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1797

L'auteur, qu'un gouvernement plus ferme eût fait arrêter comme un fou, acquit une certaine importance par l'audace et l'impunité avec lesquelles il osoit tracer publiquement ses plans de conspiration, ses listes de proscription, ses principes éversifs de toute société. On a peine à croire aujourd'hui que, dans une feuille périodique qu'il rédigeoit sous le titre de Tribun du peuple, il imprimât chaque jour des articles semblables à celui qu'on va lire.

« La société est une caverne, l'harmonie qui y régne est un crime. Que vient-on vous parler de lois et de propriétés ? Les propriétés sont le partage des usurpateurs, et les lois l'ouvrage des plus forts. Le soleil luit pour tout le monde, et la terre n'est à personne. Allez donc, ô mes amis, déranger, bouleverser, culbuter cette société qui ne vous convient pas. Prenez par-tout ce qui vous conviendra. Le superflu appartient de droit à celui qui

n'a rien.

« Ce n'est pas tout, frères et amis; si l'on opposoit à vos généreux efforts des barrières constitutionnelles, renversez sans scrupule et les barrières et les constitutions; égorgez sans pitié les tyrans, les patriciens, le million doré, tous les êtres immoraux qui s'opposeroient à votre bonheur commun.

« Vous êtes le peuple, le vrai peuple, le seul peuple digne de jouir des biens de ce monde. La justice du peuple est grande et majestueuse comme lui: tout ce qu'il fait est légitime, tout ce qu'il ordonne t sacré. »

Comment un homme qui écrivoit ces épouvantables sottises, put-il être un moment dangereux? Il n'avoit ni talent, ni fortune; comment se fit-il un parti? Il falloit tout le désordre de ces temps-là pour lui procurer des complices, et toute la foiblesse du directoire pour les craindre.

Lorsqu'après l'établissement du directoire, tous les hommes sensés sentirent le besoin de l'ordre et des lois, ceux qui n'avoient vécu que de crimes et d'anarchie se trouvèrent abandonnés à eux-mêmes; ils se rallièrent dans les souterrains. La plupart étoient des misérables de la dernière classe du peuple, n'ayant ni propriétés, ni occupation; ils devinrent une troupe de sicaires, dévoués à quiconque leur donnoit des espérances et de l'eaude-vie.

Les chefs qui les achetoient à ce prix, étoient eux-mêmes soit des hommes médiocres qui n'avoient pu trouver place dans le nouveau gouvernement, et avoient des besoins ou des ressentiments à satisfaire; soit des agents de l'opposition roya

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liste ou étrangère, qui, cachés derrière la toile, faisoient mouvoir ces hideux pantins, afin d'épouvanter la nation, et de la dégoûter du gouvernement républicain.

Le directoire avoit permis le rétablissement des sociétés populaires. Tous les anciens jacobins se réunirent au Panthéon; et là, comme dans leur ancienne salle de la rue Saint-Honoré, ils se crurent une puissance: ils délibérèrent sur les affaires publiques, déclamèrent contre le gouvernement, proposèrent des plans de constitution, des destitutions, des remplacements... Leurs séances se prolongeoient bien avant dans la nuit. Quelques uns y venoient armés; d'autres se plaignoient de ce qu'on n'attaquoit pas le directoire. L'un d'eux proposa une nuit de marcher sur-le-champ contre le palais du Luxembourg, d'en forcer la garde, et d'égorger les directeurs dans leurs lits..... De tels propos ne pouvoient rester long-temps ignorés. Le gouvernement en fut instruit, et fit fermer l'antre où ils étoient applaudis. Ce n'étoit pas assez; il devoit faire arrêter ceux qui les tenoient.

Restés libres, les conjurés se réunirent en d'autres lieux, formèrent des associations secrétes et des conciliabules où tout ce que la fureur de l'esprit de parti, l'ambition déçue, l'orgueil blessé ont de plus violent, fut proposé et adopté comme plan

de bonheur commun et de défense légitime.
Les factieux nommèrent un directoire de
salut public, des commissaires, et des
agents dans l'intérieur, et des correspon-
dants pour les provinces. Ils parvinrent à
corrompre la légion de police destinée à
veiller à la sûreté de la ville, mais com-
posée en général de fort mauvais sujets:
elle fut licenciée. Se croyant assurés du
peuple des faubourgs, et dirigés par Ba-
beuf, ils résolurent d'agir ouvertement,
et d'opérer un soulèvement, à l'aide du-
quel ils comptoient se rendre maîtres de
la ville et du gouvernement. La nuit du
22 floréal fut l'époque fixée
pour cet évé-

nement.

Mais ils étoient suivis de près, sans qu'ils s'en doutassent. Tous leurs mouvements étoient observés. Cochon, ministre de la police, avoit reçu à leur sujet tous les renseignements qui lui étoient nécessaires, soit pour empêcher l'exécution de leurs desseins, soit pour s'emparer de leurs personnes. Babeuf et la plupart de ses complices furent arrêtés le 21. On trouva dans le domicile du premier une énorme liasse de papiers qui constatoient l'atrocité de son projet, autant que l'absurdité de ses moyens. Dans le nombre de ces pièces qui furent imprimées par ordre du gouvernement, il en est une que nous croyons devoir transcrire, parcequ'elle donne une

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idée assez juste du caractère de tous ces misérables. En voici la copie exacte et figurée :

Plan de la Pièce trente-quatrième de la conspiration. conspira

tion.

<< Tuer les cinq,

« Les sept ministres,

« Le général de l'intérieur et son étatmajor,

« Le commandant temporaire et son état-major.

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<< S'emparer des salles des anciens et des cinq-cents.

« Faire main-basse sur tout ce qui s'y rendroit.

« S'emparer des barrières, et ne laisser sortir qui que ce soit sans des ordres formels et précis.

/«S'emparer du télégraphe et du cours de la rivière.

"

S'emparer de Meudon, et des quatrevingts pièces d'artillerie qui s'y trouvent.

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La poudrerie de Grenelle.

<< Les dix-huit pièces de canon qui sont « dans le jardin des Feuillants.

« La trésorerie nationale et l'arsenal. «S'assurer des ponts.

« Les tyrans abattus, une chose impor<< tante, c'est d'empêcher l'entrée dans « Paris d'aucun corps de troupes. Les bra« ves défenseurs de la patrie seront invités

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