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plonger dans la plus profonde détresse des milliers de familles d'ouvriers, et pour condamner leurs enfans à la destruction.

En disant que les classes de la société qui vivent de salaires, sont plus intéressées que les autres à la conservation des propriétés, et à l'existence d'un bon gouvernement, je n'entends pas affirmer que, dans toutes les circonstances, elles comprennent parfaitement leurs intérêts; il leur faudrait pour cela des connaissances qu'il leur est rarement possible d'acquérir.

CHAPITRE XLVII.

Des opinions des jurisconsultes sur l'origine et la nature de la propriété.

LA distinction entre le tien et le mien est aussi ancienne que le monde; il n'en est aucune qui pénètre plus promptement dans l'esprit de l'homme; les enfans la connaissent long-temps avant de savoir parler.

Les idées les plus simples, les plus élémentaires de la propriété sont donc au nombre des premières qui se forment dans l'intelligence humaine; elles sont comprises par les gens les moins éclairés, et cependant il en est peu qui donnent lieu à plus de discussions.

Si l'on observe ce que les hommes entendent ordinairement par des propriétés, on voit qu'ils désignent en général, par ce mot, des choses matérielles, ayant des qualités qui les rendent propres à nous procurer quelques jouissances, considérées relativement aux personnes qui peuvent en jouir ou en disposer dans l'ordre naturel de la pro

duction ou de la transmission, et garanties à ces personnes par l'autorité publique.

Il est cependant certaines propriétés, telles que des fonds de commerce, des clientelles, qui ne consistent dans aucun objet matériel, et qui cependant ont une valeur plus ou moins considérable; mais les propriétés de ce genre n'ont de prix que parce qu'elles produisent des objets matériels, dont la jouissance et la disposition sont assurées aux propriétaires.

En exposant comment se forment les propriétés, et en cherchant à en faire connaître la nature et l'objet, je n'ai attaché à ce mot que le sens qu'on lui donne vulgairement, celui qu'il a dans la pratique ordinaire de la vie, et non celui que lui ont donné quelques jurisconsultes ou quelques philosophes.

Il me semble évident, en effet, que toutes les fois qu'un homme parle de ses propriétés, il désigne en général des objets matériels, des objets qui peuvent, ou satisfaire ses besoins, ou lui procurer certaines jouissances; des objets qu'il a formés ou régulièrement acquis, et dont il peut jouir ou disposer; des objets, enfin, dont la jouissance et la disposition exclusives lui sont garanties par l'autorité publique.

C'est dans le même sens que ce mot est entendu par les constitutions qui garantissent à chacun la disposition et la jouissance de ce qui lui appartient,

et par les lois qui répriment les atteintes qui y sont portées; les hommes n'existent que par les choses, et l'on ne peut attenter à leurs propriétés sans porter atteinte à leurs moyens d'existence.

J'ai précédemment fait observer que les jurisconsultes qui s'étaient exclusivement livrés à l'étude des lois romaines ou des lois sorties du régime féodal, au lieu d'étudier la nature des choses, n'avaient pu se faire des idées exactes de la propriété; l'histoire des Romains et des peuples soumis au régime féodal, se compose, en effet, d'une longue suite d'attentats contre les propriétés, attentats qui étaient toujours sanctionnés

sance publique.

par la puis

Dans leurs relations avec les étrangers; lés Romains ne reconnaissaient presque pas de propriétés; chez eux, toute guerre avait pour objet de s'emparer des biens de leurs ennemis, et de réduire leurs personnes en servitude. Ils mettaient dans le pillage et la distribution du butin l'ordre que met dans la gestion de ses affaires une bonne maison de commerce; jamais, avant eux, aucun peuple n'avait aussi savamment organisé le brigandage.

Dans leurs relations intérieures, les propriétés n'étaient pas beaucoup plus respectées. Une partie de la population, la classe des maîtres, vivait des extorsions qu'elle exerçait sur une autre partie, sur la classe des esclaves. Sous un tel régime, il

n'était pas possible d'admettre en principe que toute valeur appartient à celui qui la crée. Il est incontestable, pour nous, que toute propriété vient originairement du travail; mais comment auraiton pu reconnaître cette vérité, dans un temps où les travailleurs étaient considérés comme la propriété d'un peuple d'oisifs?

Dans les relations que les hommes non esclaves avaient entre eux, ils n'avaient pas, les uns à l'égard des autres, ce genre de probité qu'on observe quelquefois parmi des hommes qui se sont organisés pour le brigandage. L'aristocratie s'emparait des terres conquises, et les faisait cultiver à son profit par ses esclaves; elle faisait également exploiter, dans son intérêt, les arts et le commerce, de sorte qu'elle ne laissait à la masse de la population libre, aucun moyen d'existence.

Dans leurs relations individuelles, ils admettaient qu'un citoyen pouvait devenir la propriété d'un autre; un homme avait la faculté d'aliéner sa femme, ses enfans et ses petits-enfans, et de se vendre lui-même ; le débiteur qui ne pouvait pas payer ses dettes, devenait la propriété de son

créancier.

Quand les factions commencèrent à déchirer la république, les Romains portèrent dans les guerres civiles, l'esprit de rapacité qui les animait dans

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