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Tout est inexplicable dans cette affaire. On ne conçoit ni pourquoi Pichegru ne mit pas, dans sa défection, l'activité qui devoit la faire réussir; ni pourquoi le roi en fit un mystère à l'Autriche, qui devoit en profiter; ni pourquoi l'Autriche y mit des obstacles, quand elle en fut instruite. On ne conçoit pas davantage la raison qui fit destituer Pichegru, s'il étoit innocent de la trahison dont on l'accusoit; ni celle qui empêcha qu'on l'envoyât devant un conseil de guerre, s'il étoit coupable.

La grande question seroit, avant tout, de savoir si Pichegru trahit ses devoirs, en abandonnant le service de la république pour celui du roi.

Cette question peut rester long-temps indécise: : car il n'est pas temps encore de prononcer entre la révolution et la monarchie. Nous sommes trop près de l'évènement pour le juger avec impartialité.

Quant à la gloire militaire, et même à la popularité de Pichegru, l'une et l'autre survécurent à des échecs dont il étoit la cause, et dont il fut le réparateur. Il obtint un armistice honorable, qu'il dut à l'éclat imposant de son nom, et qu'il fit valoir comme un hommage indirect que l'Autriche rendoit à la république françoise.

Il désigna, et il obtint, pour son successeur, le général Moreau, dont les ta

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lents militaires s'étoient développés à son école. On ignore encore si Moreau partageoit ses principes, et s'il connoissoit ses correspondances secrètes : mais il est certain que, dans le premier cas, il fut assez habile pour en effacer les traces; et dans le second, assez discret pour les ensevelir dans un profond oubli.

Commen- Moreau, né à Morlaix en 1761, fut descements tiné à la robe par ses parents; mais, enMoreau. traîné par un goût décidé pour l'état militaire, il s'engagea à l'âge de dix-huit ans : son père le racheta, et il continua ses études de droit. Son esprit et ses talents l'avoient rendu le maître de ses camarades; il joua un rôle principal dans la petite guerre qui s'éleva, en 1788, entre la cour et les parlements. En 1792, il prit parti dans le bataillon des volontaires de son département, et fut employé dans l'armée du nord. Il s'y fit remarquer, et fut élevé, en 1793, au grade de général de brigade. Devenu général de division en 1794, sur la demande de Pichegru, il servit sous les ordres de ce grand capitaine, et se distingua aux sièges de Menin, d'Ypres, de Bruges et de Nieuport. Pendant la célébre campagne de 1794, qui soumit la Hollande à la France, il commandoit l'aile droite de l'armée de Pichegru, et il contribua aux succès rapides de ce général, auquel il succéda, quand celui-ci alla prendre le

commandement des armées du Rhin et de la Moselle. Ce fut alors que Moreau arrêta un excellent plan de défense pour la Hollande, qu'il communiqua aux généraux Daendels et Dumonceau, dont on a fait depuis et mal-à-propos honneur à Carnot.

Nous le verrons bientôt développer tout son talent et arriver au plus haut degré de sa réputation, dans le commandement de l'armée de Rhin-et-Moselle, lorsqu'à la tête de celle d'Italie, Buonaparte commençoit la sienne.

Les premiers pas de celui-ci furent des pas de géant: nous allons le voir, dans sa nouvelle carrière, effacer la honte de ses premières années, par de grandes vues, des talents du premier ordre, des négocia tions heureuses, et des exploits militaires comparables à tout ce que l'histoire ancienne et moderne nous offre de plus éton

nant.

Il arriva à Nice, le 29 mars 1796, et trouva une armée découragée, exténuée, manquant de solde, de vêtements et de subsistances. Il rassemble ses soldats, leur parle avec amitié, leur communique le feu qui l'anime, leur promet des vivres, des vêtements, de l'argent, et assigne le tout sur la première victoire qu'ils remporteront. Vingt jours après, il acquitta tous ses engagements à Montenotte.

Le général Beaulieu commandoit l'ar

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Première campagne de Buonaparte.

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mée austro-sarde, forte de plus de cent mille hommes, dont une partie couvroit Turin. L'armée françoise ne comptoit pas plus de soixante mille combattants, et s'étendoit sur une ligne d'environ vingt lieues, depuis Savone, où s'appuyoit sa droite, jusqu'aux débouchés qui couvroient le comté de Nice. Cette ligne passoit sur les hauteurs des Apennins, et occupoit, dans son développement, tous les postes importants qui dominoient ce vaste amphithéâtre, descendant de position en position sur toutes les montagnes secondaires, jusqu'aux plaines du Piémont. De ces hauteurs tomboient des torrents qui, sillonnant leur flanc, ont creusé des vallées profondes et ouvert des passages aux marches des voyageurs et des armées. Placé sur ces hauteurs, Buonaparte en saisit d'un coup-d'œil les rapports, en combina les obstacles et les avantages. C'est de là que, jetant ses yeux sur l'Italie, il en médita la conquête, et dit à ses soldats, ainsi qu'Annibal l'avoit dit aux siens: « Camarades, voyez-vous ces riches contrées qui sont à vos pieds? Elles vous appartiennent, nous allons en prendre possession (1).»

Il plaça un corps de cinq mille hommes à Voltri, et prolongea sa gauche jusqu'à Garezzio. Son centre étoit fortifié

(1) Voyez ci-après sa proclamation.

par

les

positions de Montenotte et de Montelesimo. Il ne doutoit pas que l'action ne s'engageât par l'attaque de Voltri, qui fut en effet attaqué par dix mille Autrichiens soutenus par le feu d'une escadre angloise, qui longeoit la côte. Mais les moyens insuffisants que l'ennemi employa à cette attaque firent juger au général françois qu'elle n'étoit qu'une feinte, pour attirer toute son attention de ce côté, tandis que les grands efforts de l'ennemi se porte. roient sur le centre.

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Il envoya au général Cervoni l'ordre de› se retirer à l'entrée de la nuit de sa position devant Voltri, et de venir, à marches forcées, appuyer son centre. Il avoit deviné juste. Dès le lendemain matin le générali Beaulieu en personne et à la tête de quinze! mille hommes d'élite, attaqua le centre de l'armée françoise à Montenotte, et emporta d'abord tous les postes retranchés jusqu'à la dernière redoute, que défendoit le général Rampon, avec quinze cents grenadiers. Sa résistance devoit donner au général en chef le temps d'exécuter un mouvement, duquel dépendoit la victoire. Rampon, au milieu du combat, fit faire à ses soldats le serment de mourir tous dans la redoute.

Ces élans manquent rarement leur effet. Tandis que Beaulieu redoubloit d'efforts contre ce poste, dont l'importance lui

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