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1795.

ce

tion des droits. Pouvoit-elle oublier que n'est pas du bonheur commun, mais bien de la défense commune, que doivent s'occuper les législateurs et les gouverne

ments?

Si le but de la société étoit le bonheur commun, qui plus que Robespierre et Babeuf, auroit mieux mérité de la patrie? Qui a plus souvent et plus éloquemment parlé des droits du peuple et du bonheur commun, que ces deux scélérats?

Si le bonheur commun étoit le but de la

société il n'y a pas de tyran, si féroce qu'il
fùt, qu'on pût convaincre de tyrannie,
car il n'y en a pas qui ne puisse prouver
qu'une combinaison de malheurs plus ou
moins étendus, plus ou moins affreux,
est un moyen
d'arriver à ce bonheur com-

mun.

La nouvelle constitution avoit un autre inconvénient, c'est qu'elle n'offroit aucune garantie de sa durée ; parceque ses fondateurs avoient négligé de contre-balancer les pouvoirs, de manière à éviter les collisions fréquentes et les chocs violents. Le corps législatif et le directoire paroissoient deux athletes vigoureux jetés dans l'arène pour se partager, plutôt que pour maintenir, des pouvoirs mal définis, et qui tôt ou tard devoient se livrer un combat à mort. Si la lutte se terminoit par des décrets, le corps législatif devenoit

une autre convention; si les baïonnettes
décidoient la question,
le gouvernement
militaire remplaçoit la république.

Le troisième inconvénient de la nouvelle constitution, c'est que ses auteurs ne prirent aucun moyen de surveillance dans le choix des hommes destinés à la protéger. Et ce ne fut pas faute de lumières, car le rapporteur les avoit suffisamment avertis, en terminant ainsi son dis

cours.

« Si le peuple fait de mauvais choix, s'il accueille l'intrigue qui l'obséde, et néglige le mérite qui le fuit; s'il nomme des admi nistrateurs sans propriétés, des juges sans expérience, des législateurs sans vertu; s'il se livre encore à un démagogisme féroce et insensé; s'il prend des Marat pour ses amis; des Fouquier-Tinville pour ses magistrats; des Chaumette pour ses municipaux; des Henriot pour chefs de sa force armée; des Vincent, des Ronsin pour ses ministres; des Robespierre et des Châlier pour ses idoles : si même, sans faire des choix aussi infames, il n'en fait que de médiocres; s'il n'élit pas exclusivement de vrais et de francs républicains, alors, nous vous le déclarons solennellement et à la France entière qui nous écoute, tout est perdu. Le royalisme reprend son audace, le terrorisme ses poignards; le fanatisme ses torches incen

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d'aires. La liberté est anéantie, la république renversée, la vertu n'a plus pour elle que le désespoir et la mort; et il ne vous reste plus à vous-mêmes qu'à choisir entre l'échafaud de Sydney, le glaive de Caton et la ciguë de Socrate. »

Jamais de plus sages conseils ne furent et plus vivement applaudis et plus vite oubliés.

Les assemblées primaires furent convoquées pour l'acceptation de la nouvelle constitution. La France, ébranlée jusque dans ses fondements par les terribles secousses qu'elle avoit essuyées depuis six ans, et attentive à tout ce qui se passoit dans une assemblée qui avoit souvent frustré ses espérances, crut voir le moment où elles alloient se réaliser, où elle alloit retrouver ses forces et la liberté. Hélas! elle fut encore abusée. Le grand changement qui va s'opérer tout-à-coup sur notre scène politique, mérite une attention particulière, et demande, pour être compris, des explications prélimi

naires.

Depuis l'établissement de la convention tous les partis qui l'avoient ou divisée ou subjuguée, crioient également : Vive la république! Mais tous ces cris n'étoient pas également sincères : ils servoient aux uns à couvrir des pensées qu'il n'étoit pas permis de révéler, aux autres à masquer

des projets qu'il eût été dangereux de publier. Dans tous les partis se trouvoient des hommes profondément dissimulés qui, n'osant servir leur cause que sous des bannières étrangères, ne s'occupoient que des moyens de précipiter dans de fausses mesures le parti qu'ils avoient l'air de servir en un mot, il y avoit des royalistes déguisés dans le parti des terroristes, et des terroristes cachés dans celui des républicains.

Les conventionnels républicains, qui n'ignoroient pas le secret de cette alliance, et qui n'étoient pas assez forts pour la combattre en face, crurent qu'ils en détruiroient l'effet en mettant les partis aux prises, et en les faisant combattre l'un contre l'autre. C'est ainsi qu'après les journées de prairial, le parti royaliste gagna en force ce que perdit le parti terroriste; aux journées de vendémiaire, celui-ci prit sa revanche, et les royalistes succombèrent. Mais ce système de contrepoids qui nécessite un mouvement continuel, ne conduit au repos que par des frottements qui usent tous les ressorts, ou par la lassitude qui paralyse toute l'action, et dans les deux cas, laisse tomber le gouvernail dans les mains du premier ambitieux qui osera s'en emparer.

La constitution de 1795 renfermoit quelques dispositions sages qui sembloient de

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Décrets

des 5 et 13 fruct.

Mécon

tentement de

Paris.

voir garantir la France des désordres précédents. Les royalistes eux-mêmes la regardèrent comme une transition supportable vers un ordre de choses que la nécessité devoit amener tôt ou tard.

Mais les espérances avouées par la sagesse, et celles que suggéroient tous les genres d'ambition, furent bientôt déçues, quand on apprit le dessein qu'avoit la convention de présider elle-même à l'essai de son nouvel ouvrage.

Les 5 et 13 fructidor, elle rendit deux décrets par lesquels elle déclaroit que deux tiers de ses membres feroient nécessairement partie du nouveau corps législatif.

Une vive opposition éclata de toutes parts contre ces décrets. La liberté des opinions n'avoit jamais été plus grande qu'à cette époque. On se permit de tout dire à une assemblée qui se permettoit de tout faire. On l'attaqua par ses propres principes. Les orateurs d'une des quarante-huit sections de Paris osèrent dire à sa barre :

« Méritez notre choix, ne le commandez pas. Vous avez exercé une puissance sans bornes; vous avez réuni tous les pouvoirs, celui de faire les lois, celui de les reviser, celui de les changer, celui de les faire exécuter. Cet ordre de choses doit cesser. »

On lui disoit dans une autre adresse :

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