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le tribun Mouricault dans son rapport au Tribunat, en disant : « Quand on considère que c'est au domicile que chacun doit recevoir toutes les citations qui sont à lui faire que c'est là qu'il doit être jugé lorsqu'il défend à des actions mobilières; que c'est là qué sa suc-· cession s'ouvre; que le domicile enfin se constitue par l'habitation de la personne et change au gré de la personne, on demeure convaincu qu'il tient essentiellement à l'individu, qu'il concourt à former l'état civil de la personne, que seul il le complète. >>

Bien différent de ce que nous l'avons vu être en droit romain, où il assujettit aux charges locales, à la juridiction, et au droit local, le domicile a cet effet nouveau qui existait déjà dans l'ancien droit, de représenter la personne; il n'est plus nécessaire de trouver la personne et de l'amener devant le juge, ce qui offrait aux débiteurs le moyen d'échapper aux poursuites de leurs créanciers; les notifications, les assignations se font aujourd'hui au domicile, c'est-à-dire au lieu où une personne est présumée être, où elle a ses intérêts, et où elle est censée ne rien ignorer de ce qui y est adressé pour elle. Il a donc fallu fixer un lieu avec lequel la personne serait dans une relation telle que toutes les significations, de quelque nature qu'elles fussent, qui seraient faites en ce lieu, eussent le même effet que si elles l'avaient été à la personne elle-même. C'est de même ce lieu qui déterminera le tribunal devant lequel une personne sera traduite, car il serait arbitraire qu'une personne pût être appelée devant un tribunal

d'une extrémité de la France, alors qu'elle demeurerait à une autre extrémité.

Le Code ne définit pas le domicile, mais il décide dans l'art. 102 que le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement; or, dans quel lieu un individu a-t-il son principal établissement? si ce n'est dans celui où il a le centre de ses affections, de ses affaires et de ses habitudes, le siége enfin de son existence sociale, rerum ac fortunarum suarum summam (loi 7, Code, Deincolis), au lieu où il s'est établi d'une manière perma. nente et durable, avec l'intention de s'y tenir, de s'y attacher, d'y revenir (ôt ou tard lorsqu'il s'en éloigne. Le domicile est donc le siége légal, juridique de la personne; ce n'est point, à proprement parler, la maison, la construction matérielle ainsi que l'aurait pu faire croire la première rédaction de notre art. 102, ainsi conçue : « Le domicile d'un Français est le lieu où il a son principal établissement; » mais un effet de la loi, une création juridique, une chose intellectuelle et abstraite; et c'est ce qui a fait dire au législateur que le domicile est au lieu où une personne a son principal établissement. Le mot domicile, dit M. Valette (Cours de Code civil, I, p. 124), indique la relation de l'homme avec un certain lieu, telle ville on tel village, et même, dans un sens plus restreint, telle maison où il a le centre de ses affaires et où il revient naturellement, dès qu'il n'en est point écarté par quelque intérêt ou quelque soin temporaire.

Il résulte de ces notions que le domicile diffère entiè

rement de la simple résidence (art. 116 C. civ., art. 2 et 59 C. proc.), bien que nous voyions quelquefois la loi elle-même qualifier de domicile la résidence ou demeure (Code d'inst. crim. art. 87, Code pén., art. 184); le domicile n'existe qu'au point de vue légal (juris est); son existence n'est quelquefois révélée par aucun signe extérieur comme par exemple lorsqu'il s'agit du domicile d'origine; la résidence au contraire n'a rien que de matériel (est facti), elle exige toujours une habitation réelle. (Richelot, Principes du droit civil, I, p. 318).

L'art. 102, avons nous dit, déclare que le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils,est au lieu de son principal établissement; il ne faudrait pas conclure de ces expressions que les droits civils ne peuvent être exercés que dans ce lieu; au contraire, en règle générale, chacun peut exercer partout ses droits civils; on peut en tous lieux, par exemple, contracter, s'obliger, aliéner à titre gratuit ou onéreux; et c'est par exception seulement que la loi exige l'accomplissement de certains actes au domicile même: ainsi le mariage doit être célébré au domicile de l'un des époux (art. 165, C. civ.); l'opposition au mariage doit être faite au lieu où le mariage doit être célébré (art. 176,C. civ.); l'adoption ne peut s'effectuer que devant le juge de paix du domicile de l'adoptant (art. 353, C. civ.), et doit être inscrite au registre des actes de l'état civil de ce lieu (art. 359,-(Demol. I, page 557); - Valette, Cours de Code civil, I, page 125).

Le législateur en parlant de l'exercice des droits civils dans l'art. 102 n'a eu d'autre but que de réserver

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la question de domicile quant à l'exercice des droits politiques; parce que ce sujet devait être régi par des lois spéciales. C'est ce qu'exprime le conseiller d'Etat Eminery (Exposé des motifs: séance du 13 vent. an XI): « Législateurs, le maintien de l'ordre social exige qu'il y ait des règles d'après lesquelles on puisse juger du vrai domicile de chaque individu; il n'appartient qu'à la constitution de poser celles du domicile politique. Les règles du domicile considéré relativement à l'exercice des droits civils, sont du ressort de la loi civile; il n'est ici question que de celles-ci. »

On peut encore se demander pourquoi cet art. 102 parle <«< du domicile de tout Français,» au lieu de dire en termes généraux, « de toute personne; » c'est probablement parce que cet article statue sur le cas le plus général et que comme tout à l'heure l'attention du rédacteur s'est portée sur l'opposition à faire entre le domicile civil et le domicile politique des Français. (Valette, Cours de Code civil, I, page 126). Cependant ces mots ont donné lieu à une grande controverse que nous développerons plus loin, sur la question de savoir si un étranger peut avoir un véritable domicile en France.

Nous nous occuperons à part du domicile politique ainsi que d'une autre espèce de domicile, dite domicile de secours, qui est réglée par le décret du 24-27 vendémiaire an II, tit. 5.

Quant au domicile civil, qui fait l'objet principal de notre étude, nous distinguerons le domicile ordinaire qu'on peut appeler domicile réel ou général, par oppo

sition au domicile d'élection ou spécial, qu'une per

sonne peut choisir dans des lieux divers pour certaines affaires déterminées.

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