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moins possible les peuples, de changer aussi peu qu'il se pourrait leurs institutions nationales, leur droit et leurs usages, afin de leur faire sentir moins le joug auquel ils étaient désormais soumis, de leur faire perdre insensiblement et par une assimilation progressive leur caractère national. Rome voulait en faire des sujets et des amis, en évitant de froisser les susceptibilités nationales, ce qui eût reculé d'autant le but qu'elle poursuivait. Telle fut sa politique, surtout à l'égard des peuples voisins et alliés encore plus qu'à l'égard des peuples vaincus, politique pleine d'intelligence, commençant par une alliance, se transformant en protectorat et amenant peu à peu et définitivement l'annexion à l'État romain du peuple primitivement allié.

Voilà comment s'explique historiquement l'existence d'aussi nombreux municipes et villes libres au sein de l'empire romain, villes ayant conservé leur organisation municipale et leur droit à part, leurs libertés, leurs franchises, leurs priviléges.

Au temps où la constitution romaine avait acquis son plus grand développement, c'est-à-dire vers le commencement de l'empire, voici quelle était la composition du territoire de l'État.

L'Italie, Rome non comprise, était formée d'une masse de communes urbaines, la plupart municipes ou colonies, et aussi de petites communautés secondaires. Chacune d'elles avait sa constitution plus ou moins indépendante, ses magistrats, sa juridiction et

même son droit spécial. Il est même à remarquer que, au temps de l'empire, la vie politique s'est retirée du peuple romain, quant aux affaires de l'État; tandis que dans les villes, la vie municipale avec les comices et la curie jouant le rôle de sénat a pris une force et un développement croissants.

Le droit spécial dont nous parlions plus haut était un reste de la législation que ces villes avaient avant leur réunion à l'empire romain, et que la conquête ne leur avait pas enlevé complétement. C'était un moyen d'adoucir leur soumission nouvelle, et Rome préférait, pour arriver à l'unification du droit, le résultat du temps et des modifications successives au résultat brusque que peut produire la force conquérante, en imposant ses volontés aux vaincus. Les villes conquises, bien que soumises désormais aux lois nouvelles rendues à Rome pour tout le territoire romain, conservaient comme fond de leur droit un droit particulier; souvenir de leur nationalité et de leur ancienne indépendance, plus ou moins différent du droit commun, et tendant à s'en rapprocher chaque jour davantage, sous la main des présidents de provinces et l'influence des rapports de la ville municipale avec la métropole.

Ainsi l'Italie, sauf Rome et son territoire, était comprise tout entière dans les dépendances de ces villes, et tout habitant de l'Italie appartenait à Rome ou à ces villes.

Les provinces mêmes, qui à l'origine avaient des

constitutions toutes différentes de celles des villes municipales, s'en rapprochèrent peu à peu, et au deuxième ou troisième siècle de l'ère chrétienne, époque des grands jurisconsultes, presque tout le territoire romain était constitué comme l'Italie, c'est-à-dire divisé en territoires distincts, ayant pour chefs-lieux des villes; et les habitants de l'empire appartenaient à Rome la capitale, ou à ces différentes villes, qui avaient des institutions et des juridictions particulières et qu'on appelait respublica, civitates; leur territoire, territorium, regio.

Le territoire de chacune de ces villes comprenait les vici et les maisons isolées placées dans ses limites. Loi 30, ad munic. Les habitants de ces villages et de ces métairies étaient soumis à la même juridiction que les habitants de la ville dont ils dépendaient et y jouissaient des mêmes avantages, loi 27, § 1, ad munic. -Festus prétend même qu'il y avait anciennement des viri qui formaient des respublicæ indépendantes; mais peu à peu elles disparurent, englobées avec leurs territoires dans les dépendances d'une ville voisine. Avant d'aller plus loin, nous voulons donner une idée générale de ce qu'étaient les différents éléments qui composaient l'empire romain, jeter un coup d'œil sur les municipes, les colonies, les préfectures, les provinces; car à chacun de ces divers éléments correspondaient un droit varié et un état différent de liberté politique pour les personnes.

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Le sens primitif du mot municipium a été l'objet de longues controverses; c'est un problème historique que nous n'essayerons pas de résoudre. M. de Savigny pense qu'après la loi Julia municipalis, qui, en 664, accorda le droit de cité à l'Italie tout entière, municipium désigna régulièrement une classe principale de villes italiennes, celles qui dans l'origine n'avaient pas été fondées par Rome comme communes, par opposition aux colonies qui étaient fondées par Rome.

Ce nom de municipium n'est pas rare dans les provinces, mais n'y devint pas général, même après la constitution Antonine, et alors, pour désigner une commune urbaine, sans distinguer entre les municipes et les colonies, entre l'Italie et les provinces, on employait un mot général, respublica, civitas, et le mot de municipium conserva son sens spécial et restreint.

A l'origine, ces municipes étaient des villes soumises aux Romains, qui leur laissaient leur organisation particulière intérieure, le choix de leurs magistrats, le culte de leurs religions, leurs pontifes. Mais ces magistrats et pontifes, au lieu d'être à la tête d'une respublica indépendante, ne sont que des agents secondaires, soumis à Rome et surveillés par elle. Ces villes conservent leurs biens, leurs revenus, et avec une partie de leurs impôts pourvoient à leurs dépenses municipales.

Ce titre de ville municipale était stipulé dans les

traités des villes qui se soumettaient au peuple romain, ou bien était accordé postérieurement comme faveur par l'empereur. M. de Savigny prétend même que lorsque le jus Italicum était concédé par le prince à une ville, cela lui permettait de se constituer comme une ville municipale et lui donnait le droit d'avoir une organisation intérieure indépendante.

Lorsque après la guerre sociale, le droit de cité fut octroyé à toute l'Italie, on vit beaucoup de villes n'en pas profiter, parce que les peuples qui usaient de celte concession devaient abandonner leurs institutions municipales et particulières et recevoir leur gouvernement intérieur de magistrats nommés par Rome et souvent envoyés par elle.

Ces municipes participaient jusqu'à un certain point au droit de cité, quelques-uns avaient le just suffragii, le droit de voter dans les comices. D'abord ce droit de vote ne pouvait s'exercer qu'à Rome, et à un moment donné, on voyait les populations des villes s'y diriger et concourir aux élections dans les comices. Auguste décida que ces habitants des municipes ne viendraient plus exercer leur jus suffragii à Rome, mais qu'ils enverraient seulement leur vote par écrit aux magistrats. L'empereur voulait ainsi amener la suppression des comices.

Ces villes municipales eurent leur temps de splendeur et aussi leurs misères: d'abord favorisées par les libertés qui leur avaient été accordées, elles prospérèrent sous la main des magistrats qu'elles se choi

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