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DE LA

CONVENTION NATIONALE.

PREMIÈRE PARTIE.

CHAPITRE I.

Conduite de l'Assemblée législative. - Circonstances qui ont donné lieu à la convocation d'une Convention nationale. Dernières lois de l'Assemblée législative.

La France allait jouir de la constitution de 1791, ce grand résultat des travaux et du courage de ses premiers députés. Cette constitution excitait l'enthousiasme de toute la nation, si l'on en excepte tous ceux qu'elle blessait, tels que les seigneurs et les nobles avec les ecclésiastiques bénéficiers; ce qui formait une armée d'ennemis d'autant plus dangereux qu'ils étaient opposés à cette nouvelle cons. titution par leurs intérêts les plus chers. Il n'y avait donc qu'à la défendre contre eux telle qu'elle était, d'une manière vigilante et sage, sans en faire les sujets d'une fatale discorde dans la seconde législature où nos propres confrères du tiersétat ont préparé sa ruine; que d'autres, plus im

prudens encore, ont consommée dans la Convention nationale. Je n'ai point à suivre ici cette législature dans ses différens actes; comme constituant, je n'en ai point été membre, ni pu l'être; mais je ne saurais omettre quelques observations sur les premières causes qui, dans cette législature, ont rendu vaine la constitution de 1791.

Le roi sembla montrer, dans son dernier discours à l'Assemblée constituante, quelque peine de son éloignement. Il prévoyait sans doute qu'il ne serait pas si bien traité par les assemblées suivantes; ce qu'il éprouva bientôt. Au lieu de faire oublier au roi, autant qu'il était en eux, ses grandes pertes généreusement abandonnées par son acceptation de la constitution; au lieu de s'en tenir littéralement à cette première constitution; d'attacher leur gloire à la maintenir et à la défendre, en faisant tout marcher d'accord avec elle; nos successeurs voulurent se faire l'honneur de renchérir sur le travail de ceux qui les avaient précédés. Ils étendirent une liberté déjà toute conquise, et qui alors même dégénérait presque partout en licence par l'abus qu'en faisait le peuple, et ils affaiblirent le pouvoir exécutif qui avait besoin plus que jamais de vigueur et de sévérité. Ce ne fut de leur part qu'ombrages et que soupçons contre le roi et tous ses ministres qu'on dénonçait à tous momens. Malheureusement pour les nouveaux venus, la plupart élus comme des amis très-chauds de la liberté, Robespierre, sans être membre de la législature,

s'était acquis, par la défaite des feuillans et par son adresse aux Français, un très-grand renom dans tout le royaume, et un plus grand crédit dans la société-mère des jacobins à Paris. Les nouveaux députés avaient de lui une opinion très-avantageuse au moment de leur élection; et en le voyant, à leur arrivée à Paris, sur un trône aux Jacobins, ils s'y précipitèrent presque tous, et renforcèrent ainsi un pouvoir qui devait faire et la honte et la douleur de la France.

Robespierre, qu'on avait fait accusateur public, n'avait voulu d'aucune place, pour se maintenir plus librement et avec plus de soin dans cette première popularité que lui avaient donnée ses débats avec les réviseurs de la Constituante, et ensuite avec les feuillans. Ce furent ces débats avec les réviseurs qu'il ne put vaincre, qui le portèrent à demander l'exclusion des constituans de la législature suivante : ce qu'il obtint assez facilement, à cause de la lassitude que faisaient éprouver à cette assemblée ses longs travaux et les tracasseries des jacobins. Robespierre se proposait, au sortir de la Constituante, d'établir, dans ce club, la domination qu'il a conservée jusqu'à sa mort, je dis jusqu'à sa mort, parce que la preuve en est dans toute mon histoire qui est proprement la sienne. J'ai suivi cet homme dans toute sa carrière, et mon assertion, beaucoup trop justifiée par la suite des événemens, peut servir au lecteur comme de fil dans le labyrinthe aux matières que je vais

par

courir. On y verra toujours Robespierre conduire en chef la longue trame révolutionnaire.

Il se forma, comme à ses ordres, dans cette nouvelle législature un noyau à peu près semblable à celui de la Constituante, mais nullement nécessaire. Ce premier avait été utile pour arriver à vaincre les plus grands obstacles de la constitution, tandis que l'autre, composé d'hommes neufs et inexperts, trouva l'oeuvre achevée, et la détruisit pour n'avoir pas voulu suivre les sages principes de ses prédécesseurs ni les conseils de ceux qui, dans la nouvelle assemblée, y voyaient mieux qu'aucun d'eux. On entendait ces nouveaux patriotes qu'embrâsait et qu'aveuglait le foyer jacobin, traiter notre constitution, mûrie dans les plus grands travaux comme dans les plus grands périls, d'ouvrage faible et insuffisant pour la liberté; ils en voulaient beaucoup en conséquence à ce qu'ils nommaient les royalistes réviseurs de cette constitution, à qui ils imputaient les massacres du Champ-de-Mars, et qu'ils appelaient l'excès des prérogatives du roi à qui, suivant les plus clairvoyans, on n'en avait pas assez accordé. En effet, il aurait fallu en donner davantage, ou n'en point laisser du tout, si la nation eût été digne ou même capable de la forme républicaine dans son gouvernement. Mais, puisque la constitution avait été acceptée et jurée par le roi, il importait de ne plus revenir sur le passé, où l'on n'avait fait que le bien, et de s'attacher à

mettre le roi dans l'évidence de ses torts, s'il en avait, par les meilleurs procédés envers lui. En le supposant mal intentionné, cette méthode aurait conduit seule la seconde législature à la plus grande liberté qu'elle désirait, par la déchéance du roi, ce qui devait lui suffire. En agissant autrement, comme on a fait; en l'attaquant lui ou ses ministres dès les premières séances; en maltraitant aussi M. de La Fayette à qui la nation doit une reconnaissance éternelle, pour la première déclaration des droits de l'homme, qu'il nous fit distribuer en manuscrit, on a mis les torts prétendus du roi à la charge de ceux-là même qui les lui reprochent.

D'après la conduite de cette législature, chacun reconnut la faute qu'avait faite l'Assemblée constituante de ne pas proroger sa session pour prévenir et empêcher l'abus d'une constitution dans laquelle cette assemblée avait su allier la liberté de la nation et l'usage de ses droits, avec les droits du monarque sous l'autorité commune de la loi; mais qui, encore toute nouvelle, avait besoin des auteurs même de la nouveauté pour être défendue avec la sagesse et la force qui avaient servi à l'établir. Plusieurs bons esprits dans l'Assemblée l'en avertirent, mais vainement : Robespierre l'emporta sans qu'on soupçonnât la secrète ambition de ce petit homme qui, sans grâce, sans vigueur dans son éloquence, jouissait cependant du plus grand crédit aux Jacobins après la déroute des feuillans. On voit, dans son adresse aux Français, à laquelle

T. I.

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