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d'en jouir ou d'en disposer. Toute garantie des propriétés est donc une puissance qui prévient ou réprime le vol, les extorsions, le pillage, en un mot, toutes les spoliations, quelle qu'en soit la nature. La faculté qu'ont certaines personnes de jouir ou de disposer des choses qu'elles ont formées ou qui leur ont été régulièrement transmises, ne peut, en effet, être arrêtée ou suspendue que par l'effet de leur volonté ou par une force qui leur est étrangère; et l'on n'arrête une force, que par une force égale ou supérieure.

Mais où trouver cette puissance qui protége toute personne ou toute agrégration de personnes dans la jouissance et la disposition de leurs biens; qui soit assez grande pour contenir ou réprimer tous les individus disposés à s'emparer de la propriété d'autrui, et qui cependant ne puisse jamais devenir un moyen de spoliation? On ne peut là trouver que dans les lumières, les mœurs, l'union, l'organisation et la force de tous les propriétaires; elle n'est efficace et sûre que lorsqu'elle vient de là. Une puissance qui vient d'ailleurs, peut bien quelquefois prévenir ou réprimer les spoliations qui ne lui profitent pas ou qui lui sont dommageables; mais tôt ou tard elle devient un moyen d'extorsion entre les mains de ceux qui la possèdent.

Lorsqu'on étudie l'origine des propriétés et qu'on en suit le développement, on observe que les

populations s'accroissent à mesure que la masse des propriétés augmente: les hommes créent d'abord des propriétés, et les propriétés font naître ensuite de nouveaux hommes. Nous n'existons donc qu'au moyen de nos biens, et le même principe qui nous pousse à défendre notre existence, nous porte à défendre les choses qui la soutiennent. Telle est la vraie et je puis même dire l'unique source de la garantie que nous avons à observer.

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Il n'y a qu'un moyen de savoir si toutes les priétés qui existent chez une nation, sont garanties; c'est de rechercher quelles sont les diverses atteintes auxquelles elles sont exposées, et d'examiner s'il existe une puissance qui les mette à l'abri de chacun des dangers qu'elles ont à courir.

En considérant les propriétés dans les rapports qu'elles ont avec ceux dont elles doivent satisfaire les besoins, on peut les diviser en trois grandes classes: il en est qui sont destinées à satisfaire certains besoins nationaux, à assurer la défense du pays, à faciliter des communications, par exemple; il en est d'autres qui sont destinées à satisfaire les besoins d'associations moins considérables, telles que des communes, des départemens, des provinces; il en est d'autres enfin qui ne sont destinées qu'à satisfaire des besoins individuels ou des besoins de famille.

Quand on considère les nations les unes à l'é

gard des autres, on observe que chacune d'elles a un territoire qui lui est propre, et que ce territoire renferme toutes les propriétés qui appartiennent à des individus, à des communes ou à d'autres agrégations plus ou moins nombrenses. Si l'on considère ensuite chaque nation relativement aux diverses fractions entre lesquelles elle se divise, on voit qu'elle a, dans le territoire national, des propriétés particulières dont l'objet est de satisfaire un certain genre de besoins généraux, tels que les besoins de sûreté, de justice, de communications. Les nations, considérées comme des corps organisés, ne sont pas propriétaires seulement des fleuves, des canaux, des routes qui traversent leur territoire; elles ont toujours des biens qui sont de la même nature que ceux des particuliers. Plusieurs possèdent des forêts, des fermes, des établissemens industriels; toutes ont un trésor qu'alimentent les contributions publiques, et sans lequel elles ne sauraient subsister.

Si nous reconnaissons que, pour une nation comme pour un particulier, la faculté de jouir et de disposer est un des élémens essentiels de la propriété, nous admettrons qu'il y a atteinte à une propriété nationale, toutes les fois qu'une chose appartenant à un peuple, est détournée, sans l'aveu des propriétaires, de sa destination naturelle et appliquée à satisfaire des besoins autres que ceux

du peuple à qui elle appartient; peu importe d'ailleurs qu'elle ait été détournée ou ravie par une armée ou par un seul homme, par un étranger ou par un membre de l'État, par un agent de l'autorité publique ou par un simple particulier; le nombre ni la qualité des personnes ne changent rien à la nature de l'action.

Nous n'avons pas à nous occuper ici des dommages causés à la propriété par des accidens indépendans de la volonté des hommes. Une propriété peut périr ou être endommagée par un naufrage, par une inondation, ou par le feu du ciel, comme par l'invasion d'une armée, ou par l'irruption d'une troupe de brigands. On peut établir des garanties contre les calamités qui viennent de la nature, comme on en établit contre celles qui viennent de la perversité des hommes. Les dernières sont les seules dont il soit ici question.

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Les propriétés d'une nation peuvent être attaquées par trois classes de personnes, par des ennemis extérieurs, par les membres même du vernement, auxquels la garde et l'administration en sont confiées, et par de simples particuliers; il faut donc qu'il existe des garanties contre ces trois classes de personnes, c'est-à-dire des forces capables de prévenir ou de réprimer leurs attentats.

Il est des nations dont le territoire est en partie garanti contre l'invasion, par les circonstances

physiques au milieu desquelles il est placé, par de hautes montagnes, par des mers, et quelquefois par de vastes déserts. Nous n'avons pas à nous occuper des garanties de ce genre; les peuples qui en sont privés, n'ont qu'un moyen de les obtenir ; c'est de s'unir à ceux de leurs voisins qui les possèdent, pour ne faire qu'une nation. Nous n'avons à traiter que des garanties que les peuples trouvent en euxmêmes, contre les agressions dont ils peuvent être l'objet.

Les forces qui peuvent porter atteinte à nos propriétés, et contre lesquelles nous cherchons des garanties, se trouvent dans des hommes, et pour les contenir ou les réprimer, il faut d'autres forces qui ne peuvent également se trouver que dans des hommes. S'il s'agit, par exemple, de garantir le territoire d'une nation contre l'invasion d'une armée étrangère, il est clair qu'on ne peut trouver une garantie que dans l'existence d'une autre armée. S'il s'agit de les mettre à l'abri des entreprises des malfaiteurs de l'intérieur, il faut charger d'autres hommes de les arrêter ou de les punir.

La plus grande difficulté qui se présente, toutes les fois qu'il est question de garanties sociales, n'est pas de trouver une force qui soit un obstacle à l'invasion, ou qui réprime les atteintes portées aux propriétés par de simples particuliers; c'est de trouver une garantic contre l'abus des forces qu'on

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