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conçut de l'inquiétude; mais, sans en laisser rien paroître, il marcha droit à la tête, et demanda aux officiers par quels ordres ils marchoient. Ceux-ci, frappés de son ton ferme et de son regard assuré, montrèrent leurs ordres; les soldats gardèrent un morne silence.

En poursuivant sa route, Dumouriez rencontra un aide-de-camp qui lui rendit compte des mauvaises dispositions de la garnison de Condé. Il n'en parut pas découragé il étoit entré dans une maison pour écrire des ordres, lorsque tout-àcoup il entend des cris terribles; il sort, et voit ces mêmes volontaires qu'il venoit de laisser tranquilles une heure auparavant, et qui accouroient comme des furieux, et avec des desseins évidemment hostiles contre lui. Il n'a que le temps de remonter à cheval et de se jeter dans l'Escaut, qu'il a le bonheur de traverser sans blessures, malgré les nombreux coups de fusil que tirèrent sur lui ses propres soldats. Ils venoient d'apprendre que la convention l'avoit mis hors la loi, et promis 300,000 fr. à celui qui le saisiroit mort ou vif.

Dès-lors Dumouriez connut la vanité de son entreprise; il se rendit au camp des Autrichiens, aussi humilié que fâché de n'avoir plus à leur offrir que trois ou quatre mille transfuges comme lui, au

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lieu d'une armée de soixante à quatrevingt mille hommes qu'il leur avoit promis, pour aller, de concert avec eux, combattre les jacobins de Paris, et délivrer les prisonniers du Temple (1).

L'armée françoise se rallia sous les ordres du général Dampierre, qui fut tué peu de jours après d'un coup de canon dans la forêt de Vicoigne. C'étoit un bon officier, intrépide, intelligent, mais défiant et morose. Il avoit d'ailleurs le grand tort, pour ces temps-là, d'être sorti des rangs de la noblesse. On assura dans le temps qu'il étoit allé au-devant de sa mort pour se soustraire à celle que lui préparoit déja le comité de salut public. Ce qu'il y a de sûr, c'est que Couthon, membre de

(1) Voici le portrait que madame Roland a tracé de cet homme qui pouvoit jouer un plus beau rôle : «Dumouriez avoit plus qu'aucun des autres ministres ce qu'on appelle de l'esprit, et moins qu'aucun de moralité. Diligent et brave, bon général, habile courtisan, écrivant bien, s'énonçant avec facilite, capable de grandes entreprises, il ne lui a manqué que plus de caractère pour son esprit, ou une téte plus froide pour les plans qu'il avoit conçus. Plaisant avec ses amis, et prêt à les tromper tous, galant auprès des femmes, mais jamais tendre, il étoit fait pour les intrigues ministérielles d'une cour corrompue. Ses qualités brillantes et l'intérêt de sa gloire ont persuadé qu'il pouvoit être utilement employé dans les armées de la république, et peut-être eût-il marché droit, si la convention eût sagement agi: car il étoit trop adroit pour s'écarter du chemin de l'honneur, s'il y eût trouvé son intérêt, »

ce comité, dit hautement à la tribune, qu'il n'avoit manqué au général Dampierre que quelques jours pour trahir son pays.

La défection de Dumouriez jeta la consternation dans le parti des girondins, et la joie dans celui des jacobins. Ceux-ci, qui apprirent en même temps les nouveaux malheurs de Saint-Domingue causés par Toussaint Louverture, l'insurrection de la Corse sous la conduite de Paoli, et l'invasion du Roussillon par les Espagnols, ne manquèrent pas de rejeter ces désastres sur leurs adversaires, et de s'en faire pour eux-mêmes des motifs d'audace et des moyens de succès.

Quelque grossière que fût cette imposture, elle s'accrédita, et les girondins eurent le grand tort de la mépriser. Mais il faut leur rendre en même temps la justice de dire qu'ils paroissoient alors beaucoup moins occupés de leurs dangers personnels que de ceux de la patrie; ils la voyoient menacée au-dedans par une tyrannie sanguinaire, au-dehors par toutes les nations. Ils cherchoient un remède à des maux dont une partie étoit leur ouvrage, et à la guérison desquels ils avoient résolu de sacrifier leur vie, s'il le falloit.

Tandis que la faction de Robespierre les poursuivoit à outrance dans la société des jacobins, ils s'attachoient spécialement à modifier, dans la convention, tous les dé

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Constitu

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crets violents ou injustes qu'ils ne pouvoient empêcher; ils sollicitoient avec ardeur la punition des septembriseurs ; ils dressoient l'acte d'accusation de Marat pour arriver ensuite à celui de Robespierre; ils repoussoient avec énergie et succès l'établissement d'un comité d'insurrection permanent; ils vouloient enfin mettre un terme à l'anarchie qui menaçoit de les engloutir avec le reste de la France. Ce fut dans cette louable intention qu'ils méditèrent dans leurs réunions et qu'ils proposèrent à l'assemblée un projet de constitution dont voici le discours préliminaire que M. de Condorcet prononça à la tribune:

pour em

« Nous devons nous attendre que ces tion des hommes qui ne sont rien, si ce n'est dans giron- les troubles, et qui cessent d'être avec eux, dont l'envie basse et perfide redoute, poursuit sans relâche tout ce qu'il y a de talents et de vertus, feront mille efforts pécher qu'une constitution soit donnée à la France: ils doivent être aidés de tous les hommes sans mœurs qui ne songeant qu'à la perte de leurs priviléges, et ne pouvant renoncer au fol espoir de les retrouver, affectent de croire que la république est une chimère. Ils seront encore aidés par ces hommes qui ont trop bien calculé que nos ennemis ne pouvoient triompher de nous qu'en perpétuant nos

agitations et nos déchirements, et tous ensemble ils seront redoutables, car ils ont l'art de couvrir leurs projets d'un masque de patriotisme; ils excellent dans l'art des dénonciations mensongères, et il faut moins de talent pour arranger une calomnie, que pour travailler un sophisme. Mais nous devons compter aussi que le peuple françois, fortement pénétré de cette pensée, qu'une constitution républicaine peut seule assurer son bonheur, secondera les efforts de la convention, impatiente de terminer ses travaux et de déjouer à-la-fois les entreprises des ennemis déclarés, et les complots des faux amis de la liberté, etc. »

Dans ce projet de constitution, le corps législatif étoit composé d'une seule chambre, qui se renouveloit tous les trois ans, et avoit la disposition de la force armée dans la ville où il tiendroit ses séances. Le conseil exécutif étoit composé de sept ministres tous nommés par le peuple, lesquels pouvoient être mis en accusation par le corps législatif et jugés par un jury national. La trésorerie nationale étoit sous la surveillance immédiate du corps législatif. La cumulation des fonctions publiques étoit interdite. La liberté de la presse étoit déclarée indéfinie, sauf l'action des citoyens calomniés. Les contributions publiques étoient fixées tous les ans. Les dé

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