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juillet 1793 a créé des priviléges, établi des monopoles; non, si elle a reconnu des droits; si elle a limité le temps pendant lequel ils pourraient être exercés, et si les difficultés qu'elle n'a pas prévues ne doivent être résolues que par les principes généraux du droit.

Les dispositions du Code pénal prévoient le cas où un ouvrage aurait été imprimé ou réimprimé sans le consentement de l'auteur ou du propriétaire, et celui où une contrefaçon faite à l'étranger serait introduite en France; mais il est une violation de propriété qu'elles n'ont pas prévue: c'est celle dont se rendrait coupable une personne qui ferait imprimer à l'étranger la copie d'un ouvrage manuscrit appartenant à une autre personne, et qui en introduirait des exemplaires sur notre territoire. L'article 472 de ce Code, qui qualifie délit de contrefaçon l'introduction sur le territoire français d'ouvrages contrefaits à l'étranger, ne lui donne, en effet, cette qualification que pour les ouvrages qui avaient été déjà imprimés en France. Il n'y aurait donc pas moyen d'atteindre, par nos lois, celui qui, après avoir fait à l'étranger une édition d'un ouvrage non encore imprimé dont il aurait soustrait une copie au propriétaire, introduirait des exemplaires sur notre territoire, à moins toutefois qu'on ne le poursuivît comme coupable de soustraction frauduleuse.

Mais ne pourrait-on pas poursuivre, comme coupable de vol ou de contrefaçon, dans le pays où l'ouvrage aurait été imprimé et mis en vente, l'individu qui publierait ainsi à l'étranger,sans autorisation de l'auteur, un manuscrit dont il posséderait une copie? La solution de cette question dépend des dispositions des lois du peuple chez lequel elle serait agitée. Un Anglais qui volerait un manuscrit à un de ses compatriotes et qui irait le publier sur le territoire des Etats-Unis d'Amérique, ne pourrait pas être poursuivi devant les juges de ce dernier pays, puisque les lois américaines n'accordent à la propriété littéraire aucune protection, quand le propriétaire est étranger, et qu'il ne réside pas sur le territoire national. Si le même individu venait faire imprimer et vendre l'ouvrage en France, je ne doute pas qu'il ne fût condamné à des dommages envers l'auteur, si celuici avait le moyen de prouver sa propriété; puisque nos lois garantissent aux étrangers les mêmes droits qu'aux nationaux, pour ceux de leurs ouvrages qui n'ont pas été publiés d'abord hors de notre territoire.

Les lettres qu'une personne adresse à une autre, sont-elles la propriété de celui qui les écrit ou de celui qui les reçoit? Il faut, pour bien résoudre cette question, distinguer diverses espèces de lettres. Les écrits qu'on met sous cette forme, pour leur

donner un genre particulier d'intérêt, comme les Provinciales, les Lettres persanes et une foule d'autres, ne doivent pas être distingués de toute autre espèce d'ouvrages. Les lettres qu'une personne adresse à une autre sur des sujets de littérature ou sur une science, telles, par exemple, que les Lettres d'Euler à une princesse d'Allemagne, semblent présenter d'abord un peu plus de difficulté. Cependant, si l'on considère et l'intention de la personne par laquelle des lettres semblables sont écrites, et l'intention de celle à qui elles sont adressées, il est impossible d'y voir autre chose que de simples leçons. Celui qui les écrit, ne se propose que d'instruire ou d'amuser la personne à laquelle il les adresse; et celle-ci n'entend recevoir que ce qui lui est véritablement donné. Il n'y a donc pas de transmission de propriété littéraire proprement dite il n'y a d'aliénation que pour une seule copie (1).

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Les lettres auxquelles donnent lieu des relations d'affaires ou d'amitié, ne peuvent pas être considérées comme des ouvrages littéraires. Ceux qui les écrivent ne se proposent ni de les publier, ni de les vendre; ils entendent encore moins que les personnes auxquelles ils les adressent, en feront un

(1) Richard Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions, b. III, ch. II, p. 224-225.

objet de spéculation. Il y a peu de gens qui voulussent entretenir par écrit des correspondances amicales, sous la condition que toutes leurs lettres seraient imprimées et livrées au public. Si donc il arrivait qu'un individu livrât à l'impression des lettres confidentielles qui lui auraient été adressées personnellement, ou qui seraient tombées dans ses mains, la personne qui les aurait écrites serait certainement fondée à en demander la suppression. Une telle publication serait considérée, non comme une atteinte à une propriété littéraire, mais comme un abus de confiance, comme une violation du contrat tacite que suppose toute correspondance amicale. C'est en considérant sous ce point de vue la publication de lettres privées et confidentielles, que les cours de justice d'Angleterre l'ont interdite (1).

Une personne à laquelle on adresserait, pour son amusement ou son instruction, des lettres sur la littérature ou sur les sciences, ne serait propriétaire, avons-nous dit, que d'une copie de ces mêmes lettres, parce que celui qui donne des leçons sur un sujet quelconque, n'entend, en aucune manière, aliéner la propriété d'un ouvrage. Par la même raison, ceux qui reçoivent, même dans un

(1) Ibid, 225-227. Il ne faut pas conclure de là qu'une personne n'a pas le droit de publier, comme preuves ou comme moyens de justification, des lettres qu'elle a reçues.

lieu public, des leçons orales d'un professeur, ne peuvent pas, après les avoir recueillies, les faire imprimer et les vendre sans son autorisation, Enseigner une science à des hommes qui ont le désir de l'apprendre, et vendre un ouvrage à un homme qui fait le commerce de livres, sont, en effet, deux choses tout-à-fait différentes. Celui qui reçoit une leçon qu'il a payée ou que d'autres ont payée pour lui, peut en tirer toute l'instruction qu'elle renferme, comme celui qui paie sa place dans un théâtre, peut tirer de la représentation à laquelle il assiste, tout le plaisir qu'elle peut donner. Mais le premier n'a pas plus le droit de faire imprimer et de vendre le discours du professeur, que le second n'a le droit de faire imprimer et de vendre la tragédie ou la partition de musique qu'il a entendue.

Un orateur a sur ses discours, un prédicateur a sur ses sermons, les mêmes droits qu'un professeur sur ses leçons; chacun est libre d'aller les entendre, et d'en faire son profit sous le rapport de l'instruction; mais nul ne pourra, sans le consentement de l'auteur, en faire un objet de commerce. Bossuet et Massillon étaient propriétaires de leurs oraisons funèbres et de leurs sermons au même titre que Corneille et Racine de leurs tragédies : en les prononçant, ils donnaient à chacun le droit de les écouter, et de profiter de leurs le

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