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dans les formes au moyen desquelles on en constate la transmission. Un Anglais est propriétaire d'un champ, d'une maison, d'une somme d'argent ou d'un riche mobilier, de la même manière qu'un Américain ou qu'un Français. Les droits des uns sont égaux aux droits des autres, sur les terres et sur les autres objets qui leur appartiennent, parce qu'il n'y a qu'une nature de propriété, comme il n'y a qu'une nature humaine. Pourquoi n'en est-il pas de même des droits des auteurs sur leurs ouvrages? Par la raison que cest droits ont été considérés comme une création de l'autorité publique, comme l'exercice d'un privilége, d'un monopole; tandis que les premiers sont considérés comme ayant une existence indépendante de la volonté des gouvernemens.

Les trois systèmes que j'ai exposés reposent sur la même erreur, mais ils ne sont pas cependant également mauvais ; le pire des trois est celui qu'ont adopté les États-Unis d'Amérique; celui qui existe maintenant en Angleterre, vient en seconde ligne; le moins vicieux est celui que nos lois et notre jurisprudence ont consacré.

Pour apprécier ces trois systèmes, il faut les considérer sous deux rapports: relativement aux auteurs et à leurs familles, et relativement aux autres membres de la société; il faut ensuite examiner comment ils affectent les intérêts des uns et des autres.

Suivant les lois américaines, celui qui publie un ouvrage, et qui meurt dans les quatorze années de la publication, ne jouit que pendant quatorze ans, soit par lui-même, soit par ses successeurs, du droit d'en vendre exclusivement des exemplaires; celui qui vit plus de quatorze ans après la publication, peut pendant vingt-huit exercer ou faire exercer le droit d'en vendre exclusivement des exemplaires. Lorsqu'on a adopté de pareilles mesures, il semble qu'on s'est efforcé de mettre en opposition l'intérêt des auteurs et l'intérêt des sciences, l'amour des richesses et le désir de la gloire. L'homme de génie qui consacre sa fortune, sa santé, sa vie, à composer un ouvrage propre à immortaliser son nom et son pays, a tout juste quatorze années pour en vendre ou faire vendre des exemplaires, et rentrer ainsi dans une partie de ses dépenses. S'il avait employé son temps à publier, dans sa jeunesse, des romans frivoles, les lois lui auraient accordé vingt-huit ans pour exercer ses droits d'auteur. La durée du temps pendant lequel un écrivain a seul la faculté de vendre ou faire vendre ses ouvrages, est donc en raison inverse du temps et de la fortune qu'il a sacrifiés pour les composer. N'est-ce pas ainsi qu'on aurait agi si l'on avait eu le dessein d'encourager les productions futiles, et de décourager la publication des bons ouvrages?

Les écrits qui flattent les passions et les préjugés régnans, ceux qui sont au niveau des intelligences communes, se vendent toujours rapidement, et assurent aux auteurs et aux libraires des bénéfices plus ou moins grands. Ceux qui, loin de flatter les idées et les passions dominantes, tendent, au contraire, à détruire des préjugés funestes ou à réformer des mœurs vicieuses, ne se vendent que lentement: le succès dépend toujours de l'avenir. Les lois qui font aux auteurs et aux libraires une nécessité de tirer tous leurs bénéfices de la vente des premières années de la publication, tendent donc à multiplier les premiers, et à décourager la production des seconds..

Plus un écrivain est en avant de son siècle, dans quelque science que ce soit, plus le nombre des hommes qui sont capables de le suivre, est petit ; à chaque pas qu'il fait, il laisse en arrière quelqu'un de ses auditeurs ou de ses lecteurs. Il suit de là que les ouvrages destinés à faire faire de grands progrès à l'esprit humain ne peuvent, pendant long-temps, être vendus qu'à un petit nombre de personnes. Les exemplaires du Système du monde, de M. de La Place, que l'éditeur a vendus, pendant quatorze années, ont probablement produit beaucoup moins d'argent que n'en a produit, dans le même espace de temps, le moins populaire des almanachs. Un gouvernement qui désire de faire

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faire des progrès aux sciences, fait donc un trèsmauvais calcul, quand il limite le droit qu'a un écrivain de vendre exclusivement son ouvrage, aux premières années qui suivent la publication (1). Les lois anglaises renferment le même vice que les lois américaines, auxquelles elles ont donné naissance; mais, comme elles ont été réformées plus tard, ce vice a été affaibli. Le temps pendant lequel un auteur jouit exclusivement, en Angleterre, de la faculté de vendre ses ouvrages, égale toujours la durée de sa vie, et il ne peut jamais être de moins de vingt-huit ans pour lui-même ou pour ses héritiers. Si donc il arrive qu'un auteur vive vingthuit ans après avoir publié son ouvrage, chacun peut, immédiatement après sa mort, s'emparer de ce même ouvrage pour le réimprimer et en vendre des exemplaires. S'il meurt avant l'expiration des vingt-huit années, les personnes qui lui succèdent jouissent du reste de ce terme.

(1) Les ouvrages purement littéraires ont moins besoin que les ouvrages scientifiques, de la consécration du temps; il n'est pas très-rare, cependant, de voir des écrits qui d'abord n'ont donné aucun bénéfice aux hommes qui en étaient les auteurs, avoir plus tard de grands succès. Le drame le plus médiocre, joué sur un de nos théâtres de troisième ordre, est plus productif pour l'auteur que ne le fût Athalie pour Racine. Les tragédies de Chénier feront peut-être la fortune des comédiens qui sauront les jouer, tandis qu'elles n'auront rien produit, ni pour cet écrivain, ni pour ses héritiers.

Ici l'auteur est encore intéressé à mettre, dans la publication de ses écrits, le moins de retard possible; car le temps qu'il vivra au-delà des vingthuit années qui lui sont accordées par les lois, est pour lui, et surtout pour sa famille, un bénéfice incontestable. Il est également intéressé à ce que, pendant sa vie ou dans les ving-huit années qui suivent la publication, les libraires vendent le plus grand nombre possible d'exemplaires de son ouvrage. Lui mort ou ce terme expiré, sa famille n'a pas d'autre intérêt au succès de ses écrits qu'un intérêt de réputation.

Les lois françaises tendent moins fortement que les lois américaines et que les lois anglaises à favoriser les productions littéraires dont le succès doit être rapide et passager, au préjudice de celles dont le succès doit être lent et durable; mais elles ont la même tendance. Dans tous les cas, la protection de la loi s'étend à vingt années au-delà de la vie de l'auteur, au profit de sa veuve ou de ses enfans, ou au profit de la veuve et des enfans de l'éditeur auquel l'ouvrage a été vendu. Chaque année que l'auteur consacre au perfectionnement de ses écrits, est donc une année prisé sur le temps pendant lequel il aura le droit de les vendre ou de les faire vendre exclusivement. Il faut donc qu'il se hâte, s'il veut que ses ouvrages soient vendus pendant long-temps à son profit ou

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