Page images
PDF
EPUB

1797.

que ceux-ci voulussent les aider à renverser le joug des cinq tyrans.

Le directoire, instruit de ces manœuvres, les faisoit surveiller depuis quelque temps et avoit résolu d'y mettre un terme. Pour mieux assurer le succès de ses mesures, le ministre de la police parut fermer les yeux sur les conjurés, laissa prendre au complot tous ses développements, et ne se montra qu'au moment décisif de l'exécution.

Dans la nuit du 24 au 25 fructidor, les conjurés, qui en avoient passé une partie dans les cabarets, se réunirent sur la place de la Bastille, se partagèrent en deux bandes, dont l'une marcha vers le camp de Grenelle, et l'autre vers le palais du directoire. Ceux-ci trouvèrent la garde sous les armes; au lieu de l'accolade fraternelle qu'ils s'attendoient à recevoir, ils sentirent la pointe des baïonnettes sur leurs poitrines; se croyant découverts, ils prirent la fuite avec épou

vante.

Les autres arrivèrent bientôt jusqu'au camp, et y pénétrèrent sans obstacle, soit qu'ils eussent des intelligences avec les postes avancés, soit que ceux-ci eussent reçu l'ordre de ne leur opposer aucune résistance. Ils entrèrent aux cris de vive la constitution de 93! meurent les tyrans du peuple!

A ces cris, la générale bat, les soldats prennent les armes, les officiers ordonnent de faire main-basse sur l'ennemi. L'ennemi, à moitié ivre, se laissoit égorger sans se défendre. Il étoit possible de n'en pas laisser échapper un seul. On eut pitié d'eux, le carnage cessa, on fit des prisonniers.

Pendant ce temps-là, les habitants de Paris, ensevelis dans le plus profond sommeil, étoient loin de songer à ce qui se passoit à leurs portes. Ils n'apprirent ces terribles nouvelles qu'à leur réveil, et ils les apprirent par une proclamation de la police, qui leur révéla et la nature du complot et les noms des coupables.

Le procès des coupables fut bientôt fait. Les six principaux furent condamnés à mort; on remarquoit parmi eux trois exconventionnels, Javoque, Huguet et Cusset (1).

La haute cour nationale, après de longs débats, avoit aussi prononcé sur le sort de Babeuf et de ses complices.

Babeuf et Darthé seuls furent condam.

(1) Javoque, député de Rhône et Loire, a voté là mort du roi, et avoit dit à la tribune que c'est une vertu dans les républiques que de dénoncer son propre père.

Huguet, évêque constitutionnel de la Creuse, a voté la mort du roi.

Cusset, député de Rhône et Loire, et marchand de soieries à Lyon, a voté la mort du roi, et l'exécution dans les vingt-quatre heures.

1797.

1797.

nés à mort (1), et se poignardèrent au tribunal, après avoir entendu leur sentence. Les autres furent condamnés à la déportation.

Babeuf, dont le nom étoit si fameux il y a vingt-cinq ans, et est tout-à-fait oublié aujourd'hui, ne mériteroit pas d'occuper une place dans l'histoire que nous écrivons, s'il ne nous fournissoit l'occasion de placer ici une observation qui n'est pas sans intérêt dans les circonstances actuelles.

C'étoit un homme sans talent, sans fortune et sans considération. Comment donc osa-t-il former le projet de renverser un gouvernement qui faisoit alors trembler tous les rois sur leurs trônes? Comment vint-il à bout de produire un véritable

anlement dans l'opinion publique, à jer une sorte de terreur dans les esprits, à aiter de puissance à puissance avec le directoire? Entre ses moyens apparents et son but il n'y avoit aucune sorte de proportion. Ce n'étoit pas avec cinq ou six cents misérables de son espéce, des cordonniers, des perruquiers, des remouleurs, des porte-faix... (2) qu'il pouvoit

(1) Darthé, avocat ou procureur à Saint-Pol, en Artois, avant la révolution, montra un grand caractère dans ce procès.

(2) Voyez les pièces du procès, imprimées à l'imprimerie nationale, en un gros vol. in-8°. Frimaire an 5.

renverser la constitution de l'an 3, le directoire, les deux conseils, et la république.

Le fait est qu'il n'étoit que l'instrument aveugle et l'agent visible d'une puissance invisible, qui ne se repose jamais, et qui n'a pas cessé d'agir en France depuis plus d'un demi-siècle.

1797:

tourmen

tie.

Ni les trésors, ni les armées ne peuvent L'Europe lui servir de barrière. Elle épuise les uns, tée par la -elle séduit les autres, elle environne les démocraétats, elle pénétre dans les familles, elle corrompt toutes les classes, elle assiége les trônes, elle en sape les fondements: et les rois ne pourront éviter désormais d'être ensevelis sous leurs ruines qu'en faisant alliance avec elle, ou en changeant leur rôle de rois contre celui de con quérants.

[ocr errors]

Cette puissance redoutable, c'est la mocratie. Voltaire, Rousseau, Fréret, Hevétius, les encyclopédistes et les économistes en ont jeté les fondements, vers le milieu du dernier siècle, en attaquant sans mesure les préjugés de toute espéce, et même les principes les plus sacrés; elle s'est fortifiée de tous les crimes et de tous les succès de la révolution françoise, qui fut son ouvrage et son chef-d'œuvre.

C'est elle qui a renversé le trône et l'autel en Europe, et a déja rendu maîtres de la France les hommes les plus coupables

1797.

Continua

de la France. C'est elle qui a élevé et renversé tour-à-tour Mirabeau, Robespierre, et Buonaparte; c'est elle qui règne depuis vingt-cinq ans dans tous les colleges, dans toutes les académies, dans tous les ateliers; c'est elle qui dicte, et fait lire toutes ces brochures incendiaires qui occupent "aujourd'hui les tribunaux et les cent bouches de la renommée : c'est elle enfin qui a persuadé à Babeuf, à Mallet, à Carbonneau et à tant d'autres ignobles conspirateurs qu'ils étoient appelés à corriger les abus des gouvernements, à soulager les peuples, et à changer les destinées du monde.

Nous avons laissé Buonaparte à Milan, tion de la rédigeant des constitutions, signant des Guerre armistices, et négociant des traités de prix.

d'Italie.

Il ambitionnoit alors le titre de pacificateur. Ce titre seul pouvoit le distinguer de tous ses rivaux de gloire militaire. Ce fut à cette époque qu'il fit sur Livourne, à Modène, et dans l'état de l'église, ces expéditions rapides qui ne donnoient pas le temps à la réflexion de les juger, et qui forcèrent le grand duc de Toscane, le duc de Modène et le pape, à recevoir toutes les conditions qu'il voulut leur imposer. Son but alors étoit moins d'étendre ses conquêtes, que , que de s'assurer la soumission des pays qu'il avoit déja conquis. Dans

« PreviousContinue »