Page images
PDF
EPUB

de très-près, quand il s'agissait de liberté, d'industrie ou de commerce; ils s'attribuaient le pouvoir de donner arbitrairement des priviléges à des hommes qui n'avaient rien imaginé de nouveau; à plus forte raison devaient-ils croire qu'il leur était permis de donner à l'auteur d'une invention ou à l'introducteur d'un nouveau commerce le privilége de l'exploiter exclusivement, pendant un nombre d'années déterminé; ayant la faculté de concéder sans raison toutes sortes de monopoles, ils n'avaient pas d'autres motifs à donner de leurs concessions que leur pouvoir ou leur volonté.

Cependant, quelles qu'aient été les prétentions des auteurs de découvertes industrielles, jamais le gouvernement anglais n'a proclamé, en principe et d'une manière absolue, que toute invention est la propriété de l'inventeur, et que le premier qui occupe une branche d'industrie ou de commerce, acquiert le droit de l'exploiter exclusivement; jamais il n'a fait de loi ayant pour objet direct et principal de garantir cette prétendue propriété. La prérogative, dont la couronne s'était emparée, d'accorder des priviléges aux inventeurs pour l'exploitation de leurs inventions, n'a été maintenue que par exception, lorsque tous les autres monopoles ont été abolis, et qu'il a été admis, en principe, que la couronne ne pourrait plus en accorder. La reine Élisabeth ayant réduit en monopoles presque tou

tes les branches d'industrie ou de commerce qui avaient quelque importance, la nation anglaise se souleva, sous son successeur, contre un état de choses devenu insupportable. Un acte rendu dans la vingt-unième année du règne de Jacques Ier (ch. 5), déclara nuls et contraires aux lois du royaume tous les monopoles précédemment établis, et défendit d'en accorder de nouveaux, Toutes personnes et corporations furent déclarées incapables d'en exercer ou d'en faire exercer aucun à l'avenir, et il fut ordonné que tout homme qui serait lésé par un monopole, aurait droit au triple des dommages qu'il aurait éprouvés, et au double des dépens qu'il aurait payées pour obtenir justice.

L'article 5 de cet acte ajouta, que néanmoins les dispositions précédentes ne s'étendaient pas aux lettres-patentes et aux concessions de priviléges, accordées pour le terme de vingt-un ans et audessous, à l'inventeur d'une marchandise nouvelle, pour la fabrication et la vente de cette même marchandise, pourvu toutefois que personne ne fût, avant la concession du privilége, en possession de fabriquer ou de vendre des objets semblables, Il fut reconnu, par l'art. 6, que les dispositions qui prohibaient, pour l'avenir, la création de monopoles, ne s'appliqueraient pas non plus aux lettres patentes ou concessions de priviléges qui seraient accordées pour un terme de quatorze ans ou pour

un moindre terme à l'inventeur ou aux inventeurs d'un produit quelconque, pour la fabrication et la vente de ce même produit. Cependant cette exception ne fut admise que dans le cas où nulle autre personne ne serait, avant la concession des priviléges ou des lettres-patentes, en possession de fabriquer des objets semblables. Ces deux articles déclarèrent, en outre, qu'il était bien entendu que les inventeurs qui auraient obtenu des lettres-patentes, ne pourraient en user de manière à violer les lois ou à porter préjudice à l'État, en élevant le prix des marchandises à l'intérieur, ou en nuisant au commerce par quelque moyen que ce fût (1).

La prérogative d'accorder un monopole temporaire à un inventeur pour l'exploitation de son invention, n'a pas été mise par les jurisconsultes anglais au rang des exceptions au droit commun de leur pays, Richard Godson affirme, au contraire, que le statut du roi Jacques a toujours été considéré comme purement déclaratoire de l'existence de cette prérogative. Il observe toutefois que les princes avaient si rarement fait usage de ce pouvoir au profit des inventeurs, que le parlement, en abolissant d'un seul coup tous les monopoles funestes, fut obligé d'offrir un encourage

(1) Richard Godson, Practical treatise on the law of patents for inventions, p. 379-384.

ment aux artistes ingénieux. On ne doit pas perdre de vue, au reste, qu'en affirmant que, suivant le droit commun de l'Angleterre, la couronne a la prérogative de donner aux inventeurs le privilége d'exploiter exclusivement leurs inventions pendant un temps déterminé, cet écrivain ne dit pas que, suivant le même droit, tout inventeur était propriétaire de son invention, et pouvait empêcher toute autre personne d'en faire usage.

Lorsque la révolution française éclata, les hommes qui s'occupaient du perfectionnement des lois, tournèrent leurs regards vers l'Angleterre pour y chercher des modèles; car la GrandeBretagne était alors le seul pays gouverné par un roi, dans lequel il existât quelque liberté. Ils trouvèrent que les auteurs de découvertes industrielles y jouissaient du privilége de les exploiter exclusivement pendant un certain nombre d'années, sous certaines conditions, et ils établirent en France le même regime.

Le 31 décembre 1790, l'Assemblée constituante, sur la demande de quelques artistes, proclama que toute découverte ou nouvelle invention, dans tous les genres d'industrie, était la propriété de son auteur, et que tout moyen d'ajouter à quelque fabrication que ce pût être un nouveau genre de perfection, serait regardé comme une invention; elle alla plus loin, elle déclara que quiconque ap

porterait le premier en France une découverte étrangère, jouirait des mêmes avantages que s'il en était l'inventeur.

L'Assemblée constituante ne pensait pas établir, par ces dispositions, des priviléges ou des monopoles au préjudice de la masse de la population; elle croyait, au contraire, reconnaître des droits inhérens à la nature de l'homme. Il lui semblait même qu'elle devait s'expliquer à cet égard d'une manière si formelle, qu'à l'avenir nul ne pût élever des doutes sur la nature de ces droits. Voici les motifs qui servent de préambule à son décret, et les dispositions par lesquelles elle garantit aux inventeurs ce qu'elle considère comme leurs droits naturels.

<<< Considérant que toute idée nouvelle, dont la manifestation ou le développement peut devenir utile à la société, appartient primitivement à celui qui l'a conçue, et que ce serait attaquer les droits de l'homme dans leur essence, que de ne pas regarder une découverte industrielle comme la propriété de son inventeur;

» Considérant en même temps combien le défaut d'une déclaration positive et authentique de cette vérité, peut avoir contribué jusqu'à présent à décourager l'industrie française, en occasionnant l'émigration de plusieurs artistes distingués, et en faisant passer à l'étranger un grand nombre d'in

« PreviousContinue »