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par les prêtres et les ministres protestans conventionnels, qui montèrent à la tribune pour y abdiquer leur état religieux, plusieurs députés furent saisis d'un tel dégoût et d'une telle indignation, qu'ils ne parurent plus dans la Convention ainsi souillée. Mais les montagnards s'aperçurent de leur absence, et les forcèrent de retourner et d'entendre chaque jour les plus scandaleuses adresses, et le récit des profanations dont se rendaient coupables les émules de la commune dans les départemens.

L'évêque de Paris, traîné malgré lui à la barre pour abdiquer son ministère épiscopal, continua de professer hautement sa religion, et mérita qu'on le fit guillotiner. Un témoin de son supplice m'a rapporté dans le temps à Paris, que lorsque le peuple criait à son ordinaire vive la république, Gobel, évêque de Paris, s'écria à son tour et à voix haute vive Jésus-Christ. Je dirai aussi que dans cette même séance, M. Grégoire fut vivement sollicité

par

les montagnards de monter à la tribune comme les autres, et qu'il s'y refusa constamment. On le menaça, et les menaces de la montagne étaient à cette époque des arrêts de mort. M. Grégoire les brava, et acquit ainsi sous mes yeux le titre de confesseur de Jésus-Christ.

Mais ces changemens ne convenaient pas à Robespierre qui ne les avait point opérés lui-même, et dont le pouvoir devenu exorbitant, ne pouvait souffrir aucune autorité rivale. Aussi ce fut à cette époque qu'il se défit de ses anciens partisans de la

commune et des chefs montagnards ses amis. Après avoir sacrifié Roland et Pétion, qui avaient été ses premiers collègues en révolution, il atteignit les autres. Hébert, Chaumette, Anacharsis Clootz, etc.., au moyen desquels il avait fait poursuivre les girondins par la populace, furent sacrifiés, ainsi que Danton, Lacroix, Hérault-de-Séchelles, Philippeaux, Camille-Desmoulins, Fabre-d'Églantine, et les principaux membres de la montagne. Les premiers périrent parce que la commune semblait menacer, par l'accroissement de la puissance, la dictature du comité de salut public, dont Robespierre était le chef; les autres parce qu'ils avaient trop de réputation révolutionnaire pour se courber sous le sceptre de cet impérieux décemvir. Il était jaloux de Danton et de Hérault-de-Séchelles. CamilleDesmoulins avait demandé dans son journal du vieux Cordelier, un comité de clémence. Philippeaux avait dénoncé le comité de salut public, en dénonçant ses généraux et ses commissaires dans la Vendée. Comme à cette époque, surtout, l'étranger avait disséminé des agens en France, et répandu beaucoup d'or, Robespierre fit entamer une procédure sur les tentatives contre-révolutionnaires dirigées en France par l'Angleterre, et il y enveloppa tous ses adversaires. Chaumette, Hébert, Clootz, Ronsin, Vincent, etc., furent accusés de servir la cause étrangère par les excès dont ils se rendaient coupables, ce qui n'étonna point de la part de ces chevaliers patriotes, de ces marchands

de révolutions. Les montagnards furent accusés de les servir par modérantisme, et de cette manière tous ceux qui faisaient ombrage à Robespierre, dans la commune ou dans la Convention, furent frappés du même coup.

Robespierre, débarrassé de presque tous ses rivaux, aspira à devenir fondateur d'un culte. Comme il tenait à la secte philosophique, au lieu de relever l'Église catholique, il se borna à pros crire l'athéisme et à faire adopter l'immortalité de l'ame et l'existence de l'Être-Suprême. Il prononça un long et pompeux discours à ce sujet, et dans la séance du 18 floréal il fit décréter une fête pour célébrer cette nouvelle religion un peu un peu moins impie, mais aussi scandaleuse pour des chrétiens que Je culte de la Raison.

Quand ce décret fut rendu, le peintre David fit lecture du plan de la fête qui devait avoir lieu le 20 prairial. Couthon demanda ensuite la parole, et

J'appuie la proposition faite d'imprimer le >> discours qui vient d'être prononcé; mais, ci

toyens, ce n'est pas assez, la Providence a été >> offensée, et la Convention calomniée par des » hommes infames qui, pour porter le déses» poir dans les ames, niaient hautement l'exis>>tence de l'Éternel. Déjà la justice nationale a » purgé la terre de ces hommes immoraux et dan>> gereux : la Convention doit faire plus; elle » doit frapper les principes, et c'est ce qu'elle a » fait par le rapport et le projet de décret que

» vous venez d'entendre; mais ce rapport et ce projet de décret doivent être connus partout, » parce que les principes de la Convention ont été >> calomniés partout, dans tous les pays. Il faut » donc que ce rapport et ce décret soient impri» més dans la forme ordinaire, et envoyés à tou»tes les communes, aux armées et aux sociétés » populaires de la république, et qu'ensuite ils » soient imprimés en placards pour être affichés » sur tous les murs, afin que tout le monde >> apprenne quelle est la véritable profession de >> foi des Français républicains; il faut enfin » que ce rapport et ce décret soient traduits dans » toutes les langues, pour que la Convention et » ses principes soient enfin justifiés, et la Provi>>dence vengée. »

Le 20 prairial la séance de la Convention s'ouvrit au milieu d'un grand concours de spectateurs et au bruit d'une symphonie pompeuse. Robespierre, qui présidait l'assemblée, prit la parole et dit : «< Citoyens républicains, il est enfin arrivé » ce jour à jamais fortuné que le peuple français >> consacre à l'Étre-Suprême. Jamais le monde » qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne » de ses regards. Il a vu régner sur la terre la ty›› rannie, le crime et l'imposture; il voit dans ce >> moment une nation entière, aux prises avec tous >> les oppresseurs du genre humain, suspendre le >> cours de ses travaux héroïques pour élever sa » pensée et ses voeux vers le grand Être qui lui

» donna la mission de les entreprendre, et la force » de les exécuter.

» N'est-ce pas lui dont la main immortelle, en » gravant dans le cœur de l'homme le code de la >>> justice et de l'égalité, y traça la sentence de » mort des tyrans? n'est-ce pas lui qui dès le com>> mencement des temps décréta la république et » mit à l'ordre du jour pour tous les siècles et pour >> tous les peuples la liberté, la bonne foi, la >> justice?

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» Il n'a point créé les rois pour dévorer l'espèce humaine; il n'a point créé les prêtres pour » nous atteler comme des animaux au char des » rois, et pour donner au monde l'exemple de la >> bassesse, de l'orgueil, de la perfidie, de l'ava>> rice, de la débauche et du mensonge; mais il a » créé l'univers pour publier sa puissance; il a » créé les hommes pour s'aider, pour s'aimer mu»tuellement et pour arriver au bonheur par la >> route de la vertu. C'est lui qui plaça dans le cœur » de l'oppresseur triomphant le remords et l'épou>> vante, et dans le cœur de l'innocent opprimé le » calme et la fierté. C'est lui qui force l'homme juste à haïr le méchant (c'est-à-dire la méchan» ceté, car Dieu nous force à aimer nos ennemis), » et le méchant à respecter l'homme juste. C'est >> lui qui orna de pudeur le front de la beauté >> pour l'embellir encore; c'est lui qui fait palpi» ter les entrailles maternelles de tendresse et de » joie; c'est lui qui baigne de larmes délicieuses

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