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1795.

Tableau

rieur.

Mais on dut sentir alors la grandeur de la
perte que nous avions faite par l'éloigne-
ment et la proscription des officiers de
la marine royale ; et nos ennemis eux-
mêmes furent forcés de convenir que, sans
la désorganisation que les événements
de la révolution avoient introduite dans
notre armée navale, il n'est pas certain
la victoire fût restée de leur côté.
Il est temps de rentrer dans l'intérieur
de la France, dont le tableau va nous of-
frir des scènes, moins terribles peut-être,
mais non moins affligeantes que celles
qui ont fixé notre attention dans les pre-
miers jours de la convention.

que

Le règne de la terreur étoit passé : celui de l'inté- de l'anarchie commençoit ; et je ne sais si l'un est plus desirable que l'autre. Le sang ne couloit plus sur les places publiques, on n'entendoit plus retentir les cris de mort du matin au soir, on ne craignoit plus d'être arrêté dans son lit. Mais, sur les places publiques régnoit le silence des tombeaux, les rues étoient encombrées de mendiants, les boutiques restoient désertes ou fermées; tous les intérêts étoient froissés, toutes les lois muettes, tous les cœurs découragés, et, pour comble de misère, le peuple mouroit de faim.

La disette s'étoit annoncée peu de temps après le 9 le 9 thermidor. Elle avoit son principe, non pas précisément dans le man

que des denrées, mais dans la crainte qu'on avoit d'en manquer. Le premier effet de cette crainte est l'accaparement. Ceux qui ont le moyen d'acheter du blé en achétent, et le cachent. Les pauvres murmurent, meurent de faim, ou se soulèvent.

Les pauvres avoient été nourris gratuitement pendant les jours de la terreur : ils étoient des auxiliaires que la tyrannie retenoit à sa solde, et qu'elle payoit avec un morceau de mauvais pain.

Mais une fois la tyrannie renversée, les auxiliaires devinrent inutiles, et leur solde fut une charge sans bénéfice.

On auroit voulu la supprimer tout-àfait; on se contenta de la diminuer. Le peuple fut réduit, pendant plusieurs jours, à deux onces d'un pain noir, mal cuit, et mal sain.

Tous les partisans de la tyrannie n'étoient pas tombés avec elle: ceux qui lui avoient survécu conservoient l'espoir de la relever par la misère du peuple. Ils commencèrent par lui insinuer d'aller demander du pain à la convention, et ils finirent par lui crier sur les places publiques d'aller demander du pain et la constitution de 93. Ces cris devinrent bientôt le signal de la révolte.

Le gouvernement, qui n'avoit ni force ni direction, ne savoit ni punir ni récompenser. Chaque jour des lois de circon

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stance manifestoient son embarras, chaque jour le discrédit des assignats annonçoit une banqueroute prochaine, chaque jour la dépravation du peuple augmentoit avec sa misère. Le plus froid égoïsme étoit réduit en système, la bonne foi étoit tournée en ridicule. Sous le nom de divorce, la prostitution étoit devenue légale, et le suicide étoit populaire. Jamais, depuis Louis XIV, la France n'avoit cueilli plus de lauriers qu'à cette époque, jamais elle n'avoit brillé d'un plus grand éclat militaire, tandis que, dans son intérieur, jamais, depuis Charles VI, la nation n'étoit tombée dans un tel degré de misère et d'abaissement.

que

C'étoit précisément à cette extrémité l'attendoient ses ennemis, pour reprendre sur elle l'empire que le 9 thermidor leur avoit enlevé.

Ici commence cette longue série de complots ténébreux, de conspirations ouvertes, et de soulèvements populaires qui ont agité la France pendant plus de sept mois, et lui ont fait presque autant de mal que la tyrannie sanguinaire qui l'avoit précédée. Cet état n'étoit pas naturel, il fut produit et entretenu par des agents secrets, qui n'ont jamais été reconnus, mais qui ont été soupçonnés. La foiblesse du gouvernement, qui paroissoit en être la cause, n'en étoit que le voile et le pré

texte. Et les jacobins, qu'on vit toujours sur la brèche et aux premiers rangs de l'insurrection, n'en étoient probablement les instruments aveugles, ou tout au plus que les acteurs secondaires.

que

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Les premiers symptômes du mouve- Mouvement populaire, que l'on préparoit de ments polongue main, se manifestèrent, suivant pulaires. l'usage, 1o par des groupes, au milieu desquels un orateur faisoit un tableau lamentable des misères du peuple, et une critique amère des opérations du gouvernement; 2o par des chansons patriotiques et des complaintes en prose et en vers contre les riches et les accapareurs; 3° par des libelles à deux sous, qu'on jetoit dans les boutiques, et qu'on distribuoit à la porte des spectacles. Dans les rues et sur les places publiques, des femmes ivres d'eau-de-vie, et des hommes à longue barbe demandoient du pain et la constitution de 93.

La convention crut devoir prendre enfin quelques mesures de sûreté. Elle rappela Pichegru des armées, et le mit à la tête de la garde nationale de Paris. Syeyes proposa, et l'assemblée adopta un décret qui déclaroit que, dans le cas où la convention seroit dissoute par une insurrection populaire, elle se réuniroit à Châlons-surMarne.

Ces mesures n'effrayèrent point les con- Insurrec

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Journée

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spirateurs, dont le plan commença à se développer le 6 germinal an 3 (27 mars 1795). Un rassemblement d'hommes et de femmes, qui se faisoient précéder par une bannière, sur laquelle on lisoit: Les droits de l'homme et la constitution de 93, et qui se faisoient suivre par tous ceux qu'ils rencontroient dans les rues, s'avançoit vers les Tuileries, et annonçoit le dessein de faire un 31 mai. Ce jour-là, ils n'arrivèrent pas jusqu'au château. La fermeté de quelques officiers municipaux suffit pour les arrêter en chemin. Ils s'en retournèrent, mais en déclarant qu'ils ne tarderoient pas à revenir.

En effet, le surlendemain, les hommes du 8 ger- des faubourgs se rassemblèrent en plus grand nombre, et, munis d'instructions plus précises, ils arrivèrent tumultueusement aux portes de la convention, qu'ils se firent ouvrir, en menaçant de les enfoncer. Ils entrèrent dans la salle au moment où l'on délibéroit de quelle manière on les recevroit. Ils entrèrent en criant : Du pain et la constitution de 93.

Le désordre étoit au comble dans l'assemblée. Les anciens partisans de Robespierre, du haut des bancs, connus sous le nom de la montagne, animoient le płe du geste et de la voix.

peu

Pendant ce temps-là, le tocsin sonnoit à la Ville, et, dans les sections, la géné

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