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ni, et à-peu-près complet, il s'occupa de la nomination des cinq directeurs. De cette opération dépendoit l'assiette du gouvernement; elle devoit être l'objet des plus hautes méditations de l'assemblée. Elle fut le résultat de la plus fausse des combinaisons politiques; c'est-à-dire d'une transaction entre tous les partis qui avoient régné tour-à-tour, sous le nom de la convention, et qui n'avoient pas perdu l'espoir de régner encore. Les choix tombèrent sur MM. Barras, La Reveillère - Lépeaux, Le Tourneur de la Manche, Reubell et Car

not.

M. Barras dut sa nomination aux thermidoriens et à la victoire qu'il venoit de remporter sur les sections de Paris. Il avoit la réputation d'un homme de plaisir, mais ce n'étoit pas un homme sans adresse. A l'abri de sa conduite révolutionnaire, il cachoit des vues politiques qui échappérent à ses collègues, et dont le succès a prouvé la justesse.

M. La Reveillère-Lépeaux dut la sienne aux débris du parti de la Gironde, et peutêtre aussi à ses vertus privées. Il étoit studieux, fidéle en amitié, bon père de famille et républicain de bonne foi. Mais il n'avoit ni assez d'étendue dans l'esprit, ni assez d'élévation dans l'ame pour la place éminente qu'on lui offrit en cette occasion. Et,quelque chose qu'on dise pour louer ou

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pour excuser sa conduite, on n'effacera jamais ni la réputation d'homme de parti, qu'il mérita par la journée du 18 fructidor, dont il fut le principal auteur; ni le ridicule dont il se couvrit en essayant de fonder une secte religieuse sous le nom de Théophilantropie.

M. Le Tourneur de la Manche fut nommé par le parti modéré des régicides. Excepté son vote dans le procès de Louis XVI, on ne lui reproche aucun des crimes qui en ont été la suite. Dans le court espace de son règne directorial, il ne fit ni bien ni mal. Il eut le bon esprit de quitter la place le premier, et de se faire oublier depuis.

M. Carnot fut choisi par les anciens comités de la convention. S'ils crurent trouver en lui un enfant de la Montagne, et le protecteur des jacobins, ils se trompèrent. Carnot, révolutionnaire dans l'assemblée, devint homme d'état, administrateur habile et patriote modéré, lorsqu'il parut à la tête du gouvernement.

M. Reubell, connu par la rudesse de ses manières, et par une sorte d'entêtement dans ses opinions, fut choisi par ceux des membres de l'assemblée qui haïssoient le plus les rois, et qui croyoient que cette haine étoit le premier caractère des républicains. Sa conduite comme directeur ne démentit pas celle qu'il avoit tenue dans la convention,

Les auteurs de la constitution de l'an 3. ne manquoient pas de lumières, mais ils manquèrent de force. Ils avoient eu le projet de conserver dans leur ouvrage quelques unes des anciennes institutions, dont l'expérience garantissoit la sagesse, ou du moins de les combiner avec les idées nouvelles, qui germoient de toutes parts. S'ils n'atteignirent pas leur but, ce ne fut pas tout-à-fait leur faute; ils eurent souvent la main forcée par des hommes plus habiles ou plus puissants, qui n'avoient pas perdu l'espoir de ressaisir les rênes de l'autorité placés entre leur consience et la révolution, dans la crainte de tout perdre, ils furent contraints plus d'une fois de faire le sacrifice de leur opinion.

n'en

Le pouvoir législatif, qui au premier coup-d'œil paroissoit sagement balancé par la création des deux conseils, portoit pas moins dans son sein le germe de sa destruction. Par l'effet du double système qui avoit présidé à sa composition, il y étoit resté deux partis bien distincts, dont l'un ne tarda pas à montrer sa prédilection accoutumée pour les lois révolutionnaires, et l'autre s'attacha fortement aux lois constitutionnelles.

D'un autre côté, dans l'aministration confiée au pouvoir exécutif, les agents étoient à la nomination du peuple, et leur destitution à la merci du directoire, De là

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naquit une guerre sourde et renouvelée à chaque instant entre le pouvoir qui nommoit et celui qui destituoit: de là les faveurs qui devinrent le prix des complaisances de là cette odieuse vénalité, qui fit, de tous les bureaux des ministres, autant de marchés publics, où chaque place eut son tarif, où chaque employé n'étoit qu'un agent de change, et un courtier de corruption.

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Tous ces désordres n'arrivèrent pas tout-à-coup; nous devons même dire, à la louange des directeurs, qu'ils s'annoncèrent avec l'intention de les prévenir ou de les réprimer. Dans le manifeste de leur installation, ils disoient :

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Réprimer d'une main vigoureuse toutes les factions, éteindre tout esprit de parti, anéantir tout desir de vengeance, faire régner la concorde, ramener la paix, régénérer les mœurs, rouvrir les sources de la reproduction, ranimer l'industrie et le commerce, étouffer l'agiotage, remettre l'ordre social à la place du chaos inséparable des révolutions, procurer enfin à la république françoise le bonheur et la gloire qu'elle attend, voilà la tâche du directoire exécutif. Elle sera l'objet de toutes ses sollicitudes et de sa constante méditation."

Nous n'étions pas tenus de croire à toutes ces promesses; il y en avoit même

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quelques unes dont il étoit facile de pré

voir l'inexécution. Mais nous étions las d'innovations, et nous avions plus besoin de parer notre avenir des charmes de l'espérance, que d'y porter la lumière par nos tristes prévoyances.

Tout imparfaite qu'elle étoit, la constitution de 1795 mit un terme momentané à l'anarchie. Les premiers pas du directoire furent incertains, mais ils eurent pour objet la tranquillité publique. S'il ne put calmer les esprits, il contint les partis pendant quelque temps; il réussit même, sinon à dissiper, au moins à étourdir les inquiétudes de la nation.

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Les François passèrent d'une extrémité Tableau à l'autre à peine étoient-ils sortis de l'engourdissement de la terreur, qu'ils se lais- mœurs du sèrent entraîner à l'ivresse de la folie. Ils se jetèrent avec avidité sur des jouissances dont ils étoient privés depuis long-temps; ils donnèrent des fêtes publiques, de bruyants concerts, des repas splendides, des bals magnifiques. Ils dansèrent sur des tombeaux, suivant une expression du temps. Jamais on ne vit à Paris autant de spectacles, de jardins publics, de restaurateurs, de limonadiers et de marchandes de modes.

C'étoit une sorte de phénomène que ce luxe extraordinaire et cette prodigieuse variété d'amusements, nés pour ainsi dire

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