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opprimés et résista ouvertement à la tyrannie; sobre et tempérant, au lieu d'envier la fortune et le luxe d'autrui, il ne sentait que le bonheur de pouvoir s'en passer.

Une médiocre somme d'argent avait été son seul héritage; il la prêta à un ami et la perdit sans regrets. Archélaüs, roi de Macédoine, voulut le combler de présents; il refusa ses dons, leur préférant l'indépendance. Sa vertu fut d'autant plus admirable qu'elle se montra toujours simple, enjouée, exempte de tout orgueil et de toute affectation. Le but de sa philosophie était de maintenir l'âme dans un calme parfait : il y parvint, et conserva l'égalité de son humeur dans les circonstances les plus critiques.

Souvent le courage, qui résiste avec fierté aux grands malheurs, cède aux contrariétés journalières et s'aigrit par les chagrins domestiques: Xantippe, femme de Socrate, était capricieuse et violente; elle exerça sa patience sans la lasser.

Il prétendait avoir un esprit familier qui l'avertissait des dangers qu'il pouvait courir, et de ce qu'il devait faire et éviter: ce génie était probablement une conscience droite et un esprit juste.

Quoiqu'il fût disgracié par la nature et extrêmement laid, la beauté de son âme faisait oublier sa figure. La foule, empressée de l'entendre, le suivait partout; et dans les promenades publiques on voyait la plus brillante jeunesse quitter les plaisirs pour écouter ses leçons.

Tant de vertus ne pouvaient échapper à la haine des hommes qui n'en avaient pas : il devint l'objet de la satire des écrivains sans mœurs et de la persécution des hypocrites sans piété.

Aristophane le traduisit en ridicule sur la scène dans la comédie des Nuées, et fit sortir d'une bouche si pure des obscénités et des blasphèmes. Socrate avait une âme trop élevée pour qu'elle ne s'approchât pas de l'Être suprême: il croyait à un Dieu unique, et méprisait les fables des poëtes, la superstition des peuples et les divinités de son temps. Nous en trouvons la preuve dans son entretien avec Euthydeme

sur la Providence, qui nous a été conservé par Xénophon. Son amour pour la vérité fut regardé par ses ennemis comme un crime. Mélithus l'accusa devant l'aréopage de ne pas croire aux dieux de la Grèce, de vouloir introduire un culte nouveau, et de corrompre l'esprit de la jeunesse.

L'orateur Lysias composa un éloquent discours pour sa défense; mais il refusa cette apologie, disant qu'il ne voulait pas emprunter les secours de l'art pour émouvoir en sa faveur. Sa défense fut simple comme sa vertu, et ses réponses claires comme son innocence.

Il dit qu'on ne pouvait lui reprocher de manquer de respect aux lois religieuses, puisqu'il sacrifiait dans les temples; qu'ou ne pouvait lui faire un crime de croire à un esprit familier dans un pays où tous les peuples ajoutaient foi à la divination, aux auspices et aux augures; que, loin de corrompre les mœurs, tout Athènes était témoin que la doctrine qu'il soutenait se réduisait à ces deux principes : « Il faut préférer l'àme « au corps, et la vertu aux richesses. >>

« Vous me reprochez, disait-il, de manquer à mes devoirs << de citoyen, et de ne point opiner dans les assemblées du << peuple demandez aux guerriers qui combattaient à Potidée, « à Amphipolis, à Délium, si j'ai servi ma patrie; interrogez « les chefs du sénat : ils vous diront si je ne me suis pas op« posé fermement à la mort des dix capitaines vainqueurs aux « Arginuses, et victimes de vos injustes rigueurs. Il est vrai << que mon esprit familier m'a depuis longtemps empêché de << me mêler des affaires publiques: si je ne lui avais pas obéi, « je serais mort depuis longtemps; car j'ai trop appris qu'un << homme seul ne s'oppose pas impunément aux injustices <«< d'un peuple entier. On m'accuse d'impiété : examinez ma «< vie, mes actions et mes discours, et vous serez convaincus <«< que je crois plus à la divinité que mes accusateurs. On blâ«< mera peut-être aussi mon orgueil en voyant que je ne me «< conforme pas à l'usage, et que je n'adresse pas de supplica«tions à mes juges: mais, si je m'en abstiens, ce n'est point

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« par fierté, c'est par principes: je pense que la justice doit « obéir non à la prière, mais aux lois.

« D'ailleurs, je ne regarde pas la mort comme un mal, et à «< mon âge je ne veux point, pour l'éviter, démentir les leçons « que j'ai données pour apprendre à la mépriser. »>

Cicéron, en admirant ce noble plaidoyer, dit que Socrate se montra au tribunal non comme un accusé mais comme le juge de ses juges.

La haine l'emporta sur la justice; le sage fut condamné : l'arrêt ne statuait pas la peine qu'il devait subir, et, suivant l'usage dans ce cas, l'accusé pouvait choisir lui-même, et se condamner à la prison ou à l'amende.

Socrate ne voulut pas obéir à cet arrêt : « Je ne puis, dit-il, <«< me reconnaître coupable; et, puisqu'on veut que je pro« nonce sur le sort que je mérite, je déclare qu'ayant consacré «< ma vie à la patrie et à la vertu, je me condamne à être nourri « le reste de mes jours aux dépens de la république. »

Les juges, irrités de cette fierté, ordonnèrent qu'il boirait la ciguë.

Socrate, après avoir entendu sa sentence, dit aux juges : <«< La nature, avant vous, m'avait condamné à la mort; mais « la vérité condamne vous et mes accusateurs à des remords << éternels. >>

Il demeura trente jours en prison avant de subir sa sentence son courage ne parut pas un instant ébranlé, ni son humeur altérée : ses amis l'entouraient; il montrait toujours, en causant avec eux, le même enjouement et la même dou

ceur.

Criton, étant parvenu à gagner le geôlier, voulut l'engager à s'échapper de sa prison; mais Socrate soutint que l'iniquité d'un arrêt n'autorisait pas un citoyen à se dérober aux lois et à la justice de son pays.

Il employa son dernier jour à s'entretenir avec ses amis sur l'immortalité de l'âme. Platon nous a conservé, dans le dialogue qu'on appelle le Phédon, les principaux arguments

qu'employait Socrate pour prouver que l'àme est immortelle, et pour réfuter les objections des matérialistes.

Lorsque le moment fatal fut arrivé, le courageux philosophe, tenant à sa main la coupe funeste, dit à ses amis : « Je « regarde la mort non comme une violence qu'on me fait, << mais comme un moyen que me donne la Providence pour << monter au ciel : en sortant de la vie on trouve deux chemins, << dont l'un conduit la vertu dans le centre du bonheur, et <«< l'autre entraîne le crime dans un lieu de supplices. »

Après avoir dit ces mots, et ordonné, sans doute ironiquement, de sacrifier un coq à Esculape, il embrassa ses enfants, et pria la Divinité de rendre son dernier voyage heureux.

Lorsqu'il sentit l'effet du poison, il se coucha et mourut · paisiblement après avoir reproché à ses amis de gémir sur son repos.

L'envie meurt avec les grands hommes qu'elle a poursuivis; mais ils sont toujours vengés d'un peuple ingrat par une reconnaissance tardive.

Les Athéniens passèrent bientôt de la fureur au repentir; ils proclamèrent l'innocence de Socrate, révoquèrent l'arrêt qui l'avait condamné, envoyèrent à la mort Mélitus, et bannirent ses autres accusateurs. Enfin le célèbre Lysippe lui éleva une statue de bronze, moins durable que le souvenir de sa vertu.

FIN DU TOME PREMIER.

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