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1793.

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Peuple françois! sensible et généreux, les dernières paroles de l'infortuné furent, comme sa vie, consacrées à la liberté. Je suis satisfait, disoit-il en expirant, de verser mon sang pour la patrie; j'espère qu'il servira à consolider la liberté, l'égalité et la souveraineté du peuple.

« Oui, ta mort, ô Le Pelletier! sera utile à la république : ta mort est une victoire sur la tyrannie. »>

Ces pompeux éloges, si bien adaptés à l'esprit du temps, avoient pour but d'attirer tous les regards sur un personnage fort ordinaire, dont on vouloit faire un grand homme. Ce n'étoit pas assez, dans l'intérêt de la faction régicide; il falloit, en rapprochant la mort du roi de celle de l'un de ses plus obscurs sujets, prouver que celle-ci étoit le prélude des vengeances que les royalistes se proposoient d'exercer contre les auteurs et les complices de l'autre, qui, suivant eux, n'étoit qu'un acte de justice nationale. La tâche étoit difficile ce fut Chénier qu'on en char

gea.

Chénier jouissoit, dans l'assemblée, de la double réputation du plus grand poëte de la nation, et d'un des plus ardents défenseurs des droits du peuple. On sait comment il a établi le premier de ces deux titres dans ses tragédies de Charles IX, de Timoléon et de Cyrus. On va voir, dans

le discours suivant, comment il a justifié le second.

« Vous allez, dit-il, léguer à la postérité de grands souvenirs et de grands exemples. Depuis que le peuple françois a secoué le joug de la tyrannie, les annales révolutionnaires n'offrent pas une époque plus imposante que celle où nous avons vu, en même temps, un ami de la liberté tomber sous le fer des assassins, et un tyran tomber sous le glaive de la loi.

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Quel étoit donc le monstrueux pouvoir de la royauté, si, du fond de sa prison et dans son agonie même, elle immoloit encore les fondateurs de la république?

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Toutefois, ce reste de fanatisme et d'idolâtrie que la royauté expirante laisse au sein des ames criminelles ou pusillanimes, bien loin de vous effrayer, vous affermira dans la route que vous devez suivre. Le Pelletier, immortalisé par son assassin, vous montre la palme civique des martyrs de la liberté : il a pris place entre Barnevelt et Sidney.

« Ce n'est point ici une mort vulgaire. Les funérailles de notre collegue doivent avoir un caractère particulier. Que la superstition s'abaisse devant la religion de la liberté! que les images de la patrie remplacent celles du fanatisme, et parlent aux cœurs attendris! que le corps de Le

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Pelletier, découvert à tous les yeux, laisse voir la blessure mortelle qu'il a reçue pour la cause du peuple! qu'une inscription retrace le glorieux motif de sa mort! que le fer parricide, sanctifié par le sang d'un patriote, étincelle à notre vue, comme un témoignage des fureurs de la tyrannie qui continue de nous menacer!

« Nous verrons marcher devant nous l'image de la liberté, seul objet de nos hommages, et la bannière de la déclaration des droits, seul fondement des constitutions populaires. Ainsi Le Pelletier, accompagné de ses vertus, entouré de sa famille, au milieu de la convention nationale, s'avancera vers le Panthéon, où la reconnoissance publique a marqué sa place. C'est là que nous jurerons de nous occuper uniquement du bonheur de la république, de mourir avant qu'elle périsse, et de braver également le poignard des assassins et celui des calomniateurs. >>

Emus par ces discours, tous les membres de la convention oublièrent un moment leurs querelles et leurs torts réciproques; ils se jetèrent dans les bras les uns des autres, en s'écriant : « Plus de haines, plus de divisions entre nous; éteignons nos ressentiments particuliers dans un ressentiment commun. Nous sommes exposés aux mêmes dangers, les mêmes ennemis nous menacent, nous avons besoin

de toutes nos forces pour nous défendre. »

Ce traité d'union, dicté par la peur, ne tarda pas à être rompu par l'intérêt. Déja les chefs du parti qui avoit renversé le trône, ne s'entendoient plus ; déja les rivalités d'ambition, que le procès du roi n'avoit que suspendues, avoient repris toute leur activité. Bientôt le lien qui les avoit momentanément unis fut rompu avec violence; les opinions contraires se montrèrent avec éclat. Les partis se prononcè

rent.

Toutes les sous-divisions de haines, d'intérêt et d'ambition se rangèrent sous deux grandes bannières, sur l'une desquelles on lisoit : république des jacobins ; et sur l'autre, république des girondins.

La première de ces deux factions se composoit des membres de la convention qui, dans leur inflexible opinion, avoient voté la mort du roi, à tous les tours de scrutin, et paroissoient résolus de ne mettre à leur férocité d'autre terme que celui de la mort de tous leurs ennemis.

L'autre avoit pour chefs des hommes. qui, après avoir médité un grand crime, avoient reculé devant sa consommation; et qui dès-lors manifestèrent le dessein de réparer les torts de leurs premiers pas en politique.

Le nom de jacobin qui, dans le principe,

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Divisions

n'étoit qu'un sobriquet méprisable, tiré du lieu où les factieux se rassembloient dans la pour cabaler, devint par la suite un signe conven- de ralliement si redoutable, que la faction qui gouverna la France pendant dix-huit mois, osa l'arborer sur ses étendards.

tion.

Celui de girondins provenoit des députés de la Gironde, qui, dans ce parti, montrèrent du courage et du talent. Ils se distinguèrent, en effet, dans ces temps d'ignominie, par un costume plus décent, un langage plus épuré, des principes plus raisonnables. On les accusa de vouloir établir en France le gouvernement des ÉtatsUnis. Cette accusation est restée sans preuve, et peut-être étoit-elle sans fondement. Il est au moins constant qu'ils avoient rêvé une république, et leur grande faute fut de n'avoir pas prévu les obstacles qu'ils auroient à vaincre pour la fonder.

Les jacobins se firent autant remarquer par l'abjection de leur costume, et la violence de leurs discours, que par l'atrocité de leur conduite. On ne sait s'ils avoient un plan, et si, après avoir renversé de fond en comble l'édifice de la société, ils avoient le projet d'en reconstruire un autre. Ce que nous savons, c'est qu'ils apparurent sur la terre comme ces météores qui menacent d'engloutir tous ses habitants; c'est qu'ils inspiroient une horreur universelle, et qu'ils s'en inquiétoient fort peu.

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