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Esprit de

le 9 ther

néreux, en nous apprenant à voir dans ces mêmes libérateurs, non pas seulement des hommes qui avoient sauvé leur vie en défendant la nôtre, mais des complices de la tyrannie, qui n'avoient renversé le tyran que pour se mettre à sa place.

En recouvrant sa liberté, la convention la conven- reprit tous les pouvoirs que le comité de tion après salut public s'étoit arrogés, et qui l'avoient midor. rendu si odieux. Chacun des membres de cette assemblée se crut un petit souverain, voulut en exercer l'autorité, et ne tarda pas à en abuser.

Les lâches qui n'avoient échappé à l'œil jaloux de Robespierre que par leur soumission ou par leur dextérité, reparurent tout-à-coup sur la scène, criant contre sa tyrannie, et demandant à partager ses dépouilles.

Quelques actes de justice signalèrent les premiers jours qui suivirent notre délivrance. Mais ils furent plutôt l'ouvrage de la peur et de l'indécision des deux partis, qu'un hommage généreux rendu librement aux principes de la liberté.

La convention rapporta la loi du 22 prairial; mais il faut remarquer que cette loi frappoit sur ses membres autant et plus que sur le reste de la nation.

Le sang cessa de couler sur les échafauds, mais le tribunal révolutionnaire fut conservé.

Les comités de salut public et de sûreté générale furent renouvelés, et non pas supprimés.

Les arrestations arbitraires furent suspendues, mais la porte des cachots qui renfermoient cent vingt-cinq mille malheureux, arrêtés arbitrairement, ne s'ouvrit qu'avec d'extrêmes précautions et des lenteurs désespérantes.

On répondoit uniformément à tous ceux qui demandoient la réparation des torts du gouvernement précédent : Craignez, craignez la réaction royaliste. Cette crainte, qui servit de prétexte à la prolongation du gouvernement révolutionnaire, fut aussi le motif qui rallia les foibles et les timides de l'assemblée autour des nouveaux chefs qui se présentèrent pour les protéger.

Autour de Collot-d'Herbois et de BillaudVarennes se réunirent, sous l'ancien nom de montagnards, tous les débris des factions d'Hébert, de la commune de Paris et de Robespierre. Autour de Legendre et de Talien, les débris de la Gironde et les amis de Danton formèrent un autre parti qu'on désigna d'abord sous le nom de thermidoriens, ensuite sous celui de modérés. Les deux partis s'observèrent longtemps, et se firent la guerre à l'œil, avant de s'attaquer ouvertement et à outrance. Lecointre de Versailles, qui n'étoit d'au

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Incendie

bliothe

cun de ces deux partis, et qui n'entendoit rien à leur politique, monta un jour à la tribune pour dénoncer, comme complices de Robespierre, Billaud-Varennes, Barrère et Collot-d'Herbois. Les faits qu'il cita à l'appui de sa dénonciation étoient exacts et atroces. Mais les thermidoriens, qui n'étoient pas prévenus de cette attaque, la trouvèrent intempestive, et refusèrent de l'appuyer. Les montagnards prirent leur silence pour de la crainte, firent déclarer la dénonciation calomnieuse, et sourirent à l'espoir de ressaisir leur ancienne influence.

Dans ce temps-là le feu prit à la poude la bi- drière de Grenelle et à la bibliothèque de que de St.- l'Abbaye Saint-Germain. L'explosion de Germain- la poudrière ébranla une partie de la des-Prés. ville; l'incendie de la bibliothèque rédui

Reaction.

sit en cendres tous les registres des comités révolutionnaires. Cette dernière circonstance désignoit assez clairement le côté où il falloit aller chercher les coupables. Les deux partis s'en accusèrent réciproquement: et comme les deux partis pouvoient avoir raison et se trouvoient alors d'égales forces, l'accusation resta sans preuve et le crime sans punition.

La réaction, qu'on affectoit de craindre à Paris, commençoit à se faire sentir dans les départements, et sur-tout dans ceux de l'ouest et du midi. Toutes les villes où

la tyrannie avoit exercé ses fureurs en demandoient justice à l'assemblée, qui, trop occupée de ses intérêts personnels, ne put ou ne voulut pas la faire. Dèslors chacun se la fit à soi-même. Le fils immola le bourreau de son père, le père celui de son fils, le frère vengea la mort de son frère, ou le déshonneur de sa sœur. L'individu crut pouvoir rentrer dans les droits de la nature, puisque l'autorité publique n'exerçoit pas les siens.

Ces vengeances particulières eurent lieu sur-tout dans le midi, où l'action est aussi prompte que la pensée, et où les terroristes avoient fait couler le sang par torrents. On s'arma ouvertement contre eux. Ce fut là l'origine des compagnies de Jésus et du soleil, et de cette guerre longue et cruelle que se firent les catholiques et les protestants, sous les noms de jacobins et de royalistes.

On réclamoit de toutes parts la punition des membres du comité de salut public, qui avoient échappé à la journée du 9 ther midor, et celle des proconsuls qui avoient porté la désolation dans les départements; mais les proconsuls et les ci-devant membres du comité de salut public avoient des amis puissants, et un parti dans la convention. Ils jouissoient encore d'un immense pouvoir, et ils conservoient surtout celui d'empêcher qu'on ne recherchât

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leur conduite, et qu'on n'accordât à la nation indignée la juste satisfaction qu'elle demandoit.

Pour entendre l'espèce d'inertie dans laquelle des résistances égales retinrent l'assemblée pendant plusieurs mois, et la raison qui l'empêcha de répondre avec franchise à l'appel que, pendant ce tempslà, toute la France ne cessa de faire à sa justice, il ne faut pas perdre de vue la réflexion que voici :

Quelles que fussent les divisions et sousdivisions de parti dans cette assemblée, presque tous ses membres, sortis de la même souche, avoient professé les mêmes principes, et ne différoient alors que dans la manière de les appliquer.

Les modérés avoient tous, ou presque tous, voté l'appel au peuple. Ils désapprouvoient les excès révolutionnaires, et plusieurs d'entre eux, envoyés en mission dans les départements, avoient souvent adouci les ordres barbares dont l'exécution leur étoit confiée.

Les montagnards, qui avoient presque tous voté la mort du roi, vouloient, n'importe à quel prix, prolonger le gouvernement révolutionnaire, parceque là seulement ils trouvoient impunité pour leurs crimes, et garantie pour leur fortune.

Les modérés croyoient à la possibilité d'une république constitutionnelle; ils

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