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Si ce sont là des vérités, elles existent d'elles-mêmes; on ne saurait les créer ni les octroyer. On peut se rendre à la vérité après l'avoir longtemps niée; mais, parce qu'on la reconnaît, on ne la met pas au monde. Octroyer à la France sa faculté d'être libre, c'est comme si l'on octroyait à la terre sa forme sphérique, aujourd'hui que le progrès des connaissances ne permettrait plus qu'on fit faire amende honorable à Galilée. Et ceci du moins ne serait qu'une absurdité peu dangereuse; le système du monde n'en serait pas ébranlé. Mais l'équilibre constitutionnel peut être détruit par cette autre absurde prévention, qui, en accordant aujourd'hui la nécessité de la liberté, pourrait demain vouloir la nier et recommencer une révolution; c'est là le danger du préambule de la Charte.

Maintenant avez-vous encore à nous dire que nous sommes des ingrats; que nous repoussons un bienfait parce que ce bienfait vient de la royauté, qui, elle-même, vient de Dieu; que la Charte perd toutes ses propriétés conservatrices du moment qu'on ne la considère plus comme un gage de l'amour du dernier roi pour la France? Laissez le mysticisme à ceux qui se chargent de nous expliquer le ciel; mais pour ce qui se passe entre nous, petits hommes à cinq ou six pieds de la surface de la terre, laissez les faits se produire et s'expliquer eux-mêmes. Ne mentez point contre vos propres intelligences pour faire votre cour. Vous savez bien que ce n'est point un pur élan de paternité monarchique, mais les mécomptes et les fatigues de toutes les inimitiés qui ont fait la Charte : qu'en un mot elle est l'œuvre de la guerre, et non de la paix. Si la royauté, l'aristocratie, le peuple, étaient amis de leur nature, il ne serait pas nécessaire qu'une Charte vînt dire ce qui se peut et ne se peut pas, pour chacune des parties mentionnées au contrat. Après la Charte, il n'y a donc plus à se battre si chacun est sage. Avant la Charte, il fallait décidément voir qui était le maître; et la guerre la plus acharnée que le monde ait jamais vue a prouvé que l'autorité absolue ne pouvait appartenir à personne, ni à une royauté de droit divin, ni à une oligarchie toute-puissante, ni à un peuple souverain; qu'il fallait absolument qu'on s'entendit, et que ce beau pays, si magnifiquement assis entre les plus belles mers du globe, fût possédé et illustré en commun par trois intérêts qui ne pouvaient s'exclure l'un

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l'autre. Voilà la Charte telle que la font les choses, et cartes elle promettait, ainsi entendue, un assez bel avenir au pays; mais cet avenir, vous ne le voulez pas.

Que si, croyant nous pousser à bout, vous nous demand-z où réside enfin, suivant nous, la souveraineté, nous vous répondons que ce mot n'a plus de sens; que l'idée qu'il exprimait a disparu par la révolution comme tant d'autres choses; que nous ne voyons nulle utilité à la vouloir ressusciter; que le peuple n'a plus besoin d'être souverain et se moque d'être ou non la source des pouvoirs politiques, pourvu qu'il soit représenté, qu'il vote l'impôt, qu'il ait la liberté individuelle, la presse, etc.; enfin le pouvoir d'arrêter une administration dangereuse en lui refusant les subsides, c'est-à-dire l'existence même. La source de tous les pouvoirs est dans la bourse des contribuables; ce n'est pas là du moins une abstraction pour laquelle on puisse s'égorger; c'est l'invincible bon sens du bonhomme Jacques. Mais, si vous renoncez à la souveraineté pour le peuple, direz-vous, nous n'y renonçons pas, nous, pour la royauté. Son droit n'est pas de ce monde. Tant pis pour vous si vous pensez ainsi, si l'initiative royale, si le droit de convoquer et de dissoudre les Chambres, si le droit de faire la paix et la guerre, si le commandement suprême de l'armée, ne vous paraissent pas un équivalent meilleur que le droit même, qui finit tragiquement dans la personne de Charles Ier et de Louis XVI. Mais vous y viendrez comme nous; ou plutôt les choses marcheront en dépit de tout ce que vous pourrez regretter ou réclamer.

Si on lit avec attention ce remarquable article, il est impossible de n'y pas voir un pronostic extraordinaire des faits qui le suivirent cinq mois après, et de ne pas reconnaître aussi que M. Thiers, ajoutons même les rédacteurs du National en 1850, professaient en toute sincérité les principes d'une monarchie représentative, et repoussaient toute pensée d'organisation républicaine. (Voir notamment page LXVI.)

OPINIONS DE LA PRESSE

SUR

l'Histoire du Consulat et de l'Empire.

Le 12 mars 1845, la presse tout entière de Paris annonçait un grand événement on se pressait aux portes de la maison du libraire Paulin, qui a, depuis vingt ans, associé son nom à de grandes publications, et aussi à de grands actes; qui avait pris, sous la Restauration, sa part de complot, en faveur des libertés conquises en juillet 1830; qui était l'ami de l'infortuné Sautelet, homme supérieur, dont la vie a été fatalement tranchée au début de sa carrière, qui eût été noble et brillante; l'ami d'Armand Carrel, qu'il suffit de nommer pour éveiller les sentiments d'une profonde sympathie pour un homme qui avait recueilli, dans la presse, les derniers vestiges de la chevalerie française; Paulin, enfin, un des éditeurs du National de 1850 et de la Revue française, ces deux organes de la liberté, dont ils ont toujours conservé les nuances, et qui se sont personnifiés pour toujours dans le caractère de deux hommes d'État MM. Thiers et Guizot!

Que se passait-il donc ce 12 mars 1845? un évé- . nement, la pensée du jour : c'était la publication du premier volume de l'HISTOIRE DU CONSULAT ET DE L'EMPIRE, DE M. THIERS!!!

Tous les organes de la presse annonçaient la mise en vente du livre. Les murs de Paris étaient couverts

d'affiches; et peut-être au même jour, à la même heure, dans toutes les villes de l'Europe, et sur le continent du Nouveau-Monde, le premier volume de l'ouvrage de M. Thiers, traduit dans toutes les langues, était imprimé, vendu, disputé par toutes les mains... tant est puissante cette influence souveraine de la pensée, qui, plus que la force des armes, pénètre partout, domine tout, et fait qu'un écrivain n'est plus un homme, mais ressemble à ces météores lumineux qui répandent, en un instant, une clarté soudaine sur le monde, qu'ils traversent d'un pòle à l'autre.

Nous avons du placer sous les yeux de nos lecteurs les opinions de la presse sur l'ouvrage de M. Thiers.

On n'attend pas, sans doute, que nous poussions l'exactitude jusqu'à réunir tous les articles qui ont été écrits sur l'Histoire du Consulat et de l'Empire. Nous avons dù ne rien omettre de ce qui sortait d'une plume exercée ou de la pensée d'un homme d'élite.

Pendant que le libraire débitait, que les affiches et les annonces saisissaient les esprits de l'apparition de cet ouvrage, depuis si longtemps attendu, deux journaux privilégiés, le Journal des Débats et le Constitutionnel, avaient obtenu de l'éditeur communication de deux extraits du livre. Voici comment le Journal des Débats préludait (12 mars 1845):

Les deux premiers volumes de l'Histoire du Consulat et de l'Empire contiennent neuf livres dont voici les titres : Constitution de l'an VIII, - Administration intérieure,

Ulm et Génes,

Ma

rengo,

Heliopolis, Armistice, Hohenlinden, Machine infernale, Les Neutres. Nous en publions aujourd'hui deux extraits dont nous devons la communication à l'obligeance de l'éditeur. Ce grand ouvrage aura une portée à la fois politique et littéraire; nous aurons à l'apprécier sous ces deux aspects; nous le ferons avec liberté comme avec impartialité. Il est probable que dans l'historien de l'Empire nous retrouverons plus d'une fois les idées et les tendances que nous avons eues, que nous aurons peut-être encore à condamner et à combattre dans l'historien de la Révolution française, dans l'homme d'État et dans le ministre ; mais les graves dissentiments qui nous séparent de M. Thiers ne nous empêcheront point de rendre justice à une œuvre aussi considérable, qui a pour sujet les plus grands événements des temps modernes, et pour auteur un des hommes qui ont pris, depuis quinze ans, la plus grande part aux affaires publiques de notre pays. Les deux extraits que nous reproduisons aujourd'hui sont la relation de la bataille de Marengo et celle de l'assassinat de l'empereur Paul Ier. Nous avons choisi le premier surtout, parce que le sujet est de ceux vers lesquels semblent se diriger le plus habituellement les prédiJections de l'auteur, et où brillent avec plus d'éclat les qualités qui ont assuré au récit des campagnes d'Italie une si juste célébrité.

Quelques jours après, M. Saint-Mare Girardin, membre de la Chambre des députés, l'un des critiques les plus éminents de notre pays, professeur éloquent de l'Université, s'empressait de témoigner de l'impression profonde qu'on recevait de tous côtés de l'Histoire du Consulat et de l'Empire. Voici les deux articles textuels insérés dans le Journal des Débats;

JOURNAL DES DÉBATS (12 MARS 1845.)

Je viens de lire les deux premiers volumes de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, et je veux essayer d'expliquer rapidement les sentiments que m'a inspirés cette lecture.

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