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voir au cas où, des témoins étant fort éloignés, il y aurait lieu, par le magistrat instructeur, de déléguer un juge du tribunal du domicile des témoins. Pour éviter le déplacement des témoins, le conseiller instructeur pourra envoyer à un tribunal éloigné une commission rogatoire. C'est bien là sans doute l'intention du rédacteur de l'article, et telle a été aussi l'intention de la Chambre en l'adoptant.

Eh bien, la rédaction de l'article donne aux magistrats un pouvoir beaucoup plus étendu. Il pourrait, d'après les termes du second paragraphe, déléguer, dans tous les cas, l'universalité des pouvoirs qui lui sont conférés par le président de la Cour; il pourrait se démettre du pouvoir, du droit, du devoir qui lui est imposé d'interroger les témoins; il pourrait transmettre cette délégation qu'il a lui-même reçue, à un juge du tribunal de première instance du cheflieu même de la Cour royale.

Voici, en effet, comment est conçu ce second paragraphe : « Le magistrat instructeur fera une information préliminaire. »

C'est un conseiller de la Cour...

M. le Président. Mais l'article est déjà voté. M. Caumartin. Permettez : « Il entendra les témoins, ou commettra un juge pour recevoir leurs dépositions. "

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Je demande qu'on ajoute, et l'on ne revient pas pour cela sur la disposition déjà votée; je demande qu'on ajoute: « Où lorsqu'ils seront trop éloignés, il commettra pour recevoir leurs dépositions un des juges du tribunal dans le ressort duquel ils demeurent. »

M. le Président. L'article est voté; il faudrait faire un article additionnel; cet article additionnel est de droit commun.

M. Caumartin. Si la Chambre ne croit pas pouvoir insérer la disposition que j'indique, qui, au surplus, ne ferait que rappeler ici dans son ensemble l'article 337 du Code criminel, je crois que mon observation n'aura pas été inutile, puisqu'elle aura constaté quelle a été la véritable intention de la Chambre.

M. le Président. Je ne puis rien ajouter à l'article; il est voté.

Je donne lecture de l'article 40, nouvelle rédaction de la commission:

Art. 40. Lorsque l'information préliminaire sera terminée et qu'elle aura été communiquée au procureur général, celui-ci adressera immédialement, avec son avis, copie de la plainte et de l'information préliminaire au ministre auquel ressortira l'acte qui aura donné lieu à l'inculpa

tion.

«Il sera sursis à toute poursuite pendant le délai de trois mois, à dater de la réception des pièces par le ministre.

"Si le ministre déclare qu'il n'empêche pas les poursuites, ou s'il laisse passer le delai cidessus déterminé sans faire connaître sa décision, il sera passé outre aux poursuites, et, s'il y a lieu, à la délivrance des mandats contre l'agent inculpé.

«La Chambre d'accusation, après communication de la procédure, tant à l'agent inculpé qu'à la partie cívile, déclarera s'il y a lieu à suivre. Dans le cas d'affirmative, il sera procedé el statué conformément aux articles 236 et suivants du Code d'instruction criminelle, sans prejudice des dispositions des articles 10 et 18 de la loi du 20 avril 1810.

« Si dans ledit délai le ministre déclare qu'il prend sous sa responsabilité l'acte qui a donné lieu à l'inculpation, il devient personnellement responsable de sa déclaration.

Lorsqu'il s'agira de préfets, sous-préfets et commandants de départements, le ministre et l'agent inculpé pourront être traduits devant la Cour des pairs, pour y être jugés suivant les formes établies par l'article 22 de la présente loi.

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Lorsqu'il s'agira de plaintes formées contre d'autres fonctionnaires, ils seront déchargés de toute action par le fait de la déclaration du ministre, sauf là responsabilité de celui-ci. »

M. le général Subervie. Je demande qu'on remplace les mots: commandants de départements, par les mots commandants militaires.

M. Guyet-Desfontaines. Pour l'ordre de la discussion, il paraîtrait que l'amendement de M. Dufaure, qui s'écarte davantage du système de de la commission, devrait être présenté en premier lieu.

M. Duchâtel, ministre du commerce. On peut commencer par l'amendement de M. Dufaure.

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M. le Président. Je relis l'amendement de M. Dufaure, il est dans un système tout différent : Lorsque l'information préliminaire sera terminée, elle sera remise au premier président de la cour. La première chambre civile, sur les conclusions du procureur-général, déclarera s'il y a lieu à suivre.

« Dans le cas de l'affirmative, il sera passé outre aux poursuites, et, s'il y a lieu, à la délivrance de mandats contre l'agent inculpé. Il sera procédé et statué conformément aux articles 236 et suivants du Code d'instruction criminelle, sans préjudice des dispositions des articles 10 et 18 de la loi du 20 avril 1810. »

M. Golbéry. Je retire les amendements que j'ai proposés sur cet article; parce que le système de M. Dufaure me satisfait.

M. Odilon Barrot. Je crois qu'il y a un sousamendement; peut-être faudrait-il rapprocher de l'amendement de M. Dufaure le sous-amendement qui est proposé, pour le cas spécial où un ministre déclarerait que l'acte à raison duquel la poursuite a lieu lui est propre, et en prendrait la responsabilité. Je crois que ce sous-amendement, modifiant l'amendement de M. Dufaure, devrait être mis en discussion.

M. le Président. Je n'ai pas ce sous-amendement.

M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Messieurs, je me propose d'examiner, sous toutes ses faces, la question importante et vitale que vous discutez depuis plusieurs jours. La matière est vaste, et cependant je serai excessivement court; j'en prends positivement l'engage

ment.

Si les agents du pouvoir n'étaient poursuivis que lorsqu'ils se sont rendus coupables de crimes ou de défits, il ne serait pas nécessaire de faire une loi de responsabilité; elle serait, jusqu'à un certain point, déjà écrite dans le droit commun qu'il suffirait de leur appliquer.

Mais, Messieurs, les rapports continuels des agents du pouvoir avec les citoyens, les tracasseries qu'on peut leur susciter, que l'esprit de parti, que les taquineries de localité peuvent amener sur eux, ont dù nécessairement porter tous les législateurs à les protéger, à les entourer d'une attention spéciale; autrement il n'y aurait pas d'administration possible.

Cette protection, Messieurs, est sans doute dans l'intérêt des agents, mais elle est plus particulièrement encore dans l'intérêt du pays et dans celui du gouvernement.

M. Dufaure. Si la Chambre veut me le permettre, je dirai deux mots. Mon intention a été, dans l'amendement dont M. le Président vient de donner lecture, d'établir une règle générale, applicable à tous les fonctionnaires publics en France. Toutefois, je comprends très bien que, pour le cas exceptionnel dont vient de parler M. Odilon Barrot, il y ait une modification nécessaire; elle me paraît commandée par une nécessité politique. Je considère donc l'amendement que je propose à la Chambre comme une règle générale à laquelle la Chambre pourra immédiatement ajouter une exception que peut commander la nature des choses. La règle générale n'en est pas moins bonne dans ma conviction. Elle n'en est pas moins nécessaire, indispensable; seulement l'exception pourra y être ajoutée.

M. le Président. Qui se charge de proposer l'exception?

(M. Charlemagne monte au bureau du président et dépose un sous-amendement.)

Voix nombreuses: La lecture du sous-amendement !

M. le Président. En voici le texte :

« Si l'agent inculpé déclare avoir agi en vertu d'ordres émanés du ministre, l'information préliminaire sera transmise, avant toute décision, au ministre compétent.

«Si, dans le délai de deux mois, le ministre déclare qu'il prend sur lui l'acte qui a donné lieu aux poursuites, il en devient personnellement responsable. En conséquence, le ministre et l'agent inculpé pourront être traduits conjointement devant la Cour des pairs, suivant les formes établies par les articles 21 et 23 de la présente loi.

«Si le ministre déclare qu'il n'empêche pas les poursuites, ou s'il laisse passer le délai cidessus déterminé sans faire connaître sa décision, les poursuites seront continuées conformément aux paragraphes 1 et 2 du présent article. »

M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Sans doute on vous a dit qu'avec les petites tracasseries de localité, suivies de procès, on aurait peine à trouver des agents pour exercer le pouvoir. Mais ce n'est pas sous ce rapport que j'envisage la difficulté, je la prends de plus haut, je la considère dans l'intérêt du pouvoir, luimême, et dans celui de la société. Lorsqu'un homme a reçu une mission, et qu'il peut à l'instant même être tourmenté pour la manière dont il l'exerce, il est évident qu'il devient timide, qu'il hésite, qu'il est indécis. Vainement l'autorité supérieure lui donnera un ordre précis, il hésitera; la crainte des tracasseries locales le laissera dans une indécision nuisible à la chose publique. La pensée que le procès sera bon pour lui, qu'il le gagnera, ne suffit pas pour le tranquilliser. Le procès, pour être bon, n'en est pas moins un procès, et vous ne pouvez pas obliger l'administrateur inférieur ou supérieur, le préfet comme le maire, à être constamment devant les tribunaux, et à y plaider même de bonnes causes.

Ces inconvénients, que je signale brièvement, suffiront pour vous convaincre, Messieurs, de la nécessité d'entourer les fonctionnaires publics d'une attention particulière, et de leur donner des garanties raisonnables.

Cette nécessité, Messieurs, de donner des garanties, je l'ai trouvée posée dans un ouvrage appartenant à l'un des membres de cette Chambre; je vous demande la permission de vous en lire seulement quelques lignes; elles appartiennent à M. de Cormenin. (Mouvement de curiosité.)

Des mises en jugement.

«Les mises en jugement appartiennent à l'ordre politique. La garantie constitutionnelle a eu pour but de défendre les agents du gouvernement contre les haines locales et l'esprit de parti. Sans elle, des malveillants désorganiseraient les différents services, paralyseraient l'action de l'Administration, qui a besoin d'être si rapide, et empêcherait la surveillance des administrateurs qui a besoin d'être si continue, en les trainant devant les tribunaux, pour venir y répondre aux accusations les plus frivoles. Sans elle, on n'aurait pas de maires, cette portion de fonctionnaires si honorables, si utiles, si peu coùteux à l'Etat. >>

Me voilà donc parfaitement d'accord avec M. de Cormenin; comme moi, il pense qu'il faut une autorisation préalable pour poursuivre les fonctionnaires publics; je n'ai plus qu'un mot à ajouter pour expliquer comment j'entends cette autorisation.

J'ai entendu tout à l'heure dire que cette autorisation préalable n'était rien moins qu'un premier jugement; que c'était l'Administration que l'on faisait juger de la plainte des citoyens. On se trompe, ce n'est pas un jugement que l'on demande à l'Administration, c'est simplement une autorisation, et voici pourquoi l'Administration examinera bien, si vous voulez, la probabilité des faits reprochés : c'est pour cela qu'on lui adresse une information préalable. Mais il y quelque chose de plus; l'Administration plane au-dessus du pays; elle juge ce qui lui convient, et si elle aperçoit que le procès serait contraire à l'intérêt bien entendu de la société, l'autorisation est refusée, le gouvernement ne permet pas pour cela sur l'action, il voit s'il n'y a pas inconvénient pour la société à ce qu'on la suive, mais il ne le fait que sous sa responsabilité...

M. Odilon Barrot. C'est de l'arbitraire.

M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Cette responsabilité n'est pas un vain mot; elle est aussi réelle qu'elle peut l'être. Nous verrons plus tard que l'autorisation ou le refus d'autorisation n'est autre chose qu'un acte d'administration ordinaire, qui trouve sa garantie dans le contreseing d'un ministre.

Maintenant, Messieurs, que j'ai établi qu'il fallait donner une garantie aux agents du pouvoir, sous peine de n'en pas trouver ou d'en avoir de faibles lumières, dans ce cas, il faut voir en quoi doit consister cette garantie.

On vous avait parlé, dans l'une des dernières séances, de l'obligation imposée à la partie plaignante de se constituer partie civile; ce qui em... portait l'obligation de payer les frais de la procédure. On s'était prévalu aussi des amendes auxquelles le plaignant pouvait être condamné. Mais on a bientôt reconnu que ce n'étaient pas là de véritables garanties, car si l'on admet que les procès pourront être suscités par l'esprit de parti, on n'ignore pas avec quelle facilité il sait se procurer les moyens de payer les amendes. (Sensation.) Ce n'est donc pas à l'aide de ces moyens que l'on peut espérer de tranquilliser

les agents du pouvoir. Tout le monde est tombé d'accord sur ce point qu'il fallait une autorisation préalable; mais ici se présente la véritable difficulté de la discussion; il s'agit de savoir par qui cette autorisation sera accordée.

Je ne connais de pouvoirs auxquels on puisse s'adresser pour demander l'autorisation de poursuivre un agent du gouvernement, que le pouvoir administratif ou le pouvoir judiciaire; le pouvoir législatif est ici en dehors de la question. Il ne reste donc que les deux autres. Il faudra nécessairement, dès qu'on sera convenu qu'il faut une autorisation, que l'autorisation soit accordée, soit par le pouvoir judiciaire, soit par le pouvoir administratif; j'adopte donc la question telle qu'elle est posée par l'amendement de l'honorable M. Dufaure. Voyons avec lui s'il est possible que l'autorisation soit accordée par le pouvoir judiciaire. Suivant moi, Messieurs, l'obligation de demander l'autorisation de poursuivre les agents du gouvernement au pouvoir judiciaire mettrait toute l'Administration dans les mains de l'autorité judiciaire. Je vais essayer de le prouver.

L'on suppose toujours qu'une action contre un agent du pouvoir doit commencer par la plainte d'un citoyen; on établit ensuite que le plaignant s'adressant à l'autorité judiciaire, rien n'est plus naturel que de demander l'autorisation à cette autorité.

Mais des délits ou des crimes peuvent être poursuivis autrement que sur des plaintes. Ils peuvent être révélés par des dénonciations, ou même être poursuivis d'office par le ministère public. Il est possible aussi que l'action à laquelle ils donneraient lieu soit commandée par les Cours royales elles-mêmes, qui ont le droit d'enjoindre au ministère public d'avoir à poursuivre; or, si on se contente de l'autorisation du pouvoir judiciaire, que va-t-il arriver? Avant qu'il y ait plainte, réquisition du ministère public, les Cours royales manderont à leur barre les agents du pouvoir administratif. Comme autrefois les parlements faisaient poursuivre les gouvernements de province, les Cours royales auront le droit de faire arrêter un préfet, un commandant militaire. Dans l'état actuel des choses on l'empêche, par la nécessité de l'autorisation qui doit être demandée, non seulement par le plaignant, mais encore par le ministère public.

Si vous laissez l'autorisation aux mains du pouvoir judiciaire, il n'y aura plus d'entraves; le pouvoir judiciaire sera souverain et independant; il n'attendra pas, comme le ministère public, les ordres du garde des sceaux, auquel d'ailleurs il saurait bien résister. Il agira par sa propre autorité, puisque vous l'aurez dégagé de toute espèce d'entraves; et savez-vous, Messieurs, ce que vous feriez en mettant l'autorisation, ou plutôt la liberté d'action, dans les mains des Cours royales? Vous franchiriez tout d'un trait, en rétrogradant, notre Révolution; vous iriez, non pas seulement jusqu'à 1789, je vous en parlerai tout à l'heure, mais jusqu'à une époque bien plus reculée.

Vous voulez donner aux tribunaux actuels une supériorité sur l'Administration; vous voulez les faire entrer dans la politique: pour mon compte je récuse cette attribution, dans l'intérêt des Cours royales elles-mêmes; c'est le plus funeste présent qu'une Chambre puisse leur faire.

J'ai dit, Messieurs, qu'on vous proposait de rétrograder de 45 à 50 ans, et j'ai eu soin de vous citer 1789, c'est-à-dire l'époque à laquelle

on s'occupait déjà de la constitution politique de l'Etat et de l'organisation du nouveau pouvoir judiciaire. La première pensée qui occupa l'Assemblée constituante, le premier principe qu'elle sentit la nécessité de poser, ce fut la séparation du principe judiciaire et du pouvoir administratif; voici comment s'exprime l'article 13 du titre II de la loi du 4 août 1790: « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. »>

Voilà le principe. Ecoutez l'application que l'on en fait dans le même article: « Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs à raison de leurs fonctions. >>

Voilà, Messieurs, comment on s'expliquait en 1790; voilà comment, en constituant le pouvoir judiciaire, on le séparait du pouvoir administratif. On croyait avec raison rendre, par là, le pouvoir judiciaire à toute la pureté de son institution.

Au surplus, l'Assemblée constituante n'avait pas même attendu l'organisation judiciaire pour placer les agents du gouvernement sous sa propre tutelle.

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Dès le mois de décembre 1789 elle avait décidé que Les officiers municipaux ne pourraient être mis en jugement pour des délits administratifs, sans une autorisation préalable du directoire du département. »

Ainsi, vous le voyez, toujours nécessité d'en référer à l'Administration; toujours à elle le droit d'accorder ou de refuser l'autorisation de poursuivre un membre de cette administration. C'est qu'autrement elle reconnaîtrait un maître, un supérieur, un souverain dans le pouvoir judiciaire. Depuis l'Assemblée' constituante, notre législation s'est maintenue dans les mêmes principes. On vous a parlé de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, sur lequel je reviendrai plus tard, mais il y a encore l'article 129 du Code pénal, revisé depuis la Révolution de 1830. Cet article porte condamnation d'une amende contre chacun des juges qui aurait, sans autorisation du gouvernement, rendu des ordonnances ou décerné des mandats contre ses agents ou préposés prévenus de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions... >>

:

M. Charamaule. Vous supprimez une partie de l'article... (Bruits divers.) Lisez-le en entier. M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous répondrez, Monsieur, notez-le; je cite exactement.

Je dis qu'outre l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, outre la loi de 1789, outre la loi du 24 avril 1790, vous avez encore l'article du Code pénal qui suppose, non pas une autorisation du pouvoir judiciaire, ou même du conseil d'Etat, mais une autorisation du gouvernement.

Ainsi, j'ai eu raison de dire que le principe de l'autorisation par le pouvoir judiciaire est un retour à l'ancien ordre de choses. C'est rétrograder; c'est être beaucoup moins libéral qu'on ne l'a été depuis 1789; c'est se mettre dans la position où étaient les anciens parlements, c'est placer toute l'Administration, tout le gouvernement, dans les maius du pouvoir judiciaire.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur cette partie de la discussion. Il est prouvé, jusqu'à l'évidence, que l'autorisation ne peut pas être placée, sans dénaturer toutes nos institutions, dans les mains du pouvoir judiciaire. Je le dirai

avec franchise, je n'ai jamais pu comprendre comment, après avoir étudié nos institutions, après avoir vu les peines qu'on s'est données pour séparer le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif, comment on a pu vouloir confondre l'un et l'autre et donner à l'un la suprématie sur l'autre.

M. Havin. Qui est-ce qui l'a proposé?

M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Ce n'est pas moi : si j'ai une seule fois parlé d'un arrêt d'instruction à rendre par la Cour, je me suis trompé. Et je ne suis pas, comme plupart de ceux qui viennent à chaque séance entendre des discussions, avec le parti pris d'avance de ne vouloir pas changer d'avis; quant à moi, j'écoute, et quand on me montre que j'ai eu tort je le reconnais; ce n'est pas la première fois que cela m'est arrivé.

Oui, je le dis, c'est l'Administration qui donne l'autorisation, mais il est vrai que pour l'information j'avais demandé un arrêt; et vous avez vu tout à l'heure, quand je suis monté à la tribune, que je sentais très bien que demander l'autorisation d'un corps judiciaire, n'importe à quelle époque, c'était soumettre le pouvoir administratif au pouvoir judiciaire, ce que vous ne devez pas faire, si vous voulez avoir un bon Continuez! contigouvernement. (Interruption. nuez!)

Un membre de gauche : La position est difficile. M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous vous trompez, Monsieur, ma position n'est pas difficile, elle est fort honorable.

Messieurs, après avoir prouvé que sans confondre tous les pouvoirs l'on ne pouvait pas mettre l'autorisation préalable de poursuivre aux mains du pouvoir judiciaire, j'ai à examiner où l'on doit placer le droit d'accorder cette autorisation. Vous vous rappelez sans doute ce que j'ai dit au commencement de cette discussion: que je ne connaissais que deux pouvoirs; je ne parle pas du pouvoir législatif qui est hors de cette discussion; que je ne connaissais que deux pouvoirs auxquels on put s'adresser le pouvoir judiciaire et le pouvoir adininistratif. J'ai mis, je crois, le pouvoir judiciaire hors la question; j'ai démontre que c'était un funeste présent à lui faire, qu'il fallait le confier à l'Administration elle-même, au gouvernement qui a mission de voir ce qui convient à l'Etat et à la société.

Maintenant, que sera-ce que l'acte que fera le gouvernement, quand il autorisera où refusera l'autorisation de poursuivre? Un acte administratif. Or, suivant moi, tout acte administratif entraîne responsabilité.

Ceci me ramène à la Constitution de l'an VIII, à l'article 75, et aux reproches qu'il s'est attirés. On a beaucoup écrit, non pas sous l'Empire, mais depuis 1814, contre l'article 75. On lui reprochait de faire dépendre l'autorisation d'une autorité irresponsable et soumise, disait-on, à l'influence du gouvernement qui, lui-même, ne répondait pas de ses décisions.

En effet, l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, supposant que le conseil d'Etat était un corps constitutionnellement organisé, disait que l'on ne pourrait poursuivre un fonctionnaire public qu'en vertu d'une décision. Nous disions : Par qui la décision était-elle rendue? Par des hommes amovibles sur lesquels on supposait, à tort sans doute, qu'on pourrait exercer de l'influence, d'où l'on tirait la conséquence qu'il

n'y avait ni indépendance, ni responsabilité. Quand un tribunal juge, nous comprenons qu'il ne réponde pas de ses jugements; mais quand un administrateur, un corps administratif agit ou décide, il faut qu'il y ait quelqu'un qui réponde.

M. Isambert. Il y a une ordonnance du roi signée.

M. Guizot, ministre de l'instruction publique, N'interrompez donc pas !

M. Garnier-Pagès. Ce n'est peut-être pas à M. le ministre de faire ici la police!

M. le Président. La question ne se décidera pas par des interruptions.

M. Persil, garde des sceaux, ministre de la justice. M. Isambert se trompe quand il dit que le conseil d'Etat ne rendait pas de décision; il n'a pas présent à l'esprit l'article 75 de la Constitution de l'an VIII. La décision du conseil d'Etat dans le sens de cet article ne devait pas être contre signée par un ministre. Le ministre n'était pas responsable par cela seul que l'article 75 disait qu'il devait y avoir une décision du conseil d'Etat; je suis sûr qu'en y réfléchissant bien, M. Isambert pensera comme moi.

Dans le sens de l'article 75, personne ne peut répondre de la décision rendue. La décision émane de quelqu'un qui n'est pas responsable.

Dans cette situation, Messieurs, et vu cet article 75, tel qu'il vient d'être entendu, article que j'ai condamné, que je condamne encore, il ne reste qu'à répéter ce que je disais tout à l'heure, que l'autorisation n'est pas autre chose qu'un acte administratif; c'est le gouvernement qui vient dire : je trouve qu'on ne doit pas suivre tel procès; je n'accorde pas l'autorisation de poursuivre; c'est le gouvernement qui le dit, j'ai cité tout à l'heure. C'est un acte administraainsi que le suppose l'article du Code pénal que tif; le gouvernement ne peut pas parler dans notre système actuel sans qu'il y ait quelqu'un qui réponde. Toutes les fois qu'il dira: Je ne veux pas qu'on poursuive, je n'accorde pas l'autorisation, il y aura quelqu'un qui répondra de sa détermination.

C'est pour cela que, dans l'amendement de la commission, qui a été rectifié depuis, vous avez trouvé que c'était au ministre que l'on devait envoyer l'instruction préalable, et que c'était le ministre qui décidait si le procès serait suivi, s'il en assumait sur lui la responsabilité, ou s'il autorisait la poursuite devant les tribunaux.

J'arrive, Messieurs, à une autre objection : à la dernière séance on a dit que la volonté du ministre n'était pas une garantie; que si le ministre examinait, s'il décidait lui-même, cela pourrait se comprendre au moins jusqu'à un certain point; mais qu'en définitive le travail se faisait dans les bureaux, et qu'un chef offrait moins de garantie que le conseil d'Etat; qu'à tout prendre, l'article 75 valait mieux que ce que nous proposons.

Je réponds qu'alors même que le ministre, dans une matière aussi grave, aurait la légèreté de laisser faire les chefs de bureau, vous auriez une responsabilité plus réelle, plus vraie qu'avec les dispositions de l'article 75.

Mais j'ajoute maintenant que vous avez ce qu'il y avait de bien dans l'article 75, et que le reproche que vous lui faisiez a disparu. En effet, vous avez la garantie du ministre qui manque au précédent.

Je dis que vous avez le conseil d'Etat, quoique nous ne l'ayons pas mis textuellement dans l'article. La commission vous dira que nous demandions que le conseil d'Etat füt expressément exigé par la loi. Pour nous, la précaution était inutile; car nous ne supposons pas qu'il y ait un ministre assez insensé pour laisser à ses bureaux tout le soin d'une pareille décision.

Il ne semble pas, en effet, que lorsqu'il s'agit de savoir si l'autorisation de poursuivre un fonctionnaire sera ou ne sera pas admise, ce soit une de ces choses de peu d'importance auxquelles le ministre ne doit pas porter attention.

Remarquez qu'il ne s'agit pas moins pour le ministre que d'assumer le fait sur lui. Un délit ou un crime est imputé à un maire ou à un préfet. Les pièces arrivent au ministère. Il s'agit de faire déclarer par le ministre qu'il autorise la poursuite ou qu'il assume le fait sur lui, c'est-àdire qu'il s'en charge, soit parce que le fait été commis par ses ordres, soit parce qu'on ne le trouve pas de nature à être poursuivi. Et vous croirez qu'il y aura un ministre assez insensé pour laisser une pareille décision à ses bureaux, c'est-à-dire la question de savoir s'il doit assumer sur lui le crime ou le délit, et en prendre toute la responsabilité.

Non, Messieurs, cela n'est pas possible. Le ministre fera ce qu'il fait dans toutes les circonstances un peu graves. Il renverra au conseil d'Etat, et se décidera d'après son avis.

Alors vous aurez la garantie morale dans la certitude qu'on ira au conseil d'Etat, et vous aurez la garantie réelle dans la responsabilité du ministre. Voilà tout ce vous pouvez demander, qu'exigeriez-vous raisonnablement de plus?

Vous avez entendu l'honorable M. Mauguin vous dire qu'il rejetait l'autorisation à accorder par le pouvoir judiciaire, et qu'il rejetait aussi l'autorisation du conseil d'Etat, tel qu'il était constitué; donnant par là à entendre que, si le conseil était constitué d'une manière inamovible, alors il se contenterait de son autorisation.

Messieurs, c'est demander une chose impossible. Je ne crois pas, quel que soit le ministère que vous ayez, qu'il put jamais donner un conseil d'Etat inamovible; cela est de toute impossibilité. Vous remettriez le gouvernement entre les mains de ce conseil qui serait veritablement le maître. C'est lui qui dirigerait forcément le gouvernement: obligé par la loi de le consulter et de lui soumettre ses principales opérations administratives, le gouvernement serait véritablement sous la main du conseil d'Etat. Je ne crois pas qu'il puisse arriver que jamais un ministère quelconque vous propose de rendre le conseil d'Etat inamovible, et de charger ce corps inamovible du soin d'accorder l'autorisation de poursuivre les fonctionnaires.

Ce serait en faire une sorte de pouvoir judiciaire. Les obstacles, les objections que j'ai montrés tout à l'heure pour le pouvoir judiciaire se retrouveraient tous avec un conseil d'Etat inamovible. Ce serait la même position, ce serait un corps qui dominerait le gouvernement.

Permettez-moi de terminer par ce très court résumé, qui va rétablir en peu de mots la substance de la discussion sur ce que j'avais à vous présenter.

D'abord, il faut une autorisation pour intenter une poursuite criminelle contre un agent; la nécessité en est reconnue de tout le monde. On ne diffère que sur l'autorité qui doit l'accorder.

Cette autorité ne peut être que l'autorité judi

ciaire ou l'autorité administrative. Je vous ai montré, quant à l'autorité judiciaire, que le principe existait avant la Révolution de 1789, que c'était le malheur du gouvernement de cette époque, que c'était ce qui avait occasionné les usurpations des parlements.

Je vous ai démontré que c'était détruire notre Révolution, saper de fond en comble les principes de la Constitution de 1791, et surtout dénaturer le pouvoir judiciaire que de lui donner sur le pouvoir administratif une surveillance, un contrôle qu'il ne pouvait pas exercer.

Nous sommes arrivés, par le raisonnement, à cette conséquence que lorsqu'il n'y a que deux pouvoirs auxquels on peut demander l'autorisation, et que l'un d'eux ne peut l'accorder, il y a nécessité absolue de s'adresser à l'autre.

C'est donc l'Administration qui doit accorder l'autorisation. Mais comment s'y prendra-t-elle? Par quels procédés conciliera-t-elle ce qu'elle doit à la justice et à la société ?

Comme, Messieurs, dans notre système de gouvernement, l'Administration est toute dans la personne des ministres; tout émane d'eux, tout dépend d'eux, tout ce qui se fait s'opère sous leur responsabilité; c'est donc le ministre qui doit donner l'autorisation de poursuivre un fonctionnaire; c'est un acte d'administration qui tombe sous sa responsabilité comme les autres, car il ne peut y avoir dans le gouvernement un seul acte d'administration qui n'ait à côté sa responsabilité. Celui-là est dans la catégorie des autres. Il faut une responsabilité. Où la trouverez-vous mieux combinée que dans notre proposition? D'une part, vous avez la responsabilité morale dans l'examen du conseil d'Etat, et de l'autre, la responsabilité réelle dans le contreseing du ministre.

Telles sont, Messieurs, les observations qui doivent, non pas vous déterminer à accepter l'article 75, j'ai prouvé qu'il ne pouvait plus exister, mais vous engager à voter en faveur de l'amendement de M. Daunant et contre celui de M. Dufaure.

M. Odilon Barrot. Messieurs, pour mon compte, je n'adresse à M. le garde des sceaux aucun reproche. Après avoir, dans un projet de loi destine à réaliser une des promesses de la Charte, consigué sa première pensée, qui a dû être profondément meditée, il rend hommage à la puissance de la discussion, et vient aujourd'hui déclarer qu'il a commis une erreur. Cette rétraction, si elle est consciencieuse, ce dont je ne doute pas, cette rétraction n'est qu'honorable, et nous devons lui rendre justice.

J'aime, surtout lorsqu'une discussion est si prolongée, et qu'elle approche de son terme, j'aime à la ramener à des termes positifs. A quoi se reduit la dernière opinion du ministère? à subordonner la poursuite en matière criminelle ou correctionnelle, contre les fonctionnaires de l'ordre administratif, à la volonté des ministres; c'est-à-dire qu'on vous propose d'absorber la responsabilité des agents du pouvoir dans la responsabilité ministérielle, de manière à ce qu'il n'y en ait qu'une seule pour les 150,000 fonctionnaires, celle des ministres; on vous propose de créer ainsi une sorte de personnification générale de l'Administration qui ferait que tous les fonctionnaires résideraient en quelque sorte dans la personne des ministres, et ne pourraient être traduits, accusés, jugés, qu'avec eux et pour eux. Par là vous établiriez dans ce pays une centra

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