Page images
PDF
EPUB

1795.

les plus atroces, n'étoit pas tranquille sur le sort qu'on lui réservoit, dès qu'elle auroit déposé ses pouvoirs. Ce n'étoit pas dans un moment d'aussi grande irritation qu'elle pouvoit se résoudre à cette abdication; elle n'avoit d'asile que dans la continuation de son autorité, et de ressources que dans la force. Ses adversaires l'avoient maladroitement réduite à cette alternative, ou de se voir anéantie avec son ouvrage, ou de soutenir l'un et l'autre par les armes. Il étoit aisé de prévoir qu'une assemblée accoutumée depuis trois ans au pouvoir absolu, prendroit ce dernier parti.

Mais, une fois pris, elle devoit croire en même temps qu'elle n'avoit plus rien à ménager contre des ennemis qui se proposoient de la traiter sans ménagement. Elle ne se contenta pas des soldats qu'elle avoit fait venir pour sa défense, elle alla chercher des alliés jusque dans les cachots,et parmi ces terroristes qu'elle avoit combattus et défaits dans les journées de prairial. Cette dernière mesure mit le comble à ses iniquités.

Les villes voisines et les départements éloignés étoient livrés aux mêmes troubles et aux mêmes divisions que Paris. Des émeutes et des soulèvements avoient eu lieu à Évreux, à Châteauneuf, à Mantes, à Chartres... Dans cette dernière ville,

un député, nommé Le Tellier, fut entouré de factieux, et aima mieux se brûler lạ cervelle que de signer une proclamation rédigée par eux et dans des vues criminelles. Dans les départements du midi, les terroristes recommençoient leurs menées, les vexations et les crimes de 93. Dans ceux de l'ouest, les chouans se por toient aux plus cruels excès contre les patriotes et les acquéreurs de biens nationaux à Saint-Giles et à Guingamp, sur les côtes du nord, les Anglois débarquoient des émigrés, des armes, des libelles et des munitions.....

Dans ce désordre général, et au milieu de tous ces périls, la convention retrouva encore une fois ses forces et son énergie. Nous devons même remarquer que jamais son pouvoir ne parut plus étendu, jamais elle ne fut mieux obéie, qu'alors que ses dispositions législatives et constitutionnelles étoient plus vivement contrariées, et son existence plus grièvement compromise.

Elle ne se dissimuloit pas qu'elle avoit à lutter contre une opinion fixe et bien prononcée, tandis qu'elle n'étoit soutenue que par une opinion vague, flottante et entièrement dépendante des circonstances : c'est ce qui la détermina à se rendre à tout prix maîtresse des élections et de l'événement.

1795.

1795. Journée

Un arrêté des sections avoit ordonné aux électeurs de se réunir au Théâtre du 13 ven- François (faubourg Saint-Germain ): un démiaire. décret de la convention ordonna la dispersion de cette assemblée illégale. Mais, au moment où les membres du département chargés de l'exécution de ce décret, se présentèrent pour en faire la lecture, la foule sortit de l'enceinte du théâtre, entoura les magistrats, éteignit les flambeaux, et par des huées, des cris, des violences mêmes, empêcha qu'elle n'eût lieu.

Les comités de la convention, instruits de ces voies de fait, envoyèrent aussitôt un détachement de troupes de ligne pour dissiper l'émeute, et s'assurer de la personne des électeurs. Mais à l'arrivée des soldats les électeurs avoient pris la fuite, et l'émeute étoit dissipée.

Le signal étoit donné. Les sections prirent les armes et commencèrent par s'emparer d'un dépôt de chevaux et de deux pièces de canon qui furent envoyés à la section Le Pelletier, devenue le quartier-général de l'insurrection.

La convention ordonna que cette section fût cernée et désarmée, et chargea le général Menou de cette expédition délicate et difficile. Il s'en acquitta lentement et mal; il fut destitué et remplacé par Barras. La section Le Pelletier, voulant procéder comme la convention, avant de

tirer l'épée, publia un manifeste de guerre, 1795. dans lequel elle disoit :

« Qu'avez-vous fait depuis la convocation des assemblées primaires? Vous avez attenté à la souveraineté du peuple par vos décrets des 5 et 13 fructidor; vous nous avez investis de troupes pour nous effrayer; vos comités ont revomi dans la société tous les agents et tous les suppôts de la terreur; vous avez applaudi à votre barre à leurs pétitions incendiaires ; vous avez marqué des victimes et renouvelé les proscriptions de Marat et de la Montagne. Jetez les yeux sur vous-mêmes: vos vêtements sont teints du sang de l'innocence. Des milliers de vos commettants égorgés, des villes détruites, le commerce anéanti, la probité proscrite, la famine organisée, le trésor public dilapidé... Voilà votre ouvrage ! . . . . »

Quand on tient un pareil langage, il faut le soutenir les armes à la main, ou s'attendre à de cruelles représailles. Dèslors il n'y a plus d'espoir de conciliation : il ne reste d'autre arbitre que l'épée. Ce fut aussi l'épée qui décida la question.

Le 12 vendémiaire, la générale battit dans toutes les rues : les sections s'avancèrent et s'emparèrent des issues qui conduisoient aux Tuileries. Elles étoient commandées par le général Danicamp, brave soldat, bon officier, mais qui fut con

1795.

stamment contrarié dans ses dispositions
militaires par des bourgeois exaltés, par
des journalistes ambitieux, et même par
des conventionnels déguisés en section-

naires.

Ses ordres étoient ou mal compris ou
mal exécutés. Les troupes qu'il comman-
doit étoient nombreuses, mais mal ar-
mées, et encore plus mal disciplinées. Il
voyoit avec douleur l'impossibilité de met-
tre de l'ensemble dans son attaque, et il
craignoit avec raison l'issue d'un combat
qui pouvoit coûter autant de larmes aux
vainqueurs, que de sang aux vaincus. Il
essaya des moyens de conciliation; il
adressa aux comités une lettre tout à-la-
fois ferme et modérée, et qui fut le sujet
d'un rapport à la convention. Le rapport
étoit suivi d'une proclamation pacifique,
rédigée d'après les propositions du gé-
néral Danicamp. Lanjuinais, Boissy-d'An-
glas et plusieurs autres membres de l'as-
semblée, appuyèrent le rapport, applau-
dirent à la proclamation. Ce fut en vain :
les jacobins vouloient la guerre ;
la guer-
re fut résolue.

Barras, secondé par le général Carteaux
et par le jeune Buonaparte, prenoit con-
tre les sections les mesures militaires les
plus énergiques. Carteaux, connu par
quelques succès dans la guerre contre les
Lyonnois, fut chargé de défendre et de

1

« PreviousContinue »