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corsaires, des prisonniers de guerre et de leur rançon, en un mot, de tous les moyens exclusivement estimés par une tribu de barbares; il ne dit rien des moyens qui enrichissent un peuple policé. Un des écrivains de notre temps, qui s'est placé, par ses ouvrages, au rang des premiers jurisconsultes, a tenté d'expliquer la nature, l'origine et les progrès de la propriété; mais il n'est pas allé beaucoup plus loin que Volf et Puffendorf. Admettant, comme un fait démontré, le système de J.-J. Rousseau sur l'état naturel de l'homme, il a pensé qu'avant l'établissement de l'état civil, la terre n'était

à

personne, et que les fruits étaient au premier occupant. Il a cru que les hommes, répandus sur le globe, vivaient dans un état que les auteurs ont appelé communauté négative, laquelle consistait, ditil, en ce que les choses communes à tous n'appartenaient pas plus à chacun d'eux en particulier qu'aux autres, et en ce qu'aucun ne pouvait empêcher un autre d'y prendre ce qu'il jugeait à propos, pour s'en servir dans ses besoins. C'est là le roman de Grotius. L'auteur partage, au reste, l'opinion de Bentham et de Montesquieu, et confond les propriétés avec les garanties qu'elles obtiennent des lois civiles et des lois politiques (1).

(1) Le droit civil français suivant l'ordre du Code, par M. Toullier, tome 3, 40, $ 64... J.

CHAPITRE XLVIII.

Des définitions de la propriété, par la puissance législative.

DES philosophes et des jurisconsultes célèbres nous ont appris, ainsi qu'on l'a vu dans le chapitre précédent, que la propriété n'est pas inhérente à la nature humaine, et qu'elle ne doit l'existence qu'à la loi civile, c'est-à-dire aux déclarations et à la protection de l'autorité publique. Cette opinion n'a pas été généralement partagée par les peuples qui, après avoir fait la conquête de leur indépendance, ont été appelés à donner à la puissance législative, une organisation et des limites. Tous, en effet, loin de reconnaître à cette puissance la faculté de donner l'existence à la propriété, lui ont imposé le devoir de la respecter et de la protéger.

On trouve à la tête de presque toutes les constitutions américaines, l'énumération des divers objets qui sont, en quelque sorte, placés au-dessus. de tous les pouvoirs sociaux, et qu'il est du devoir de chacun d'eux de respecter et de faire respecter: de ce nombre sont la liberté des cultes, la faculté

de publier son opinion sur toutes choses, celle de défense personnelle, celle d'acquérir et de posséder des propriétés et de les défendre.

Cet exemple a été suivi par la France, dans les diverses constitutions qu'elle s'est données, ou auxquelles elle a été soumise depuis la révolution de 1789. Nous lisons, en effet, dans le titre des Dispositions fondamentales garanties par la constitution, du 3 septembre 1791, que la constitution garantit l'inviolabilité des propriétés, ou la juste et préalable indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice. Nous y lisons, de plus, que le pouvoir législatif ne pourra faire aucune loi qui porte atteinte et mette obstacle à l'exercice des droits naturels et civils consignés dans le présent titre, et garantis par la constitution.

La constitution du 24 juin 1795, la plus démocratique qu'on ait jamais faite, renferme des dispositions semblables. Elle déclare que le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels, et elle met au nombre de ces droits, l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. Elle définit la propriété, le droit qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. Elle ajoute ensuite que nul genre de travail, de culture, de commerce,

ne peut être interdit à l'industrie des citoyens, et garantit ainsi à chacun la faculté de former des propriétés nouvelles. Enfin, après avoir fait connaître quels sont les droits naturels que la constitution garantit, elle déclare que, lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

Ces dispositions, à l'exception de la dernière, ont été de nouveau proclamées par la constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795). Ainsi, on déclare, par cette constitution, que les droits de l'homme en société sont la liberté, l'égalité, la sûreté, la propriété. L'on définit la propriété, le droit de jouir et de disposer de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. Enfin, on déclaré que la constitution garantit l'inviolabilité de toutes les propriétés, ou la juste indemnité de celles dont la nécessité publique, légalement constatée, exigerait le sacrifice (1).

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La constitution consulaire, du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), est muette sur la propriété en général, comme sur tous les droits que les constitutions antérieures avaient garantis. Il semble que les auteurs de cette constitution pré

(1) Art. I, 5 et 358.

2.

voyaient que bientôt ils auraient à rétablir la confiscation dans le Code pénal, et qu'ils écartaient d'avance les obstacles qui auraient pu s'opposer à l'accomplissement de leurs projets.

Le Code civil définit la propriété, le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réglemens. Il déclare, de plus, que nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité (1).

Enfin, la charte de 1814, amendée en 1830, déclare que toutes les propriétés sont inviolables, sans aucune exception de celles qu'on appelle nationales, la loi ne mettant aucune différence entre elles ; et que l'État peut exiger le sacrifice d'une propriété pour cause d'intérêt public légalement constaté, mais avec une indemnité préalable (2).

Il résulte des dispositions qui précèdent que, par les constitutions de 1791, de 1793, de 1795, comme par la charte de 1814, on a voulu mettre toutes les propriétés hors des atteintes qui pourraient y être portées, non-seulement par les particuliers, mais par les divers pouvoirs de l'État.

(1) Art. 544 et 545. (3) Art. 9 et 10.

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