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il fut presque le seul dont le cœur resta constamment accessible aux sentiments de l'humanité. Il réclama constamment et fortement contre l'incroyable avidité des noirs, qui, en pillant, en égorgeant les blancs, faisoient la traite des négres avec les Espagnols de la Havane.

Une ame aussi élevée, soutenue par un courage intrépide, lui avoit donné une grande influence parmi les hommes de sa couleur; mais n'ayant vécu, depuis l'insurrection, qu'avec eux, ou avec des Espagnols, il ne connoissoit notre révolution que sous les traits que lui prêtoient ses ennemis. Les fureurs des partis qui dévastoient Saint-Domingue n'étoient pas propres à lui donner une bonne idée de ceux qui dominoient en France. Extrêmement attaché à sa religion, dirigé dans ses pratiques de dévotion par des prêtres espagnols, il craignoit, il refusoit de se soumettre à un gouvernement qu'on lui représentoit comme l'ennemi de Dieu et de la religion.

En se rattachant au parti républicain, je ne sais s'il on adopta tous les principes politiques; mais il est certain qu'il conserva ses opinions religieuses, et qu'il réussit, tant par leur influence que par la fermeté de sa conduite, à soumettre les noirs au travail, à rétablir l'ordre dans la colonie, et à s'y faire reconnoître comme chef du

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Dernier

Pologue.

gouvernement. Nous verrons par la suite quel prix il recueillit de son intégrité, de son activité, de sa valeur, et de toutes ses

vertus.

Tandis que la France perdoit dans l'île de Saint-Domingue une des plus grosses branches de son commerce, elle cessoit d'avoir dans la Pologne la plus sincère alliée de sa politique actuelle.

Les Polonois combattoient depuis dix partage ans pour leur liberté personnelle et pour de la leur existence politique. Le succès éventuel d'une telle entreprise étoit fait pour alarmer les voisins de cette république inquiéte et guerrière. Une première invasion et un premier partage avoient suspendu, mais non pas étouffé ses généreux efforts.

De nouveaux outrages avoient provoqué une nouvelle guerre; et pour la terminer sans retour, les trois puissances copartageantes (1) prirent, de concert, la résolution de consommer la ruine d'un pays qui osoit défendre sa liberté. D'autres temps exigeoient d'autres mesures. L'exemple de la France devenoit contagieux, et la contagion étoit redoutable.

Il fut donc décidé que ce qui restoit de la Pologne, après le partage de 1791, seroit encore partagé, et que le peuple polonois seroit rayé de la liste des peuples de l'Europe.

(1) La Russie, l'Autriche et la Prusse.

L'Autriche ne parut d'abord prendre aucune part à l'exécution d'un projet que la politique réprouvoit autant que la morale. La Prusse et la Russie voulurent bien se charger seules de toute la honte qu'il entraînoit, Les vingt mille soldats que le traité de Bâle permit au roi de Prusse de retirer de l'armée du Rhin étoient destinés à renforcer l'armée que le brave Kosciusko, à la tête des Polopois, avoit mise en déroute sous les murs de Varsovie.

Kosciusko, noble polonois, avoit fait la guerre d'Amérique, et servi sous Washington, dont il avoit acquis l'estime et l'amitié par sa bravoure et ses talents. Rentré dans sa patrie, il y vécut dans la retraite jusqu'en 1789; alors il fut élu général-major par la diéte, qui depuis deux ans faisoit d'inutiles efforts pour restreindre l'influence que la Russie exerçoit en Pologne. Employé comme général de division dans l'armée que la république opposoit à celle que la Russie faisoit avancer en Pologne, il y déploya du talent et du courage, s'acquit l'estime des officiers et la confiance du soldat. Il pouvoit rendre de grands services à son pays. Mais la foiblesse de Stanislas qui se soumit sans résistance au joug que Catherine II lui imposa, rendit son zéle inutile. Kosciusko fut un des dix-sept officiers-généraux qui

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donnèrent leur démission aussitôt que la
pacification de 1791 fut signée. Forcé de
s'exiler, il parcourut une partie de l'Eu-
rope, vint en France en 1792, et reçut
de l'assemblée législative le titre vain et
stérile de citoyen françois. Il se rapprocha
de la Pologne en 1794, pénétra, à la
tête de cinq cents hommes, dans le pala-
tinat de Cracovie, et arriva dans cette
ville au moment où les habitants venoient
d'en chasser la garnison russe. Le 24 mars
il fut déclaré chef suprême de la confédé-
ration. Ses pouvoirs n'avoient d'autres
bornes que son honneur son honneur
étoit connu, et jamais il n'abusa de ses
pouvoirs. Dix jours après, ayant appris
que douze mille Russes s'avançoient ra-
pidement contre lui, il sortit de Cracovie
à la tête de quatre mille hommes, dont
la plupart n'étoient armés que de faux
et de piques, et leur livra bataille à Wra-
clavice. Le combat dura quatre heures;
les Russes furent battus complétement,
perdirent trois mille cinq cents hommes
et douze pièces d'artillerie. Sa petite ar-
mée victorieuse devint bientôt le noyau
d'une armée de soixante mille hommes
à la tête de laquelle il arriva sous les murs
de Varsovie, que Frédéric - Guillaume
assiégeoit, et qu'il força de se retirer
après plusieurs combats avantageux.

Cependant les Russes, ayant à leur tête

Suwarow, s'étant emparés des villes de Cracovie et de Grodno, s'avançoient à marches forcées sur Varsovie. Kosciusko en sortit avec vingt mille hommes, courut à leur rencontre, et les attaqua sans délai. Après trois charges malheureuses, il voulut tenter un dernier effort; il fut blessé, renversé, et fait prisonnier.

En le perdant, les Polonois perdirent l'ame de leur confédération, et leurs af faires ne furent plus dès-lors qu'une suite de désastres.

Suwarow fut bientôt aux portes de Varsovie. Le faubourg de Prague, séparé de la ville par la Vistule, étoit défendu par vingt-six mille hommes déterminés à vaincre ou à périr, et par cent pièces de canon. Rien ne put arrêter l'impétuosité des Russes. Trois fois ils montèrent à l'assaut, trois fois ils furent repoussés avec des pertes énormes. La quatrième fois ils emportèrent les retranchements et pénétrèrent dans le faubourg. Dix mille Polonois périrent par le feu, ou se noyèrent dans la Vistule. Dix mille restèrent prisonniers, et six mille furent passés au fil de l'épée. La ville, après cette terrible catastrophe, se rendit à discrétion. Tous les citoyens furent obligés de livrer leurs armes. On leur accorda sûreté pour leur vie, et le pardon du passé.

Le roi, témoin de ces désastres, n'en

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