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pour eux, mais avantageux pour sa nation, ne prissent ce dernier parti. Un gouvernement d'ailleurs doit toujours éviter de mettre en opposition des sentimens également honorables, et de placer les citoyens dans une position telle, que, quel que soit le parti qu'ils prennent, ils soient condamnés à renoncer à l'accomplissement d'une partie de leurs devoirs. Aspirer à faire le bien d'une nation la violation des lois de la morale et le sacrifice des sentimens les plus naturels et les plus chers au cœur de l'homme, est une prétention aussi vaine qu'elle est dangereuse.

par

On tomberait dans une autre erreur si l'on s'imaginait que, pour laisser aux sentimens qui peuvent agir sur l'esprit d'un écrivain, toute leur énergie, il est nécessaire d'adopter, pour la transmission des propriétés littéraires, tous les principes qu'on suit à l'égard des autres genres de propriétés. Le Code civil étend le droit de succéder en ligne collatérale jusqu'au douzième degré inclusivement: c'est porter bien loin les droits de la parenté. A un tel degré, les affections qui naissent d'une communauté d'origine sont bien faibles, si même il en existe aucune. Il y aurait peu d'inconvéniens à réduire le droit de succession, surtout pour les propriétés littéraires, à la ligne directe, et aux degrés les plus rapprochés de la ligne collatérale.

Rien ne serait donc plus facile que de donner aux causes qui peuven faire exécuter des travaux littéraires utiles au public, toute l'énergie dont elles sont susceptibles Quant au danger de voir priver le public d'ouvrages qu'il lui serait utile d'obtenir à bas prix, il serat facile de le prévenir: pour cela, il ne faudrait que vouloir.

Dans ce chapitre et dans les quatre qui le précèdent, je n'ai parlé que des compositions littéraires; il est clair cependant que les vérités que j'ai exposées, s'appliqunt à d'autres productions. On peut dire des compsitions musicales, des dessins ou gravures, et de quelques autres objets d'art, ce que j'ai dit de quelques ouvrages de l'esprit. Si je n'ai parlé que d'un gare de production, ce n'a été que pour éviter de répétitions qui auraient rendu mes observations lus longues sans les rendre plus claires, Chacun pat, au reste, appliquer ce que j'ai dit, et ce qui m reste à dire sur le même sujet, à des compositios musicales ou à d'autres objets d'art.

CHAPITRE XXXVI.

Application des principes établis lans les chapitres précédens, à quelques questions depropriété littéraire.

Il existe entre les proactions de l'esprit et les autres produits de l'industrie humaine quelques différences qu'il importe observer; car elles serviront à résoudre quelques-unes des principales questions auxquelles done naissance la propriété littéraire.

Du moment qu'un ovrage est livré à l'impression et mis en vente, toute personne qui en achète un exemplaire acuiert, par cela même, la faculté de s'approprier outes les idées, tous les sentimens qui s'y trouver exprimés; elle a, sous le rapport de l'amusementet de l'instruction que la lecture peut donner, tou les droits qu'elle aurait, si elle avait acquis la Fopriété entière de l'ouvrage.

Cette faculté de s'aproprier par l'étude les sentimens et les penséesexposés dans un ouvrage rendu public par l'impession, n'appartient pas

seulement à toute personne qui en achète un exemplaire; elle appartient à tous ceux qui veulent se donner la peine d'aller en prendre lecture dans les bibliothèques où le dépôt en a été fait.

Les plaisirs ou les profits qu'on peut tirer de tout autre genre de propriété, ne peuvent pas ainsi se diviser ou se multiplier; tout avantage qu'une personne retire d'un meuble, d'une maison, d'un champ, prive généralement le propriétaire de ce meuble, de cette maison ou de ce champ d'un avantage égal; tout ce qui profite à l'un, est presque toujours perdu pour l'autre (1).

Ainsi, quoique le principal objet d'un ouvrage littéraire soit l'instruction ou le plaisir que donne la lecture, la personne qui en a la propriété, n'a, sous ce rapport, aucun avantage sur les personnes qui en ont acquis des exemplaires; il peut même arriver que, sans se dépouiller de ses droits de propriété, elle ne se soit pas réservé la disposition d'une seule copie.

Le propriétaire d'un objet matériel, d'un meuble ou d'une maison, peut faire éprouver à sa propriété tous les changemens qu'il juge convenables; il peut, sans porter atteinte aux droits de per

(1) Ces propositions reçoivent quelques exceptions. Les maisons qui environnent un beau jardin profitent des avantages de la vue et de la salubrité de l'air, sans rien faire perdre à celui qui en est propriétaire.

sonne, l'altérer ou même le détruire; il peut, selon l'expression des jurisconsultes, en user et en abuser, sans avoir à craindre aucune poursuite judiciaire.

L'auteur d'une composition littéraire, peut aussi en disposer comme bon lui semble, tant qu'il ne l'a pas publiée ; il est er son pouvoir de la modifier pour la rendre meilleure ou pire, ou même de l'anéantir complétement, quelle que soit la manière dont il en dispose, personne ne sera reçu à intenter une action contre lui.

Mais à l'instant où un ouvrage a été rendu public, et où des exemplaires en ont été vendus, il n'est plus au pouvoir de l'auteur de le détruire; il peut, dans dés éditions nouvelles, corriger ses erreurs, modifier son style; mais là se borne sa puissance; du moment qu'il a lui-même cessé d'exister, son ouvrage devient invariable; la personne à laquelle il en a transmis la propriété, ne saurait ni le détruire, ni l'altérer.

Si le propriétaire d'un ouvrage rendu public, n'a la puissance, ni de l'anéantir, ni même de le modifier, et si, sous le rapport de l'instruction ou de l'amusement qu'on peut en retirer par la lecture, il n'a pas plus d'avantage que la personne qui en possède un seul exemplaire, en quoi consiste donc sa propriété? Elle consiste uniquement dans la faculté d'en multiplier les copies, et de les vendre à son profit, et dans le pouvoir d'empêcher que d'autres

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