Page images
PDF
EPUB

ment ce que les passions, l'esprit de parti et les préjugés de toute espèce ont laissé d'inexactitudes et d'infidélités dans tous ces mémoires particuliers.

L'Histoire de M. Anquetil finit à la mort de Louis XVI. Depuis ce jour fatal jusqu'à celui de la restauration, vingt-trois ans se sont écoulés, tantôt dans les transes de la mort, tantôt dans le silence de la servitude, toujours au milieu des écueils et des alarmes.

Nulle époque de l'Histoire ancienne et moderne ne fut plus féconde en grands · forfaits et en actions héroïques, en guer riers illustres et en monstres exécrables, en leçons mémorables et en exemples d'insigne dépravation. Mais nulle autre époque en même temps ne fut enveloppée de nuages plus épais, embarrassée d'intérêts plus compliqués, défigurée par des récits plus mensongers.

Comment croire à ces récits, démêler ces intérêts, éclaircir ces nuages? Qui peut se flatter de rester calme au milieu de tant d'agitations, de saisir la vérité dans cet océan d'erreurs, et de la faire entendre dans un temps où tous les partis sont

encore en présence, et où chaque parti accuse le parti contraire d'erreur et de mensonge?

Il est un temps, dit l'apôtre, où la sagesse est traitée de folie. Ce temps est le

nôtre.

Autrefois la sagesse enseignoit aux hommes privés à chercher le bonheur loin du trouble, des querelles, de l'exagération, à éviter les excès, à craindre l'immodération. L'immodération, disoit Montaigne, m'étonne, si elle ne m'offense. Aujourd'hui on ne s'étonne que de la raison, on ne s'offense que de la modération. La modération est réputée sottise ou lâcheté.

Autrefois la sagesse disoit aux hommes d'état : «N'innovez rien qu'avec d'extrêmes précautions. Respectez les anciennes traditions; elles sont le fruit de l'expérience et la raison des siècles. » Aujourd'hui les siècles ont tort, l'expérience est désavoué, les anciennes traditions sont des préjugés.

Autrefois la sagesse avoit démontré que les haines particulières, les inquiétudes publiques, les troubles annuels, les massacres périodiques, les guerres civiles,

étoient les inconvénients ordinaires des gouvernements représentatifs : cette dé, monstration est aujourd'hui un sophisme; les gouvernements représentatifs sont le chef-d'œuvre de l'esprit humain; tout autre système politique n'est digne que de mépris.

Autrefois nous étions convaincus qu'une des plus belles idées politiques, celle qui à le plus d'analogie avec les idées de famille, qui se rapproche le plus de la nature, de l'ordre de l'univers, de cette grande incorporation de la race humaine, dont l'existence se perpétue d'âge en âge, au milieu des dépérissements, des chutes, des renouvellements et des progressions continuelles, c'étoit l'hérédité.

[ocr errors]

Tous les hommes raisonnables pensoient que la monarchie héréditaire étoit de toutes les sortes de gouvernements celle où l'amour de la liberté pouvoit le mieux se concilier avec la stabilité des états et le bonheur des peuples. Ce n'étoit pas à l'individu roi que les royalistes.consacroient leurs biens et leur vie; c'étoit à la monarchie, dont il étoit le représentant héréditaire et le conservateur inamovible.

Le roi se confondoit avec la royauté, et nos respects étoient un aveu rendu à son rang plutôt qu'à sa personne.

Cette institution nous inspiroit le sentiment d'une dignité natale qui nous sauvoit de l'arrogance, si commune à tous les parvenus, à tous les dépositaires d'une autorité précaire, à tous les organes du despotisme plébéien. Par elle notre liberté devenoit noblesse, et notre obéissance étoit un sentiment religieux. Par elle tous les rivaux du pouvoir étoient écartés, toutes les ambitions subalternes étoient écrasées, toute issue aux révolutions étoit fermée.

Dans ce temps-là, les gouvernements avoient, comme la religion, des mystères, qu'il n'étoit pas permis à tout le monde de pénétrer, et des articles de foi auxquels il étoit ordonné à tout le monde de croire. De là résultoit cette force morale, incomparablement plus puissante que celle des baïonnettes; de là cette déférence générale, dont la considération suffisoit pour imposer silence aux sceptiques, aux ambitieux et aux mécontents. La multitude croyoit uniformément, sans jamais rai

sonner, et sans être moins libre de toutes ses facultés. Les philosophes se soumettoient à la croyance commune, sans être plus déshonorés que ne l'étoient Socrate ou Cicéron, quand l'un et l'autre, respectant la religion de l'état, alloient dans le temple adorer les faux dieux.

Nous sommes devenus ou plus savants ou plus hardis que nos ancêtres. Nous avons pénétré jusque dans le sanctuaire ; nous avons voulu voir et connoître le saint des saints; il n'y a plus de secrets pour nous. Tout le monde raisonne; tout est à découvert autour du trône; tout est positif dans le gouvernement. Dès-lors il n'y a plus ni mystères, ni force morale, ni déférence, ni croyants. Chacun fait son thème à sa manière, personne ne veut reconnoître d'autorité, et bientôt ne voudra suivre de volonté que la sienne. Je ne sais ce que nous avons gagné à cette indépendance universelle; mais, aux plaintes que j'entends de tous côtés, j'ai peur que les choses n'aillent pas comme elles devroient aller.

Pour contenter tout le monde, disoit il y a vingt-cinq ans une femme d'esprit, il

« PreviousContinue »