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travaux, leurs canons et leurs équipages, pour éviter un plus grand malheur (1).

Les mouvements combinés de Clairfait et de Wurmser contraignirent également Pichegru d'abandonner Manheim à ses propres forces, de se retirer de l'autre côté du Rhin et de prendre position à Landau. Ainsi la fin de cette campagne, qui avoit commencé d'une manière si brillante et promettoit tant de succès, fut très malheureuse pour la France, et rejeta nos armées sur les points d'où elles étoient parties quatre mois auparavant.

Nous allons rentrer avec elles, et voir ce qui se passe dans l'intérieur.

Les esprits, fortement ébranlés par les mouvements populaires des premiers jours de prairial, commençoient à se calmer, lorsqu'un événement d'un autre genre s'empara de l'attention publique, et partagea vivement les opinions. Louis XVII mourut au Temple. Les uns, et c'étoit le plus grand nombre, pensèrent que sa mort étoit la suite des mauvais traitements qu'il avoit essuyés dans sa prison. Les autres voulurent bien se persuader qu'elle avoit

(1) Il est juste et même nécessaire de remarquer que Pichegru, qui devoit protéger la droite de l'armée de Jourdan, ne put ou ne voulut pas faire son devoir; et, par cette faute, dont nous verrons le motif plus bas, il fut en grande partie la cause de l'échec qu'éprouva l'armée de Jourdan devant Mayence.

1795

1795.

Histoire

et mort

de Louis XVII.

été hâtée par la politique ombrageuse des comités, et qu'elle étoit la suite immédiate d'un breuvage empoisonné.

Louis XVII, né à Versailles le 27 mars 1785, avoit reçu à sa naissance le titre de duc de Normandie, qu'il quitta pour celui de dauphin, lors de la mort de son frère aîné, Louis-Xavier, décédé à Meudon, le 4 juin 1789....

Il étoit âgé de sept ans lorsque la catastrophe de ses augustes parents l'entraîna avec eux du palais des Tuileries dans la prison du Temple.

Il étoit doué d'une figure charmante. Il annonçoit un esprit juste, et toute la bonté de son père. Hélas! c'étoit une fleur précoce que l'orage devoit flétrir avant le temps, et qui n'étoit pas destinée à porter

des fruits.

Les malheurs de sa famille avoient développé de bonne heure sa sensibilité et son intelligence, Dans les premiers mois de sa captivité, le roi voulut la cultiver lui-même, en lui donnant des leçons d'histoire, de langue latine et de géographie; et voici quelle étoit la distribution des heures et des occupations de ces illustres prisonniers.

Le roi se levoit régulièrement à six heures. Après son lever, Cléry, son valet-dechambre, se rendoit chez la reine, où couchoit le jeune prince, et faisoit så toilette.

A neuf heures, la reine, ses enfants et Madame Élisabeth, montoient dans l'appartement du roi, pour déjeûner.

A dix heures, toute la famille redescendoit chez la reine et y passoit la journée. Alors le roi donnoit des leçons à son fils, tandis que de son côté la reine s'occupoit de l'éducation de Madame Royale (1).

A une heure, lorsque le temps étoit beau, les commissaires de la municipalité, geoliers farouches de la famille royale, lui permettoient d'aller se promener une heure dans le jardin. Pendant la promenade, le jeune prince s'exerçoit au ballon, au palet, à la course et aux jeux de son âge.

A deux heures, la famille royale remontoit dans la tour et dînoit frugalement. La reine tâchoit d'oublier ses chagrins, et donnoit à son mari et à ses enfants l'exemple d'une sérénité qu'elle étoit loin de ressentir au fond du cœur.

Après le repas, LL. MM. faisoient une partie de piquet ou de trictrac, pendant laquelle les deux enfants causoient ou jouoient à quelques jeux.

A quatre heures, le roi prenoit une heure de repos, pendant laquelle le reste

(1) Madame Royale, aujourd'hui duchesse d'Angoulême, avoit alors quinze ans, étant née le 19 décembre 1778.

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de la famille lisoit, travailloit et gardoit le 1795. plus profond silence.

Lorsque le roi étoit réveillé, Cléry venoit donner au jeune prince, sous les yeux de son père, des leçons d'écriture et d'arithmétique.

Vers la fin du jour, toute la famille, rangée autour d'une table, entendoit une lecture, que faisoit la reine, de quelque bon livre d'histoire, de morale ou de littérature. Cette lecture, quelquefois interrompue par les réflexions du roi, duroit jusqu'à huit heures; alors on servoit à M. le dauphin son souper, pendant lequel le roi s'amusoit à faire deviner à sa famille des énigmes tirées des anciens Mercures de France.

On couchoit le dauphin à neuf heures et demie; la reine ou Madame Élisabeth restoient alternativement auprès de son lit, tandis que le roi soupoit.

Après souper, le roi alloit embrasser ses enfants, donnoit la main à la reine et à Madame Élisabeth, en signe de bonsoir, et remontoit dans son appartement.

Quelque différente que fût une telle vie de celle de Versailles, au milieu de la plus brillante, cour, de l'univers, elle étoit encore supportable, on peut dire même qu'elle étoit douce en comparaison de celle qui la suivit, lorsque le roi d'abord fut séparé de sa famille, lorsque la reine

ensuite fut séparée de son fils, lorsque ce malheureux fils enfin fut livré aux soins affreux de l'infame Simon, cordonnier, alors membre de la commune de Paris (1). Malgré son extrême jeunesse, le dauphin sentoit vivement la douleur de son horrible captivité, et il laissa plus d'une fois échapper avec impatience les signes de cette douleur.

Un des commissaires de cette odieuse commune, nommé Mercerant, jadis maçon, d'un caractère grossier et d'une hu meur atrabilaire, trouvant que le dauphin n'avoit pas pour lui le respect qu'il croyoit mériter, s'en formalisa, et lui dit avec brutalité: «< Sais-tu bien, Capet, que la liberté nous a rendus tous libres, et que nous sommes tous égal, »

Égal: tant que vous voudrez, lui répondit le jeune prince en riant, mais pour libres cela n'est pas vrai,

Vers la fin de décembre 1793, la femme. de son farouche gardien tomba malade, M. Naudin, chirurgien de l'Hôtel-Dieu, fut appelé au Temple pour la soigner. Il prescrivit un régime; et au moment où il se retiroit, Simon, qui étoit à table, voulut obliger le jeune prince à chanter des

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(1) Ce misérable fut compris dans la proscription que la convention prononça contre la commune de Paris le 9 thermidor, et subit avec elle un supplice - trop doux pour les crimes qu'il avoit commis.

1795.

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