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la vue de la tête de son rival, le généreux vainqueur versa de nobles larmes, témoigna ouvertement son horreur pour un tel crime, et accabla de son mépris les làches qui croyaient s'en faire un titre à sa faveur.

César fit faire de magnifiques obsèques à Pompée, et traita si bien ses partisans qu'ils se soumirent sincèrement à lui. Les ministres du roi, redoutant dès lors la vengeance de César et voyant le petit nombre de ses troupes, commencèrent à répandre dans Alexandrie tous les bruits qui pouvaient soulever les Égyptiens contre lui. César lui-même servit leurs projets; il avait besoin d'argent, et il exigea qu'on lui payât promptement la somme considérable que le feu roi lui devait. Photin profita avec adresse de cette circonstance; il fit enlever toutes les richesses des temples et prit aux grands du royaume leur vaisselle et leurs vases précieux. Chacun se crut dépouillé par César. Sa hauteur acheva d'irriter les Égyptiens. Prétendant, comme tuteur, être l'arbitre des rois, il cita Ptolémée et Cléopâtre à son tribunal pour juger leurs différends, et leur ordonna de nommer des avocats pour plaider devant lui ce grand procès.

Cléopâtre, qui comptait plus sur ses charmes que sur l'éloquence de ses défenseurs, prit une résolution hardie; elle quitta son armée, se jeta dans un bateau, et arriva de nuit au pied des murs du château d'Alexandrie. Elle se fit envelopper et cacher dans un paquet de linge et de robes; sans craindre alors les regards des Romains et de ses ennemis, un de ses serviteurs, Apollodore, la porta sur ses épaules et la fit entrer dans l'appartement de César. Ce grand homme ne résista point aux artifices de cette femme étonnante, dont l'esprit égalait la merveilleuse beauté, et le maître du monde devint en un instant l'esclave de sa captive.

Consultant plus son amour que sa prudence, il envoya chercher le jeune roi pour lui ordonner de partager son trône avec Cléopâtre. Ptolémée, convaincu que sa cause était perdue, et furieux de voir que sa femme avait passé la nuit dans la cham

bre de César, sortit désespéré du palais. Il parcourut la ville en jetant de grands cris, arrachant son diadème et racontant au peuple son malheur et son affront.

La populace en furie se souleva et vint attaquer César. Les soldats romains s'emparèrent de la personne de Ptolémée qui s'était jeté sur eux sans précaution; mais la foule augmentant de rage et de nombre, le danger devenait imminent. César, au moment de périr, parut avec courage devant le peuple, l'étonna par sa fermeté, et trouva le moyen de le calmer en lui promettant de le satisfaire.

Le lendemain, comme tuteur et comme arbitre, il confirma, au nom du peuple romain, le testament du feu roi, ordonna que Ptolémée et Cléopâtre régneraient ensemble, et céda l'ìle de Chypre aux plus jeunes enfants d'Aulètes, Ptolémée et Arsinoé. Ce sacrifice le tira de danger, et la colère des Égyptiens s'apaisa. Mais peu de jours après l'artificieux Photin réveilla leur fureur; il trouva le moyen de les persuader que César les trompait, qu'il n'avait voulu que gagner du temps, et que son projet était de faire périr le roi et ses partisans pour soumettre l'Égypte à la tyrannie de Cléopâtre.

Le peuple se souleva de nouveau : Achillas, à la tête d'une armée, partit de Péluse et accourut pour combattre César, qui trouva moyen de repousser leurs efforts avec le peu de braves qu'il commandait. On l'attaqua aussi par mer, mais il brûla la flotte égyptienne et s'empara de la tour du phare. Le feu des vaisseaux gagna la ville et brûla cette fameuse bibliothèque qui contenait quatre cent mille volumes. César, investi et resserré de tous côtés, avait envoyé chercher des secours en Asie: en les attendant, il se fortifia dans le quartier du palais, et le théâtre lui servit de citadelle.

César tenait le jeune roi renfermé; il découvrit que Photin correspondait avec l'armée, il le fit mourir.

Un autre eunuque, nommé Ganymède, et favori du roi, craignant le même sort, enleva la princesse Arsinoé du palais et la conduisit à l'armée; il y répandit des soupçons contre

Achillas qu'il tua, et délivré de ce rival, il prit sa place. Ganymède conduisit assez habilement la guerre. Il coupa tous les canaux qui conduisaient l'eau dans Alexandrie; par-là, il excita dans les troupes romaines une sédition qui aurait exposé César aux plus grands dangers; mais celui-ci creusa des puits, trouva des sources et apaisa les révoltés. Cependant Calvinus arrivait d'Asie avec une légion. Ganymède voulut empêcher la jonction; il fut battu dans un combat naval. Sans se décourager, il arma une autre flotte et parvint à entrer dans le port d'Alexandrie.

César attaqua alors l'ile de Pharos. Dans cette occasion, la fortune abandonna ses armes: on le repoussa; il perdit huit cents hommes; son vaisseau se rompit, coula à fond, et sa mort semblait inévitable; mais il se jeta tout armé dans la mer et parvint à gagner le rivage en nageant. Jamais il ne fut dans un plus grand péril et ne montra plus de courage; car, pendant qu'il luttait d'une main contre les flots, de l'autre il tenait en l'air et portait des papiers importants qu'il sut ainsi

conserver.

Les Égyptiens lui offrirent alors la paix, à condition qu'il leur rendrait leur roi. César y consentit; Ptolémée, en le quittant, lui promit, les larmes aux yeux, d'être fidèle au traité; à peine rendu à la liberté il se mit à la tête de son armée et recommença la guerre. Sa flotte fut battue à Canope, et bientôt César se vit en état de ne plus craindre ses ennemis. Mithridate de Pergame lui amena des secours de Cilicie et de Syrie; Antipater s'y joignit avec trois mille Juifs. Les princes arabes embrassèrent son parti, et les Juifs qui habitaient l'Égypte se déclarèrent en sa faveur.

Mithridate et Antipater, après avoir pris Péluse d'assaut, gagnèrent une bataille contre Ganymède, passèrent le Nil, et, sous la conduite de César, marchèrent contre Ptolémée qui avait rassemblé les forces dont il pouvait disposer.

Les deux armées se livrèrent bataille; la victoire des Romains fut complète. Dans la déroute des Égyptiens, Ptolémée,

cherchant à se sauver sur le Nil, s'y noya. Alexandrie et toute l'Egypte se soumirent à César qui plaça sur le trône Cléopâtre, en lui associant, pour la forme, son jeune frère Ptolémée, âgé seulement de onze ans.

César, sans ennemis, oublia quelque temps la gloire pour les plaisirs; il passait les jours et les nuits en festins et en fêtes avec Cléopâtre. Il s'embarqua avec elle sur le Nil et parcourut toute l'Égypte. Son dessein était de pénétrer en Éthiopie; mais les légions, effrayées par l'exemple de Cambyse, refusèrent de le suivre.

La reine lui donna un fils nommé Césarion, qui augmenta son amour et sa dépendance; on assure qu'au mépris des coutumes romaines, il comptait, après son retour à Rome, épouser Cléopâtre. Lorsqu'il fut mort, le tribun Helvius Cinna avoua qu'il avait une harangue prête pour proposer une loi qui permettrait aux citoyens romains d'épouser autant de femmes qu'ils voudraient, et même des étrangères.

César fut enfin obligé de s'arracher du sein des voluptés pour aller combattre Pharnace, fils du fameux Mithridate. Avant de partir d'Égypte, voulant prouver sa reconnaissance aux Juifs qui, sous la conduite d'Antipater, l'avaient si puissamment secouru, il confirma leurs priviléges et les fit graver sur une colonne. Après avoir vaincu Mithridate, il revint à Rome. La jeune princesse Arsinoé orna son triomphe et y parut chargée de chaines. Il la mit ensuite en liberté, et elle se retira en Asie. Dès que le jeune Ptolémée eut quinze ans, âge fixé en Égypte pour la majorité des rois, il voulut prendre les rênes du gouvernement; mais Cléopâtre l'empoisonna et régna seule.

CLÉOPATRE SEULE.

On apprit bientôt en Égypte que César, aspirant au trône, avait été assassiné par Brutus et Cassius, derniers et cruels défenseurs de la liberté romaine. Antoine, Lépide et Octave, qu'on nomma depuis Auguste, formèrent un triumvirat pour venger la mort de César. Cléopâtre se déclara pour eux et leur envoya

les quatre légions que ce grand homme lui avait laissées; mais Cassius s'en rendit maître.

Cléopâtre arma ses vaisseaux et monta sur sa flotte pour aller au secours des triumvirs; une tempête l'obligea de revenir en Égypte.

Un an après, Cassius et Brutus ayant été vaincus et tués à Philippes, Antoine arriva en Asie, chargé par ses collègues de gouverner cette partie du monde. Tous les rois et les princes d'Orient vinrent en foule recevoir ses ordres et lui présenter leurs hommages.

Ayant appris que le gouverneur de la Phénicie, qui dépendait alors de l'Égypte, avait envoyé des secours à Cassius, il cita fièrement Cléopâtre à son tribunal, et lui ordonna de comparaître devant lui pour se justifier. Il l'attendait dans la ville de Tarse.

Cette reine superbe s'embarqua avec ses trésors avec un cortége magnifique; elle partit non pour se défendre, mais pour vaincre Antoine. Arrivée en Asie, elle parut sur le Cydnus dans une galère dont la poupe était éclatante d'or, les voiles de pourpre, les rames garnies d'argent; le tillac était couvert par un pavillon où brillaient des étoffes tissues d'or. On y voyait Cléopâtre vêtue comme on représente Vénus et entourée des plus belles filles de sa cour, sous la forme de Grâces et de Nymphes. Les airs retentissaient du son mélodieux des instruments; les avirons, frappant l'onde en cadence, rendaient ces sons plus agréables; on brûlait sur le tillac des parfums qui répandaient au loin leurs douces odeurs; et le rivage se remplissait d'un peuple nombreux qui prenait Cléopâtre pour une divinité, et se prosternait devant elle.

Tous les habitants de Tarse en sortirent pour aller admirer cet étonnant spectacle, de sorte qu'Antoine, voulant conserver sa dignité, resta seul dans son tribunal, entouré de ses licteurs.

Il invita la reine à souper dans son palais, mais elle lui fit dire de venir la trouver dans sa tente, où elle lui avait fait préparer un festin,

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