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Jacobins,

d'une ville de commerce: elles se dissipèrent ou se refroidirent au sein d'une ville corrompue par le luxe, et dans une assemblée d'hommes qui, ne songeant qu'à leurs intérêts privés, le secondèrent dans sa révolte contre la monarchie, et l'abandonnèrent lorsqu'il fut question de fonder une république.

NOTICE SUR LES PRINCIPAUX JACOBINS.

Collot-d'Herbois, comédien ambulant avant la révolution, se fit, en 1791, une petite réputation littéraire, par un opuscule intitulé l'Almanach du Père Girard, auquel il attacha lui-même une si haute importance, qu'il se crut propre à toutes les places, et qu'il demanda celle de ministre de la justice au roi. Le refus qu'il essuya lui donna beaucoup d'humeur et en fit un des énergumènes du parti populaire. Nommé député par l'assemblée électorale de Paris, il fut un des membres les plus féroces de la convention. Il parloit avec facilité; et par des images hardies, des tours souvent heureux, une déclama tion véhémente, il trouva le secret de se faire écouter avec assez d'intérêt, pour que Robespierre fût jaloux de ses succès, Il étoit d'une taille moyenne; il avoit le teint brun, la chevelure crépue, le regard sombre et tous les traits d'un conspirateur de théâtre,

Couthon, avocat à Clermont en Auvergne, avant la révolution, se rangea dans le parti de Robespierre, suivit tous ses mouvements, appuya toutes ses motions, et fut le persécuteur le plus acharné du parti de la Gironde. Cet homme étoit cruel de sang-froid; il affectoit le langage de la modération, en signant et en commandant les actes les plus atroces. Il étoit perclus de la moitié de son corps.

Danton avoit une taille colossale, des formes athlétiques, des traits hideux et une voix effrayante. « Je n'ai jamais rieni vu, dit madame Roland, qui caractérisât si parfaitement le crime et la débauche en même temps. Pour le peindre en situation, il faut se le représenter tenant un poignard à la main, excitant du geste et de la voix une troupe d'assassins moins féroces que lui; ou, content de ses forfaits, indiquant par le geste qui caractérise Sardanapale, ses habitudes et ses penchants ». Mirabeau, qui avoit besoin de personnages de cette espéce pour effrayer la cour, se servit de Danton, dit un écrivain du temps, comme d'un soufflet de forge pour enflammer les passions populaires.

« Quant à Fabre-d'Églantine, dit encore madame Roland, affublé d'un froc, armé d'un stylet, occupé d'ourdir une trame pour décrier ou perdre l'innocence, il est

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si parfaitement dans son rôle, que quiconque voudroit peindre le tartuffe le plus scélérat, n'auroit qu'à faire son portrait ainsi costumé (1). » Avant la révolution, Fabre-d'Églantine se fit siffler comme comédien; comme auteur des deux comédies, l'Intrigue épistolaire et le Philinte de Molière, il fut applaudi et mérita de l'être. Pendant la révolution il fut l'ami, le compagnon, le conseiller et le panégyriste des proconsuls qui portèrent dans toute la France le fer, le feu, la dévastation et la mort.

On a peine à croire aujourd'hui que Marat, qui étoit un monstre au physique commeaumoral, qui avoit une tête énorme sur un très petit corps, le regard louche, la figure blaffarde, des cheveux gras, des vêtements sales, un esprit borné, une imagination folle et un cœur féroce, on a peine à croire, disons-nous, qu'un monstre de cette espéce ait été, pendant dix-huit mois, une idole populaire; et cependant rien n'est plus vrai. C'est que cet homme, mauvaise copie des tribuns de Rome, prêchoit comme eux l'égalité et le partage des terres: il fut plus hardi, il prêcha pendant dixhuit mois le pillage, le meurtre et la révolte ses protecteurs le méprisoient, la

(1) Nous avons cru devoir conserver le texte de cette phrase, malgré son incorrection, à cause de sa tournure originale.

canaille le suivoit; il inspiroit à tout le reste la frayeur qu'inspire un chien enragé aux femmes et aux enfants.

Robespierre est encore aujourd'hui un mystère inexplicable pour bien des hommes; il est en effet difficile de comprendre comment ce personnage, sans aucun des talents qui commandent l'admiration, sans aucune des qualités qui inspirent la confiance, parvint de l'état le plus obscur, à ce haut degré de puissance qui mit la France à ses pieds, et fit trembler l'Europe pendant deux ans,

Son maintien équivoque, sa figure livide, sa vue basse, sa voix éteinte, n'é

toient pas des moyens propres à séduire

la multitude. Et comment, sans courage, sans imagination, avec un esprit sec, un ton timide et réservé, parvint-il à subjuguer ses collégues et à s'emparer de tous les pouvoirs? Il n'y a point d'effet sans cause. En cherchant avec quelque attention celle de la tyrannie de Robespierre, on la trouveroit peut-être dans la bassesse même des moyens qu'il employa. La nature lui avoit donné la patience qui tient lieu de courage, et la ruse qui renverse quelquefois la force. Toujours lâche et adroit, il ne prit qu'une part secondaire aux journées du 20 juin et du 10 août, qui décidèrent la chute de la monarchie; et il trouva le secret de s'en faire adjuger le prix.

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Dans ses discours d'appareil, dans sa conduite publique, il caressoit tous les préjugés de la multitude : jamais il ne descendit jusqu'à flatter ses goûts dans sa conduite privée; il connoissoit le danger de la familiarité. Lorsque ses rivaux dépouilloient les châteaux et les églises, et affichoient un luxe scandaleux en prêchant le sans-culotisme, il ne voulut point partager leurs fortunes; il ne blama pas leur conduite, mais il resta simple dans ses meubles, frugal à ses repas, et sans nul empressement pour les richesses: son désintéressement lui fit beaucoup de partisans. Il étoit menaçant et terrible quand il attaquoit, modeste et caressant quand il se défendoit. Il n'avoit, disoit-il, pour amis que ceux de la liberté, et pour ennemis que les tyrans, les fanatiques et les ennemis du peuple. Cette double tactique lui réussit à merveille.

Danton et Camille Desmoulins furent ses meilleurs amis, les colonnes les plus solides de la liberté, tant qu'il eut besoin d'eux pour étendre son influence sur les jacobins, tant qu'ils servirent ses projets ambitieux. Danton et Camille Desmoulins portèrent leur tête à l'échafaud le jour qu'ils osèrent se déclarer contre lui. Pendant les jours de sa puissance, il étoit l'incorruptible Robespierre, le sauveur du peuple, le libérateur des nations,

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