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faire contre la loi qui les déclare responsables des attentats commis à force ouverte sur leur territoire contre les propriétés, consisterait à dire que le gouvernement a trop de part dans le choix de leurs magistrats. Ce serait une raison pour ne pas restreindre leur liberté; mais il serait fâcheux qu'elle les fit affranchir de la responsabilité qui pèse sur elles.

Suivant les dispositions de cette loi, qui est du 10 vendémiaire an 4 (2 octobre 1795), tous citoyens habitant la même commune sont garans civilement des attentats commis sur le territoire de la commune, soit envers les personnes, soit contre les propriétés.

Chaque commune est responsable des délits commis à force ouverte ou par violence sur son territoire, par des attroupemens ou rassemblemens armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les propriétés nationales ou privées, ainsi que des dommages intérêts auxquels ils donneront lieu.

Dans le cas où les habitans ont pris part aux délits commis sur son territoire par des attroupemens ou rassemblemens, cette commune est tenue de payer à l'État une amende égale au montant de la réparation principale.

Si les attroupemens ou rassemblemens ont été formés d'habitans de plusieurs communes, toutes sont responsables des délits qu'ils ont commis, et

contribuables tant à la réparation et dommagesintérêts qu'au paiement de l'amende.

Les habitans de la commune ou des communes contribuables qui prétendent n'avoir pris aucune part aux délits, et contre lesquels il ne s'éleve aucune preuve de complicité ou participation aux attroupemens, peuvent exercer leur recours contre les auteurs et complices des délits.

Dans les cas où les rassemblemens ont été formés d'individus étrangers à la commune, sur le territoire de laquelle les délits ont été commis, et où la commune a pris toutes les mesures qui étaient en son pouvoir, à l'effet de les prévenir et d'en faire connaître les auteurs, elle demeure déchargée de toute responsabilité.

Lorsque, par suite de rassemblemens ou attroupemens, un individu, domicilié ou non sur une commune, y a été pillé, maltraité ou homicidé, tous les habitans sont tenus de lui payer, ou, en cas de mort, à sa veuve et à ses enfans, des dommages-intérêts.

Lorsque, par suite de rassemblemens ou attroupemens, un citoyen a été contraint de payer, lorsqu'il a été volé ou pillé sur le territoire d'une commune, tous les habitans de la commune sont tenus de la restitution, en même nature, des objets pillés et choses enlevées par force, ou d'en

payer le prix, sur le pied du double de leur valeur, au cours du jour où le pillage a été commis.

En Angleterre, il existe une loi analogue à celle de France, pour la garantie des propriétés : les habitans des villes, bourgs ou villages sont responsables des attentats commis contre la propriété, sur leur territoire, par des attroupemens ou rassemblemens (1).

Une nation, de même qu'une commune, devrait être responsable des atteintes portées à des propriétés privées ou communales, toutes les fois que ces atteintes n'ont eu lieu que par la raison que les officiers de l'État n'ont pas fait leur devoir. On ne voit pas, en effet, pourquoi un peuple ne répondrait pas des fautes ou des délits de ses agens, comme une

(1) Statut 57, George III, ch. XIX, § 38.

Les dispositions de la loi française et de la loi anglaise semblent avoir été empruntées aux usages de la Perse. Dans ce pays, suivant Chardin, quand un vol est commis sur un grand chemin, ce sont les gardes des grandes routes qui en répon→ dent. Si un vol est commis dans une ville à force ouverte, les habitans du quartier dans lequel il a eu lieu sont tenus, ou de retrouver la chose volée, ou d'en payer la valeur au propriétaire. Si le vol a été fait secrètement, c'est l'individu chargé de la sûreté publique qui en est responsable. Les magistrats ont un droit proportionnel sur les objets qu'ils font retrouver ou dont ils font payer la valeur. Chardin attribue à cet usage la grande sûreté dont on jouit en Perse. Chardin, Voyage en Perse, t. VI, chap. XVIII, p. 123-127.

commune répond de la négligence, de l'incapacité ou des délits des siens.

Les nations n'obtiennent pas gratuitement la garantie de leurs propriétés ; elles sont obligées de la payer de leurs trésors, de leurs services et quelquefois même de leur sang. Un peuple qui voudrait tout faire faire pour de l'argent, et qui ne voudrait prendre part, ni à la garde de son territoire, ni à la confection de ses lois, ni à l'administration de la justice, ni au maintien de l'ordre intérieur, serait bientôt le peuple le plus esclave. Il n'y a de véritables garanties que pour les nations qui possèdent assez d'énergie, d'activité et de lumières, pour se garder, se donner des lois, s'administrer, se juger, en un mot, pour se gouverner elles-mêmes. Or, il faut pour cela le sacrifice de beaucoup de temps et même de beaucoup d'argent.

On se tromperait cependant si l'on s'imaginait que la liberté coûte plus aux nations que le despotisme; elle est, au contraire, infiniment moins dispendieuse. Si l'on a vu des nations qui semblaient libres, plus chargées d'impôts que des peuples privés de toute liberté politique, c'est que leurs princes avaient été assez riches pour corrompre les hommes chargés de la défense des intérêts nationaux. Avec les contributions perçues sur les citoyens, ils soudoyaient des majorités législatives; et avec ces majorités ils établissaient des impôts pour

pas

acheter leurs suffrages. Montesquieu, quin'avait observé ce jeu, a répandu l'erreur, que la servitude est moins dispendieuse que la liberté; et cette erreur a été défendue, comme une maxime incontestable, par tous les hommes qui, ne pouvant plus mener les nations par la force, ont voulu les gouverner par la corruption. Les Anglais, qu'on a cités pour exemple, supportaient les charges de deux régimes: celles qu'exige la liberté, et celles que faisait peser sur eux la domination de leur aristocratie.

Il ne suffit pas d'ailleurs, pour savoir ce que coûte un gouvernement, de calculer les sommes qu'on paie aux receveurs de contributions, ou les sacrifices de temps auxquels les citoyens sont obligés; il faut faire entrer en ligne de compte les pertes dont il est la cause, ou les bénéfices qu'il empêche de faire. En calculant les sacrifices de tous les genres, qui sont inséparables des diverses formes de gouvernement, on peut aisément se convaincre que le régime sous lequel les propriétés sont le mieux garanties, est celui qui coûte le moins, et qui donne en même temps le plus de sécurité.

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