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a organisées, soit pour défendre l'indépendance nationale, soit pour réprimer les malfaiteurs de l'intérieur? Quelle sera la puissance qui nous garantira des fraudes, des extorsions, des concus'sions, des violences de nos garans ? La solution de ce problème est fort difficile; je ne craindrai même pas de dire qu'elle est impossible, chez tout peuple dont les mœurs, l'intelligence et l'industrie n'ont pas fait de grands progrès.

Une nation chez laquelle il existe encore beaucoup de restes de barbarie, ne peut faire que de vains efforts pour établir des garanties; quand elle a organisé une force ou créé une magistrature, pour prévenir ou réprimer certaines spoliations, il faut qu'elle songe à se mettre à l'abri des attentats de cette force ou de cette magistrature; aussitôt qu'elle a organisé et armé des défenseurs, il faut qu'elle cherche à se garantir de leurs entreprises.

Il n'est pas de constitution, quelque parfaite qu'on la suppose, qui puisse faire sortir de ce cercle un peuple lâche, ignorant ou corrompu. Quelques publicistes ont paru croire que la monarchie constitutionnelle avait donné la solution du problème; c'est une erreur. Qu'on soumette à telle constitution qu'on voudra, un peuple dont une partie considérable aspire à vivre sur le produit du travail d'autrui, et dont l'autre est façon

née à l'oppression; qu'on lui donne deux chambres, un roi inviolable, des ministres responsables, et tout ce qui compose un gouvernement constitutionnel; quand tout cela existera, les législateurs, les ministres, le roi et leurs agens emploieront leur pouvoir à satisfaire leurs appétits. S'ils avaient le désir ou l'habitude de s'enrichir aux dépens d'autrui, chacun d'eux fera servir la part d'autorité qui lui sera dévolue, à vivre aux dépens du public; et si quelques-uns des hommes auparavant asservis, arrivent au pouvoir, ils ne seront pas les derniers à faire leur main.

Il ne saurait donc exister de véritables garanties, qu'on ne l'oublie jamais, soit contre les dangers de l'extérieur, soit contre les dangers de l'intérieur, que là où les hommes sont très-avancés dans la civilisation, là où les mœurs sont bonnes, où les esprits sont éclairés, où les familles les plus influentes ont l'habitude de vivre, non d'extorsions plus ou moins déguisées, mais des produits de leur industrie ou de leurs propriétés; dans les pays enfin où toutes les classes de la société se respectent et savent se faire respecter(1).

Cela étant entendu, il sera facile de comprendre

(1) Il ne faudrait pas conclure de ces observations que, pour un peuple peu civilisé, toutes les formes de gouvernement sont également mauvaises; il y a des degrés dans le mal comme dans le bien.

quelles sont les circonstances dans lesquelles les propriétés nationales, communales et individuelles, manquent de garanties, et quels sont les moyens à l'aide desquels les propriétaires s'en assurent la jouissance et la disposition.

:

La garantie du territoire national et de toutes les propriétés qu'il renferme, contre les attaques de l'intérieur, se compose de deux choses d'une bonne organisation politique et d'une bonne organisation militaire. Une nation qui n'aurait aucune influence sur son gouvernement, ou dont le gouvernement obéirait à des influences extérieures, ne saurait défendre son territoire et se mettre à l'abri de l'invasion, quand même tous ses membres seraient exercés aux armes. Une nation serait également incapable de se défendre, quand même elle se gouvernerait elle-même, par des hommes qu'elle aurait choisis et qui seraient comptables envers elle de l'exercice de leurs pouvoirs, si elle n'était pas armée, ou si elle ne savait pas faire usage de ses armes. Il ne suffit pas, en effet, pour repousser une agression armée, d'être libre dans ses mouvemens; il faut, de plus, savoir faire usage de ses membres, et ne pas être dépourvu de de défense.

moyen

Un peuple trouve aussi une garantie contre les agressions extérieures, dans les alliances qu'il forme avec des peuples intéressés à sa conservation

et à son indépendance. La France, par exemple, est protégée par l'indépendance et la liberté des cantons suisses, et réciproquement les cantons suisses trouvent une garantie de leur conservation dans l'indépendance et la liberté de la France. Si les petits peuples d'Allemagne avaient tous une organisation sociale analogue à la nôtre, leur existence garantirait une partie considérable de nos frontières de l'invasion; mais, par la même raison, nous serons une garantie pour eux, toutes les fois que nous aurons un gouvernement qui sera l'organe des intérêts de la France.

Il ne faut pas confondre les garanties qui existent dans l'intérêt d'un gouvernement, avec les garanties qui existent dans l'intérêt de la nation à laquelle il donne des lois. Une famille qui considère comme sa propriété le peuple qui lui est soumis, peut avoir des forces pour le défendre contre les attaques venues de l'extérieur. Elle peut avoir aussi des alliés qui lui garantissent son pouvoir; les membres de la Sainte-Alliance, par exemple, se garantissaient mutuellement la possession de leurs États. Mais la force extérieure qui garantit l'existence ou la domination d'un prince, ne protége pas nécessairement sa nation; elle est souvent, au contraire, relativement à elle, un moyen de tyrannie intérieure ou extérieure.

Des atteintes peuvent être portées au territoire

national, par suite d'une coalition formée entre le gouvernement du pays et des gouvernemens étrangers; les attentats de ce genre ne sont pas même aussi rares qu'on serait tenté d'abord de le croire. Ils ont ordinairement lieu, lorsqu'une nation aspire à s'affranchir de la domination qui pèse sur elle, et que son gouvernement ne possède pas une force suffisante pour la tenir sous le joug. En pareil cas, le gouvernement fait un appel aux gouvernemens étrangers qui peuvent craindre pour eux un sort semblable, et livre le pays à leurs armées, dans l'espérance qu'il lui sera rendu, si non en totalité, du moins en partie.

Montesquieu observe que Sylla et Sertorius, dans la fureur des guerres civiles, aimaient mieux périr que de faire quelque chose dont Mithridate pût tirer dans les temps qui avantage; mais que, suivirent, dès qu'un ministre ou quelque grand crut qu'il importait à son avarice, à sa vengence, son ambition de faire entrer les barbares dans l'empire, il le leur donna d'abord à ravager (1).

à

La raison de cette différence est facile à voir : le peuple romain, sous la république, était luimême le garant de l'inviolabilité de son indépendance et de sa sûreté; mais, du moment qu'il eut été asservi, le territoire national n'eut plus de

(1) Grandeur et décadence des Romains.

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