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«ciliation que Sa Sainteté s'est proposées, je prie Dieu de béair ses <«< pieuses intentions et de lui épargner les contradictions qui pour<< raient affliger son cœur paternel. » L'évêque d'Acqs écrivait au saint-père : « Je n'ai pas balancé un moment à m'immoler dès que « j'ai appris que ce douloureux sacrifice était nécessaire à la paix « de la patrie et au triomphe de la religion... Qu'elle sorte glo«rieuse de ses ruines! qu'elle s'élève, je ne dirai pas seulement << sur les débris de tous mes intérêts les plus chers, de tous mes << avantages temporels, mais sur mes cendres mêmes, si je pouvais «<lui servir de victime expiatoire !... Que mes concitoyens revien<<nent à la concorde, à la foi et aux saintes mœurs! Jamais je ne for<< merai d'autres vœux pendant ma vie, et ma mort sera trop heu<< reuse si je les vois accomplis. » « Confessons le, s'écrie justement M. Thiers, après avoir transcrit ces généreuses paroles, confessons-le, c'est une belle institution que celle qui inspire ou commande de tels sacrifices et un tel langage. Les plus grands noms de l'ancien clergé et de l'ancienne France, les Rohan, les Latour du Pin, les Castellane, les Polignac, les Clermont-Tonnerre, les Latour d'Auvergne se faisaient remarquer sur la liste des démissionnaires. Il y avait un entraînement général qui rappelait les généreux sacrifices de l'ancienne noblesse française dans la nuit du 4 août. C'était le même empressement à faciliter par un grand acte d'abnégation l'exécution de ce Concordat que M. de Cacault (ministre de France à Rome) avait appelé l'œuvre d'un héros et d'un saint. »

Nous avons vu quelques-unes des difficultés du Concordat du côté de l'Église; voyons les difficultés de ce grand acte de réconciliation du côté du pouvoir civil. La lutte que Napoléon eut à soutenir de ce côté ne fut pas moins vive que du côté de l'Église, et nulle part les grandes qualités de son esprit n'éclatent plus visiblement et ne sont mieux mises en relief par M. Thiers que dans le récit des controverses que Napoléon eut à soutenir avec tous ses conseillers, avec tous ses généraux, avec le tribunat, avec le sénat, avec le corps législatif, avec tout le monde enfin, pour faire accepter le Concordat, c'est-à-dire le rétablissement public et officiel du culte catholique. Il a fait le Code civil avec l'aide des hommes et des idées de la révolution française; il a fait le Con

cordat contre tout le monde et de toutes les œuvres de son pouvoir, le Concordat est l'œuvre qui lui appartient le plus. A cette œuvre, j'en ajoute une autre moins grande, mais qui est aussi son œuvre personnelle, l'Université.

Ne nous étonnons pas des obstacles que Napoléon rencontra pour faire accepter le Concordat en France. Toutes les restaurations sociales entreprises jusqu'alors par Napoléon étaient des victoires. dont les vaincus étaient ou odieux ou discrédités : ainsi la restauration de l'ordre et de la sécurité contre les anarchistes, de la probité dans les finances contre les agioteurs, de l'administration contre les clubs, du pouvoir monarchique lui-même contre les assemblées. Dans le Concordat, il n'en était pas de même. La révolution ne reculait plus seulement au delà de 93 et de 92, au delà même de 89, elle reculait au delà de Voltaire. Les vaincus n'étaient plus les fournisseurs du directoire, les jacobins du comité de salut public, les girondins, les constituants : c'étaient les philosophes, c'est-à-dire presque tout le monde; car presque tout le monde avait pris part à la lutte de la philosophie contre l'Église. L'entreprise de Napoléon était donc singulièrement audacieuse; elle devançait la pensée publique, et cependant elle était juste : car la phi losophie avait été au delà de ses droits, au delà des vrais besoins de l'intelligence et de la conscience humaines. Elle devait donc reculer; mais pour la faire reculer, il ne fallait rien moins que Napoléon.

Il faut lire dans M. Thiers la polémique que Napoléon, dans ses inépuisables conversations, faisait tour à tour contre les savants de l'Institut, contre les jurisconsultes du conseil d'État, contre les généraux de son état-major, seul contre tous, mais plus fort que tous parce qu'il avait raison, parce qu'il s'appelait Bonaparte, et qu'il avait autant d'esprit que Voltaire et plus de gloire que Frédéric. Toutes les théories qui peu ent se faire sur les rapports de l'Église et de l'État, tous les systèmes qui peuvent s'inventer, l'indifférence philosophique du gouvernement entre tous les cultes, l'érection du chef de l'État en chef de l'Église, la conversion de la France au protestantisme, toutes les chimères enfin se trouvent réfutées par Napoléon, dans ces belles et curieuses conversations, avec une verve de bon sens, avec une supériorité de jugement vraiment admira

bles. Peu à peu ainsi il persuadait et réduisait au silence les raisonneurs. Le cardinal Caprara disait au saint-père : « N'irritons pas cet homme; lui seul nous soutient dans ce pays où tout le monde est contre nous. » Et il avait bien raison. Napoléon était dans le gouvernement le seul homme qui voulût sincèrement le rétablissement du culte catholique en France: aussi supportait-il impatiemment, non pas les obstacles qui lui venaient du côté de la France et de la philosophie, mais ceux qui lui venaient du côté de Rome et de l'Église; car de ce côté il avait droit de trouver des alliés plutô que des adversaires. Un jour, impatienté de quelques réclamations du légat, il le fit taire par cette parole à la fois gracieuse et profonde: «Tenez, lui dit-il, cardinal Caprara, possédez vous encore « le don des miracles? le possédez-vous?... En ce cas, employez le, « vous me rendrez grand service. Si vous ne l'avez pas, laissez<«< moi faire; et puisque je suis réduit aux moyens humains, permet« tez-moi d'en user comme je l'entends pour sauver l'Église.

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Tant de zèle et tant d'efforts méritaient d'être récompensés. Ils le furent enfin, et le Concordat fut signé : la nouvelle Église gallicane fut fondée, se rattachant par ses maximes à sa deváncière, et par son origine à la révolution française. Voilà ce qu'il ne faut pas oublier, ni dans l'Église ni en dehors de l'Église, afin que l'Église ne soit jamais tentée de se croire antérieure ou opposée à l'État, et que l'État non plus ne traite jamais l'Église en ennemie ou en indifférente. Napoléon et Pie VII ont, dans le Concordat et dans les négociations du Concordat, déterminé le caractère que doit avoir l'Église catholique en France. Il faut maintenir ce caractère et ne le laisser s'altérer ni d'un côté ni de l'autre. Aussi de toutes les leçons de politique contenues dans l'ouvrage de M. Thiers, celle du Concordat est assurément une des plus instructives et des plus opportunes. J'ajoute que c'est dans ce livre surtout que M. Thiers semble aimer son héros et son sujet. « Monsieur, lui disait à ce propos dans une des dernières séances de l'Académie l'illustre M. Royer-Collard, avec ce langage spirituel et profond qui lui appartient, vous avez raconté le Concordat comme quelqu'un qui aurait aimé à le faire. >> SAINT-MARC GIRARDIN.

A la suite de ces articles, un homme éminent, un de nos écrivains les plus purs, et dont on avait, dans un fatal instant, calomnié la faiblesse d'esprit, M. Villemain, qui se cachait vainement sous le voile de l'anonyme, prouvait à tous que son jugement de critique n'avait rien perdu de sa force, que son style était toujours doué d'une élégance dont il a le privilége; et l'on se plaisait à retrouver dans l'article que l'on va lire les qualités de notre savant professeur. Cette appréciation de l'œuvre de M. Thiers est précédée des lignes qui suivent :

« L'article que nous publions aujourd'hui sur « l'Histoire du Consulat et de l'Empire, par M. Thiers, « n'est pas signé, mais il n'a pas besoin de l'être pour ¢ qu'on y reconnaisse tout de suite le grand écrivain « à l'involontaire et bienveillante impartialité qui « élève les esprits supérieurs au-dessus de toutes les passions du temps et de toutes les rivalités des par«tis. C'est vainement que notre illustre collabora<< teur a espéré demeurer inconnu en gardant l'ano«nyme à peine l'article aura-t-il été lu par dix per« sonnes, que le secret qu'a voulu garder l'historien « de Cromwell sera le secret de tout le monde. »

LA PRESSE (29 MARS 1845).

Quelques mois avant 1830, un soir que M. de Talleyrand, dans son salon, causait littérature en attendant mieux, un député conservateur du temps, venu sans doute rue Saint-Florentin pour sa

voir des nouvelles, s'élevait très-vivement contre l'Histoire de la Révolution, de M. Thiers : « Je pense, dit le prince en interrompant «<l'orateur d'un air indifférent, que M. Thiers, qui est au fond « un esprit très-monarchique, écrirait encore mieux l'histoire de l'empire; mais je crains que vous ne lui en laissiez pas le << temps. >>

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Dans cette prophétie, qui n'était, vous le voyez, qu'à moitié littéraire, M. de Talleyrand se trompait à demi, comme il arrive presque toujours aux plus grands politiques. M. Thiers, malgré le manque de loisir qui lui était prédit, et dont il a joui, a retrouvé le temps de raconter le Consulat, et peut-être l'empire tout entier. Du reste, le jugement éventuel porté par M. de Talleyrand sur ce livre, qu'il n'espérait pas, est parfaitement fondé, et sera confirmé, je crois, par tout intelligent lecteur des trois volumes qui viennent de paraître.

L'Histoire de la Révolution était sans doute un très-rare et trèsbrillant début; elle a surtout ce premier entrain de la jeunesse, cette vivacité, ce bonheur d'exécution qu'il est si difficile de rencontrer deux fois; c'est la campagne d'Italie de M. Thiers. Mais, à part cette verve de récit, qui est beaucoup, j'en conviens, et cette rapidité, cette facilité d'intelligence, attribut éminent de l'auteur, l'Histoire de la Révolution est fort loin d'être complète; elle ne voit, elle ne montre qu'un côté; elle n'est pour l'intérieur de la France que le manifeste du vainqueur, ou plutôt des vainqueurs successifs; et par là, elle a pu être accusée sans trop d'injustice de n'admettre d'autre morale que le succès, et de remplacer la conscience de l'homme et la providence de Dieu par la force et la fatalité.

Pour se corriger de ces défauts, qui tenaient moins encore à un enthousiasme aveugle pour la révolution qu'à l'impatience assez fondée de certains actes de la Restauration, suffisait-il d'assister activement à une révolution nouvelle, de passer au pouvoir et d'être tour à tour ministre influent et chef habile d'une opposition régulière? Nous n'hésitons pas à le dire, cette éducation historique fort privilégiée n'aurait pas elle-même suffi, si M. Thiers n'avait eu naturellement deux rares qualités qu'il porte au plus haut degré dans

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