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pour se faire aimer. Il se trompoit également, et quand il croyoit pouvoir régner par la terreur sur une nation qui en avoit secoué le joug, et quand il essayoit de réchauffer son patriotisme par des fêtes burlesques, des chansons brutales et des déclamations frénétiques.

On verra le peuple prendre désormais fort peu de part aux convulsions qui continuèrent d'agiter l'état. L'expérience, qui l'avoit désabusé des honneurs de sa souveraineté, avoit appris en même temps à ses chefs à se passer de son intervention.

Ainsi l'histoire de la révolution va cesser d'être celle de la nation pour n'être plus que celle des partis qui s'en disputeront les dépouilles. Le moment d'ailleurs étoit arrivé où toute l'attention alloit se porter sur les armées, et où l'intérêt de la gloire devoit, pendant quelque temps, absorber tous les autres.

Ce fut dans le mois de mars 1796 que s'ouvrit en Italie cette campagne si célébre, qui jeta tant d'éclat sur nos armes, et plaça Buonaparte, dès son début, au rang des premiers capitaines du monde. Mais avant d'en commencer le récit, nous devons jeter un coup-d'œil sur nos armées du Rhin.

Après les journées de prairial, Pichegru, qui, dans cette circonstance, avoit rendu d'importants services à la convention, de

manda et obtint la permission de retour

ner à son poste.

qui

Il ne restoit plus que Mayence à conquérir, pour assurer à la France la barrière du Rhin; et il appartenoit à celui qui étoit rentré victorieux dans les lignes de Weissembourg, de s'emparer d'une place que les travaux successifs des François, des Prussiens et des Autrichiens avoient rendue la première forteresse de l'Europe. Mais la lenteur, et, osons le dire, la mollesse qu'il mit dans les approches de cette place, fit croire aux ennemis, qui avoient une haute idée de ses talents militaires, qu'il avoit éprouvé des dégoûts secrets, qu'il n'agissoit qu'à contre cœur, et qu'il seroit possible de le détacher du parti républicain: ils ne se trompoient pas. On le sonda avec précaution, on le tenta par des promesses magnifiques; on le séduisit par l'espoir de rétablir, avec les Bourbons sur le trône, la tranquillité en France, et la paix en Europe,

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de

Les premiers agents de cette négocia- Défection tion, obscurs et sans crédit, ne méritoient guère sa confiance. Naturellement froid et Pichegru. observateur, Pichegru ne s'avança que lentement dans les sentiers d'une politique ténébreuse, et qui n'étoit pas sans danger pour lui. Pour dissiper ses doutes, et l'attacher sans retour à sa personne, le comte

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de Lille (Louis XVIII) lui écrivit, de sa propre main, la lettre que voici :

A Riegel, 24 mai 1796.

« Il me tardoit beaucoup, monsieur, de pouvoir vous exprimer les sentiments que vous m'inspirez depuis long-temps, et l'estime particulière que j'avois pour votre personne: mais jaloux de prévenir jusqu'aux moindres accidents qui auroient pu troubler votre tranquillité, et compromettre les intérêts précieux qui vous sont confiés, j'ai différé jusqu'à ce jour de vous écrire. Je cède à ce besoin de mon cœur, et c'en est un pour moi de vous dire que j'avois jugé, il y a dix-huit mois, que l'honneur de rétablir la monarchie françoise vous étoit réservé.

tion

« Je ne vous parlerai pas de l'admiraque j'ai j'ai pour vos talents et pour les grandes choses que vous avez exécutées. L'histoire vous à déja placé au rang des grands généraux, et la postérité confirmera le jugement que l'Europe entière a porté sur vos victoires et sur vos vertus.

<< Les capitaines les plus célébres ne durent, pour la plupart, leurs succès qu'à une longue expérience de leur art; et vous avez été, dès le premier jour, ce que vous n'avez cessé d'être pendant tout le cours de vos campagnes. Vous avez su allier la bravoure du maréchal de Saxe au désinté

ressement de M. de Turenne et à la modestie de M. de Catinat: aussi puis-je vous dire que vous n'avez point été séparé, dans mon esprit, de ces noms si glorieux dans nos fastes. M. le prince de Condé vous a marqué à quel point j'avois été satisfait des preuves de dévouement que vous m'avez données, et combien j'ai été touché de la fidélité avec laquelle vous servez ma cause mais ce qu'on n'a pu vous exprimer, comme je le sens, c'est le desir, c'est l'impatience que j'éprouve de publier vos services, et de vous donner des marques éclatantes de ma confiance.

« Je confirme, monsieur, les pleins-pouvoirs qui vous ont été transmis par M. le prince de Condé; je n'y mets aucune borne, et vous laisse entièrement le maître de faire et d'arrêter tout ce que vous jugerez nécessaire à mon service, compatible avec la dignité de ma couronne, et convenable aux intérêts de l'état.

« Vous connoissez, monsieur, mes sentiments pour vous; ils ne changeront jaSigné LOUIS. »

mais.

Une lettre si flatteuse fixa toutes les irrésolutions de Pichegru, et le confirma dans le dessein de se dévouer au service de son roi. Mais pouvoit-il répondre de son armée? Il n'ignoroit pas que Dumouriez, non plus brave, mais plus adroit que

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lui, avoit échoué dans cette difficile entre-
prise. Il la tenta, mais sans empressement,
comme sans fruit. Il gagna
des officiers;
il laissa relâcher la discipline, si néces-
saire aux armées, mais il ne put jamais
affoiblir le patriotisme de ses soldats, que
tant de victoires avoient exalté.

Il n'ignoroit pas davantage que la cour de Vienne, mécontente d'un projet dont on lui avoit fait un mystère, cherchoit à le traverser par tous les moyens possibles, et dans son inquiéte politique avoit fait prier le comte de Lille de s'éloigner des bords du Rhin; toutes ces lenteurs et toutes ces difficultés lui firent comprendre de plus en plus la nécessité de ne pas aller plus vite que les événements.

Cette eirconspection fut mise par les républicains sur le compte d'une trahison; et par les royalistes, sur celui d'une fausse politique. Le lirectoire, mécontent, avec raison, de ce qu'il avoit laissé à découvert l'armée de Jourdan, qu'il étoit chargé d'appuyer, accueillit avec complaisance les bruits qui coururent à ce sujet; mais il ne put en obtenir la preuve. Trop foible d'ailleurs pour sévir d'une manière éclatante contre un général défendu par l'opinion publique et par la confiance des armées, il se contenta de le rappeler, et de lui offrir, comme dédommagement, l'ambassade de Suède, qu'il refusa.

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