esprits cette question, la voici :

A quelle surveillance, à quelle juridiction faut-il soumettre les établissements particuliers d'instruction publique?

Il n'y a personne, dit M. Thiers, parmi les adversaires les plus prononcés du système d'éducation existant en France, qui ose soutenir qu'en laissant naître les établissements libres, on ne doive les surveiller, les réprimer, s'ils viennent à faillir. Quand, par exemple, on a la censure en matière de presse, on n'a pas besoin de tribunaux. Mais quand on accorde la liberté, quand on permet de tout dire, de tout écrire, on fait naître à l'instant même la nécessité de surveiller, de punir ceux qui disent ou écrivent ce qu'ils ne devraient ni dire ni écrire. Il est élémentaire qu'en sortant du système préventif, on entre sur-le-champ dans un système répressif.

Ainsi des établissements d'instruction publique, créés à volonté, pourraient donner une instruction négligée; mais ce qui est pire, souffrir des mœurs relâchées chez leurs élèves, ou leur inspirer un esprit contraire aux institutions. Il serait intolérable que cela pût être sans que cela fût réprimé à l'instant même. Énoncer de telles vérités, c'est les avoir démontrées.

Mais qui inspectera les nouveaux établissements, qui les surveillera, qui les jugera quand ils auront failli? Là seulement réside la vraie difficulté. Quant à nous, messieurs, la réponse n'a pas été douteuse. Ce sera un corps spécial, voué à ce genre de fonctions, familiarisé avec l'éducation publique, ses difficultés, ses méthodes, habitué à juger les vices ou les qualités des établissements consacrés à la jeunesse. Or, il y a dans l'État un corps de ce genre: c'est le corps enseignant, c'est l'université; c'est à elle qu'il faut donner le soin de surveiller, de juger les établissements d'instruction publique, d'apprécier leurs défauts et leurs mérites.

Ici, messieurs, s'élève une sorte de clameur, non pas de la part des établissements libres, appartenant à des laïques, mais, il faut le dire, de la part du clergé.

Être surveillé, jugé par l'université, disent les défenseurs qui ont pris en main la cause du clergé, est une tyrannie intolérable. Ils ne se bornent pas à cela : ils se plaignent de ce que les grades, qui sont la condition de la liberté d'enseignement, soient conférés aux ecclésiastiques par l'université. C'est, disent-ils, les faire dépendre de rivaux pour entrer dans la carrière, pour y être maintenus ou en ètre exclus.

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