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parties de la population sont plus exposées que d'autres, et s'il n'est pas possible de prévenir les atteintes auxquelles leurs propriétés sont exposées, quel est le moyen d'établir l'égalité des charges autant que cela se peut? Il n'y en a qu'un : c'est de réparer le mal qu'on n'a pu empêcher; c'est d'indemniser, aux frais de l'État, les personnes dont les propriétés ont été ravies ou dévastées par l'ennemi.

En 1792, au moment où l'indépendance et la liberté de la nation française étaient menacées par la plupart des gouvernemens européens, l'Assemblée nationale, par un décret du 11 du mois d'août, ordonna qu'il serait accordé des secours ou des indemnités aux citoyens français qui, pendant la durée de la guerre, auraient perdu, par le fait des ennemis extérieurs, tout ou partie de leurs propriétés (1).

(1) Les motifs de ce décret méritent d'être rapportés; les voici :

« L'Assemblée nationale considérant que si, dans une guerre dont l'objet est la conservation de la liberté, de l'indépendance et de la constitution française, tout citoyen doit à l'État le sacrifice de sa vie et de sa fortune, l'État doit à son tour protéger les citoyens qui se dévouent à sa défense, et venir au secours de ceux qui, dans le cas d'invasion ou de séjour passager de l'ennemi sur le territoire français, auraient perdu tout ou partie de leurs propriétés ;

>> Voulant donner aux nations étrangères le premier exemple

Suivant ce décret, tous ceux qui prétendaient à un secours ou à une indemnité, étaient assujétis aux preuves de résidence, et autres formalités imposées aux personnes qui avaient à recevoir quelque paiement aux caisses nationales. Ces conditions avaient pour objet d'écarter les prétentions des personnes qui avaient passé à l'étranger, par haine pour la révolution.

Les hommes qui avaient refusé d'obéir aux réquisitions légales, et ceux qui ne s'étaient pas opposés, lorsqu'ils le pouvaient, aux ravages de l'ennemi, étaient exclus de tout secours et de toute indemnité.

Les citoyens dont les propriétés avaient été dévastées, devaient présenter à la municipalité du lieu un mémoire détaillé et estimatif des pertes

de la fraternité qui unit les citoyens d'un peuple libre, et qui rend commun à tous les individus du corps social le dommage occasionné à un de ses membres;

>> Certaine que tous les habitans des départemens frontières trouveront dans la sollicitude paternelle des représentans de la. nation un nouveau motif d'attachement à la patrie et de dévouement à la cause de la liberté;

» Considérant qu'il importe de proportionner aux besoins et aux ressources individuelles les secours que la situation du Trésor public permettra d'accorder, et de prendre les précautions nécessaires pour que les sommes destinées à ce saint usage soient également réparties,

» Décrète ce qui suit, etc.

qu'ils avaient éprouvées ; ils devaient y joindre un extrait certifié de leurs cotes d'impositions aux rôles des contributions foncière et mobilière.

Les municipalités étaient tenues de constater dans la huitaine, les dommages et dévastations; elles devaient envoyer leurs procès-verbaux aux directoires de district, qui, après avoir vérifié les faits, étaient chargés de les faire parvenir, avec leur avis, au directoire du département.

Les directoires de département devaient, dans la huitaine, les envoyer, avec leur avis, mémoires et renseignemens, au ministre de l'intérieur; et celui-ci devait les mettre sous les yeux du corpslégislatif.

Si la perte éprouvée par un citoyen consistait en meubles, bestiaux, effets ou marchandises, elle devait être justifiée, soit par l'attestation des voisins, soit par des extraits certifiés des livres de commerce, bilans, connaissemens et factures.

Les généraux, commandans et autres chefs militaires étaient chargés de rapporter, autant qu'il leur serait possible, des procès-verbaux des dévastations commises par l'ennemi; ils devaient les adresser au ministre de la guerre, qui devait les remettre de suite au corps-législatif.

L'Assemblée nationale pouvait seule déterminer sur le vu des pièces, et d'après un rapport, la nature et la quotité des secours et indemnités; elle

devait les proportionner à la fortune qui restait aux citoyens après la dévastation, à leurs besoins et aux pertes qu'ils avaient éprouvées.

Si la totalité d'une commune, d'un canton ou d'un district avait été ravagée, le corps-législatif devait accorder un secours provisoire avant la fixation des indemnités auxquelles les particuliers avaient droit.

Dans ce cas, les procès-verbaux devaient être rapportés par les officiers municipaux des communes limitrophes, et les vérifications faites par les administrateurs du district le plus voisin.

Tout citoyen convaincu d'avoir simulé des pertes dans sa déclaration, pour obtenir une somme plus forte, était déchu de toute indemnité et même de

tout secours.

Les citoyens revêtus d'une fonction publique, et ceux qui portaient les armes pour le service de la patrie, avaient droit à une indemnité égale aux pertes qu'ils avaient souffertes dans leurs propriétés.

Il n'appartenait qu'à l'Assemblée nationale de statuer quelle quotité de dommage devait rester à la charge des citoyens, et dans quels cas ils devaient y être assujétis.

L'expérience ne tarda pas à faire voir l'insuffisance de ce décret; en conséquence, la Convention nationale en rendit un second, le 14 du mois

d'août 1793, par lequel elle essaya de faire disparaître ce qu'il y avait de vicieux dans le premier.

Par ce décret, la Convention déclare, au nom de la nation, qu'elle indemnisera tous les citoyens des pertes qu'ils ont éprouvées ou qu'ils éprouveront par l'invasion de l'ennemi sur le territoire français, ou par les démolitions ou coupes que la défense commune aura exigées de notre part; elle ne prive de tout droit à indemnité que ceux qui seront convaincus d'avoir favorisé l'invasion de l'ennemi, ou de n'avoir pas déféré aux réquisitions ou proclamations des généraux.

Des commissaires nommés par les administrateurs de district et par le gouvernement, doivent faire convoquer les citoyens de chaque commune, et prendre, en présence du conseil communal, les dires et observations de tous ceux qui ont à faire des observations; ils doivent prendre également des renseignemens sur la conduite qu'ont tenue les réclamans lors de l'invasion de l'ennemi et pendant son séjour sur le territoire français, et en faire mention dans leur procès-verbal (1).

Toutes les fois que la perte consiste dans l'enlèvement de la récolte, des meubles ou bestiaux, les commissaires constatent, en présence de la mu

(1) Les commissaires du gouvernement ont été supprimés par un décret du 26 floréal an II (15 mai 1794), qui les a remplacés par des commissaires de district.

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