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prêtres exerçaient sur eux une grande puissance: il eut donc recours à un autre moyen.

« Je ne veux pas, dit-il au primat, vous contraindre à manquer à vos devoirs envers votre prince spirituel; vous pouvez donc vous conformer à ce qu'il vous prescrit; mais comme il ne peut pas exister de gouvernement sans impôts, et comme il ne serait pas juste de faire payer mes autres sujets pour la protection de vos personnes et de vos biens, le gouvernement va cesser d'exister à votre égard. Il n'attaquera point vos propriétés; mais il ne vous les garantira plus : si vous avez contracté des obligations envers ceux de mes sujets qui ne sont pas ecclésiastiques, vous serez tenus de les remplir, car vos créanciers ayant payé leur part des frais de l'administration publique, ont droit à être protégés par elle dans l'exercice de leurs droits; quant à vous, qui ne payez rien, vous protégerez vous-mêmes vos propriétés, et vous ferez exécuter comme vous pourrez les engagemens pris envers vous; et si votre force ne vous suffit pas, vous invoquerez le secours de votre souverain spirituel. >>

Ce que ce prince avait annoncé fut exécuté : il fut interdit à toutes les cours de justice de faire droit à aucune des demandes ou d'écouter aucune des plaintes des membres du clergé ; il leur fut en même temps ordonné de continuer à rendre la

justice à tous les autres habitans du royaume, même contre les ecclésiastiques. Ainsi, en pleine paix, une immense quantité de propriétés se trouvèrent tout à coup privées de garanties légales, quoique aucune faction ne se fût emparée des pouvoirs publics, pour proscrire les proprié

taires.

La défense faite par Edouard aux cours de justice et à tous les officiers de l'ordre judiciaire, ne tarda à être connue des débiteurs et des fermiers du clergé dès ce moment les uns et les autres cessèrent de payer.

pas

« Bientôt, dit l'historien qui raconte ces faits, les ecclésiastiques se trouvèrent dans la situation la plus déplorable; ils ne pouvaient rester dans leurs maisons ou dans leurs couvens faute de subsistance; et, s'ils en sortaient pour chercher des ressources ou de l'appui, les brigands leur enlevaient leurs chevaux, les dépouillaient de leurs vêtemens et les insultaient, sans crainte d'être réprimés par la justice. Le primat lui-même fut attaqué sur un grand chemin, et réduit, après s'être vu prendre tout son bagage, à se retirer avec un seul domestique chez un ecclésiastique de la campagne. >>

Quoique placé dans l'alternative de mourir de faim ou de payer les impôts, le clergé ne perdit pas courage : il lança les foudres de l'excommunication contre les brigands qui l'attaqueraient dans

ses propriétés, et contre les débiteurs sans foi, qui ne lui paieraient pas leurs dettes.

L'excommunication lancée par Boniface VIII, avait été toute puissante: celle de l'archevêque ne produisit aucun effet. Il est vrai que la première affranchissait les membres du clergé d'une partie de leurs dettes, et que la seconde avait pour objet de leur garantir leurs biens.

Enfin, les prêtres, se trouvant dépourvus de tout moyen d'existence, furent obligés de capituler: ils consentirent, non à payer de leurs mains les impôts qu'ils devaient à l'Etat, mais à déposer, dans telle église qui leur serait indiquée, une somme semblable à celle dont ils étaient débiteurs; le roi pouvait l'y faire prendre, s'il consentait à se charger du péché (1).

Il n'était pas dans la nature des choses qu'une masse considérable de propriétés restât long-temps sans garantie; mais, si un pareil état avait dû continuer, il eût été facile de se convaincre qu'à l'exception des choses qui se consomment par le premier usage, et qu'on tient sous la main, une propriété qui n'est pas garantie, est une propriété qui n'a presque point de valeur.

Si l'on veut déterminer, au moins approximativement, quelle est la valeur que la garantie légale

1) Hume, Histoire d'Angleterre.

ajoute à une propriété, il suffit d'examiner quelles sont les principales circonstances, qui rendent une chose précieuse à nos yeux, et de voir comment ces circonstances sont affectées par l'absence de toute garantie.

Nous devons compter, parmi ces circonstances, l'étendue ou l'intensité des jouissances que la chose peut donner; la durée qu'elles doivent avoir; la certitude plus ou moins grande de conserver l'objet qui les produit, le nombre de

qui doivent en profiter.

personnes

La privation de toute garantie fait disparaître complètement la certitude de jouir d'une propriété, pendant un temps assez long pour être apprécié, et le défaut de certitude détruit tout le plaisir que la possession actuelle pourrait causer. La terre la plus belle, l'hôtel le plus magnifique, auraient peu de charmes et de valeur pour un homme qui pourrait à tout instant en être dépossédé par la force, et qui ne trouverait aucun appui dans la société. Ces biens, si estimables et si recherchés, quand la jouissance et la disposition en sont assurées, seraient si peu estimés s'ils n'étaient pas garantis, que nous ne voudrions faire aucun frais pour en prendre possession. Nous préférerions une simple cabane, dont nous aurions la certitude de jouir et de disposer toujours, à un château dont nous pourrions à tout moment être expulsés,

La privation de garantie qui suffit pour prévenir la formation de toute propriété nouvelle, suffit aussi pour faire disparaître en peu de temps les propriétés anciennement formées. Quelque grandes que fussent les richesses du clergé d'Angleterre, quand Edouard Ier les mit hors de la protection des lois, elles auraient été promptement détruites, si elles avaient continué d'être la proie du plus fort. Elles auraient subi le sort qu'ont éprouvé les richesses de toutes les nations qui ont eu le malheur de tomber sous des gouvernemens despotiques.

La mesure prise par Edouard Ier aurait été cependant moins efficace, si, au lieu de frapper des moines, des abbés, des évêques ou d'autres membres du clergé, elle avait été dirigée contre les cultivateurs, les fabricans, les commerçans. Comme une nation ne peut vivre qu'au moyen des produits de ses travaux, elle prendrait le parti de s'organiser et de protéger elle-même ses propriétés, si son gouvernement cessait de remplir ses fonctions. Il est moins difficile à une nation de trouver dans son sein des hommes qui la gouvernent, qu'à des princes déchus de trouver des peuples à gou

verner.

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