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capable, qu'on appliquât à mon œuvre cet éloge de M. de Montalembert :

<«< Au point de vue moral et politique, une telle lecture est la plus utile de toutes: nourriture saine, substantielle pour une jeunesse étrangement attiédie, et qui se proclame désabusée de toute foi; pour un pays lassé des luttes généreuses et tombé en proie aux spéculateurs de tout ordre; enfin, pour une société envahie par tous les scepticismes à la fois. >>

10 Avril 1892.

CORENTIN GUYHO.

L'EMPIRE INÉDIT

ANNÉE 1855

I.

LA CONSTITUTION DU SECOND EMPIRE EXAMINÉE DANS SON

ENSEMBLE.

A la fin de 1854, le second empire était à son apogée. Le régime avait déjà reçu tout son développement, et n'avait encore subi aucune altération.

Il bénéficiait de la tendance démocratique que Tacite a constatée dans ces termes, d'une amère justesse : « La multitude, qui s'est donné un représentant de son aveuglement, pourra bien souffrir un jour qu'on le renverse; mais, en altendant, elle ne peut souffrir qu'on lui résiste. »

La constitution impériale a deux aspects distincts, comme deux buts avérés:

D'un côté, elle détruit;

De l'autre, elle organise.

Ce qu'elle détruit, c'est le gouvernement des assemblées ;

Ce qu'elle organise, c'est l'existence d'un pouvoir personnel, qu'elle veut, selon ses propres expressions, « libre dans ses mouvements et éclairé dans sa marche ». Prenons d'abord le côté négatif, celui qui met fin au gouvernement des assemblées.

L'article 50, qui confie à d'autres qu'aux ministres la discussion des projets de lois devant le Sénat et le Corps législatif; l'article 13, qui supprime la responsabilité collective des cabinets solidaires devant la Chambre des députés; enfin, et surtout, l'article 44, qui interdit aux ministres d'être membres du Corps législatif ces trois dispositions, non seulement coupent court aux abus du régime parlementaire, mais extirpent jusqu'à ses racines.

Dans le préambule de la constitution, le prince Louis-Napoléon défend ainsi cette partie de son

œuvre :

La Chambre, dit-il, n'est plus composée que de deux cent soixante membres : c'est une première garantie du calme de ses délibérations; car, trop souvent, on a vu, dans les assemblées, la mobilité et l'ardeur des passions croître en raison du nombre des députés.

La Chambre n'étant plus en présence des ministres, et les projets de lois étant soutenus par les orateurs du conseil d'État, le temps ne se perd plus en vaines interpel

lations, en luttes passionnées dont l'unique but était de renverser les ministres pour les remplacer.

L'auteur du coup d'État a toujours pris plaisir à vanter le calme fécond du régime représentatif succédant à l'agitation stérile du régime parlementaire : plus de questions de cabinet; plus de crises ministérielles; plus de perpétuels va-et-vient entre les hôtels des ministères et les sièges du palais Bourbon. Le champ des convoitises parlementaires devient aussi restreint qu'il était illimité; c'est la clôture de la chasse aux portefeuilles!

Comment, maintenant, cette même constitution. a-t-elle réalisé ce qui était son second but: organiser << l'exercice rapide et uniforme de l'autorité » ?

Prévost-Paradol a écrit avec raison, dans ses Pages d'histoire contemporaine:

Quel est l'article fondamental de notre constitution? C'est que le souverain est responsable; c'est qu'il gouverne en personne, qu'il se sert à lui-même de premier ministre, et que tous les actes du pouvoir, au dedans comme au dehors, émanent directement de sa volonté.

Suivant le mot de M. Billault, « la France s'était livrée tout entière à lui ». Non seulement il avait le droit souverain de faire grâce, mais le pouvoir exclusivement législatif d'accorder des amnisties (1).

(1) Art. 1er du sénatus-consulte des 25-30 décembre 1852.

Le second empire, pris ainsi dans sa forme et sa période autoritaire, a mis sa confiance en trois auxiliaires, ou plutôt trois instruments: un conseil des ministres non solidaire, un conseil d'État à pouvoirs étendus, et un Sénat à rôle exclusivement constitutionnel. C'est cette organisation que nous allons examiner dans ses différents rouages.

1. LES MINISTRES.

Les conseillers les plus intimes, les collaborateurs les plus directs, ce sont les ministres qu'on veut << honorés et puissants ». Ils aident le chef de l'État à gouverner (1); mais il leur est interdit d'être membres du Corps législatif (2), et ils ne doivent y paraître que pour apporter des messages et des proclamations, par la raison que « ces messages et ces proclamations ne sauraient donner lieu à aucune discussion et à aucun vote » (3).

C'est, en effet, l'idée maîtresse de la constitution du 14 janvier de ne pas laisser entrer le gouvernement dans la Chambre élue, de peur qu'il n'y soit de nouveau retenu prisonnier; c'est la maxime fondamentale du

(1) Art. 3 de la constitution du 14 janvier 1852.
(2) Art. 44 de la constitution du 14 janvier 1852.

(3) Décret organique du 22 mars 1852 sur les rapports des grands corps d'État, art. 58. C'est ainsi qu'a été apporté aux Chambres le message relatif à la guerre d'Orient.

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