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La seconde question fut de savoir si, en admettant que, d'après le droit commun, un écrivain

tuelles, dit Blackstone, a produit un ouvrage original, il semble avoir évidemment le droit de disposer comme bon lui semble de ce même ouvrage; de même que toute tentative de changer la disposition qu'il en a faite, me paraît être une violation de ce droit. L'identite d'une composition littéraire consiste entièrement dans la conformité des opinions et du langage; les mêmes conceptions, revêtues des mêmes paroles, sont nécessairement la même composition; et quel que soit le moyen qu'on prenne d'exposer cette composition aux yeux ou aux oreilles d'autrui, par récit, par écriture manuscrite ou par l'impression, dans quelque nombre d'exemplaires ou à quelque époque que ce soit, c'est toujours le même ouvrage de l'auteur, qui est ainsi exposé; et aucun autre homme (du moins on l'a pensé) ne peut avoir le droit de l'exposer, particulièrement pour en tirer un bénéfice, sans le consentement de l'auteur. Ce consentement peut être considéré comme ayant été donné tacitement au genre humain, lorsqu'un auteur souffre que son ouvrage soit publié par une autre personne, sans réclamation ni réserve de ses droits, et sans y mettre l'empreinte de sa propriété. Mais lorsqu'un écrivain vend un seul exemplaire de son ouvrage, ou lorsqu'il aliène complétement ses droits d'auteur, on a cru que, dans le premier cas, l'acquéreur n'avait pas plus le droit de multiplier les copies de cet exemplaire pour les vendre, qu'il n'aurait le droit d'imiter, dans un but pareil, le billet qu'il a acheté pour entrer à l'Opéra ou assister à un concert; et que, dans le second cas, la propriété entière, avec ses droits exclusifs, est transférée à perpétuité à l'acquéreur. Commentaries on the laws of England, B. 2, ch. XXVI, § 8, vol. II, p. 405 et 406.

eût seul la faculté de publier et de vendre son ouvrage, cette faculté ne lui avait pas été enlevée par une disposition de loi particulière, et si toute personne ne pouvait pas le publier et le vendre sans son consentement. Sur cette question de droit local, six juges furent d'avis qu'aucune loi particulière n'avait enlevé à un auteur le droit d'imprimer et de publier ses ouvrages, et que nul ne pouvait, après la publication, les réimprimer et les vendre, sans son autorisation et contre sa volonté. Quatre juges furent d'une opinion con

traire.

La troisième question fut de savoir si, en admettant que l'auteur eût une action d'après le droit commun, cette action ne lui avait pas été enlevée par le statut de la huitième année du règne de la reine Anne, ch. 3; et si un auteur était exclu de tout recours, autre que celui que le même statut lui accordait, et aux termes et conditions qui y étaient mis. Six juges décidèrent que toute action, suivant le droit commun, avait été enlevée par ce et que celle qu'il avait accordée était la seule à laquelle il fût permis d'avoir recours. L'opinion contraire fut soutenue par cinq juges.

statut

La quatrième question fut de savoir si, d'après le droit commun, l'auteur d'un ouvrage littéraire, et ses héritiers ou successeurs, avaient seuls le droit de l'imprimer et de le publier à perpétuité? Sept

juges se prononcèrent pour l'existence de ce droit, quatre furent d'un avis contraire.

Enfin, la cinquième question fut de savoir si ce droit perpétuel de propriété, sur des ouvrages littéraires, avait été dénié, restreint ou enlevé par le statut de la huitième année du règne de la reine Anne. Six se prononcèrent pour l'affirmative, et cinq pour la négative. En conséquence, la décision rendue par la Cour de la chancellerie, fut annulée sur la motion de lord Camden, secondée par chanchelier (1).

le

Ainsi, le statut relatif à la propriété littéraire n'a pas été considéré, en Angleterre, par la majorité des magistrats, comme ayant créé un droit en faveur des auteurs; il a été considéré, au contraire, comme ayant restreint un droit de propriété préexistant. Si ce statut n'avait pas été rendu, les ouvrages littéraires auraient été mis sur le même rang que les autres propriétés privées. Ce statut a donc reconnu le droit, il en a limité la durée; mais il ne l'a pas créé.

Richard Godson, dont l'opinion a été citée au commencement de ce chapitre, a considéré comme un droit naturel le pouvoir de multiplier les exemplaires d'un ouvrage dont on a acheté une copie,

(1) Richard Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions and of copyright, B. III, chap. I, p. 204

et de les vendre à son profit. Un jurisconsulte anglais, de beaucoup de sens, a réfuté cette erreur d'une manière si nette, que je ne saurais mieux terminer ce chapitre qu'en rapportant son opinion.

« Il n'est rien de plus erroné que l'usage vulgaire de reporter l'origine des droits moraux et le système d'équité naturelle, à cet état sauvage, qu'on suppose avoir précédé les établissemens de la civilisation, et dans lequel les compositions littéraires et par conséquent les droits des auteurs ne pouvaient avoir aucune existence. La véritable manière de s'assurer si un droit moral a une existence, me paraît être de rechercher si ce droit est tel que la raison, la raison cultivée du genre humain, doive nécessairement y donner son as. sentiment. Aucune proposition ne me semble plus conforme à ce critérion que celle que chacun doit jouir du fruit de son travail, moissonner là où il a semé, cueillir le fruit de l'arbre qu'il a planté. Et si un droit privé doit être plus sacré, plus inviolable qu'un autre, c'est celui qui prend sa source dans un travail d'où le genre humain retire les plus grands bienfaits. La propriété litté raire, il faut bien l'admettre, est très-différente, par sa nature, d'une propriété qui consiste en objets matériels; et cette différence a conduit quelques personnes à en dénier l'existence comme

propriété. Mais que ce soit une propriété sui generis, ou qu'elle soit classée sous telle autre dénomination de droits qu'on voudra, elle me semble fondée sur le principe d'utilité générale, qui est la base de tous les droits moraux et de toutes les obligations (1). »

tence.

(1) Voici les termes mêmes dans lesquels l'auteur anglais s'exprime : « Nothing is more erroneous than the common practice of referring the origin of moral rights and the system of natural equity, to that savage state, which is supposed to have preceded civilized establishmens: in which litterary composition, and of consequence the right to it, vould have no exisBut the true mode of ascertaining a moral right seems to be to inquire whether it is such as the reason, the cultivated reason of mankind, must necessarily assent to. No proposition seems more conformable to that criterion, than that every one should enjoy the reward of his labour, the harvest where he has sown, or the fruit of the tree he has planted. And if any private right ought to be preserved more sacred and inviolate than another, it is that where the most extensive benefit flows to mankind from the labour by which it is acquired. Litterary property, it must be admitted, is very different in its nature from a property in substantial and corporeal objects; and this difference has led some to deny its existence as property; but whether it is sui generis, or under whatever denomination of rights it may more properly be classed, it seems founded upon the same principle of general utility to society, which is the basis of all other moral rights and obligations. T. E. Tomlins, Law-Dictionary, vo. Litterary Property.

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