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tien et le loyer ne peuvent être mis sur la même ligne, et je pense, avec l'un des préopinants, qu'il y a lieu d'ajouter les mots s'il y a lieu, immédiatement après le mot loyer, en disant «L'entretien et le loyer, s'il y a lieu, de l'hôtel de ville, ou du local affecté à la mairie. »

M. le comte de Germiny. Je ferai observer que l'entretien et le loyer du local affecté à la mairie, étant compris dans les dépenses obligatoires, là où ce local est prêté bénévolement, soit par le maire, soit par tout autre habitant, le loyer en sera probablement exigé, puisque la loi aura rendu cette dépense obligatoire.

M. le baron de Fréville. Il me semble qu'il convient de préférer la rédaction que propose la commission. Elle range au nombre des dépenses obligatoires le loyer de l'hôtel de ville ou du local affecté à la mairie. On objecte qu'il arrive souvent qu'il n'y a pas de loyer à payer. Dans cette hypothèse, la disposition dont il s'agit ne se trouverait pas applicable. La rédaction de la commission ne motive donc aucune objection réelle. Si l'on adoptait les mots : « s'il y a lieu »>, on serait obligé de s'assujettir, pour plusieurs autres paragraphes, à des répétitions qu'il faut

tâcher d'éviter.

M. le Président. Monsieur le rapporteur, vous entendez l'objection principale quí a été faite; c'est que le paragraphe doit faire naître dans la pensée de tous les maires qui prêtent leur chambre ou leur salon qu'ils peuvent exiger un loyer.

M. le baron Mounier, rapporteur. C'est pour cela que nous proposons nous-mêmes de rétablir les mots s'il y a lieu. On les placera où il en sera besoin. (Oui, oui!)

(Le premier paragraphe est adopté avec l'addition des mots s'il y a lieu.)

M. le Président. Je donne lecture des paragraphes suivants :

« Les frais de bureau et d'impression pour le service de la commune. »> (Adopté.)

་ 3o L'abonnement au Bulletin des lois. » (Adopté.)

"

4° Les frais de registres de l'état civil et la moitié des frais des tables décennales. » (Adopté.) 5o Le traitement du receveur municipal, du préposé en chef de l'octroi et les frais de perception.» (Adopté.)

6o Le traitement des gardes des bois de la commune et des gardes champêtres. »

M. le comte d'Ambrugeac. Je demande qu'on renvoie cette dépense aux dépenses facultatives; en effet, la commune doit avoir la faculté d'avoir eu de n'avoir pas de garde champêtre. M. le rapporteur a répondu que du moment où une commune ne voulait plus de garde champêtre, le conseil municipal pouvait prendre un arrêté à cet égard. Si cela me paraissait indiqué par la loi, je n'aurais rien à dire; mais loin de là, la loi semble, au contraire, imposer à la commune l'obligation d'avoir un garde champêtre.

Je suis tout à fait d'accord que les dépenses qui sont prévues par la loi sont des dépenses obligatoires; mais dans l'insuffisance des revenus, il y est pourvu par l'article 39. Ainsi, toute la difficulté est à l'article 39. Je demandé donc que cet objet soit renvoyé aux dépenses facultatives.

M. le baron Mounier, rapporteur. Le paragraphe 13 s'applique à l'institution du garde champêtre. M. le comte d'Ambrugeac voudrait que la dépense du traitement des gardes fût

rangée parmi les dépenses facultatives. Cela n'est pas possible, quant au garde bois, parce que le Code forestier prescrit aux communes de n'entretenir qu'un garde champêtre.

Voyons quant au garde champêtre.

Sur la question générale, nous sommes partis d'un point de vue que nous avons quelquefois présenté dans cette Chambre et que je voudrais qu'on étendit jusqu'au budget de l'Etat; c'est que ce ne devrait être que par des règles générales qu'on statuât sur les institutions source des dépenses, et non pas incidemment à l'occasion du vote du budget. Ainsi j'entends que le garde champêtre soit établi dans une commune, et une fois qu'il est établi, que la commune, en suivant la marche tracée par cette loi elle-mème, c'està-dire par une délibération qui recevra la sanction exigée, puisse le supprimer; mais tant qu'elle ne l'aura pas supprimé, il faut pourvoir au traitement. Dans notre opinion, il ne suffit pas d'omettre un article au budget pour que la place cesse d'exister.

Je crois que cette doctrine aura l'approbation de mon honorable collègue. Pour moi, je pense qu'il serait extrêmement utile qu'elle fut introduite ailleurs que dans le budget des communes.

Nous avons pensé que toutes les fois qu'il s'agissait d'une création de place, la commune était la maîtresse de refuser; mais tant que la place n'est pas supprimée d'une manière régulière, elle doit faire des fonds pour l'entretenir. Voilà la différence que je prie de ne pas perdre

de vue.

Quant à l'approbation, je ferai remarquer que les fonctions de garde champêtre sont des fonctions qui tiennent à la police générale, jusqu'à un certain point au moins, puisqu'il est officier de police judiciaire pour tous les délits ruraux, et en même temps le seul agent de police qui existe dans les campagnes; il est pour ainsi dire l'appariteur du maire, qui n'a pas d'autre agent de force publique que le garde champêtre.

Les lois de 91 et de l'an II voulaient qu'il y eût un garde champêtre dans chaque commune. Du moment qu'elles ordonnaient l'institution, il n'y a aucune espèce de doute qu'elles ne voulussent placer la dépense que cette institution occasionnerait dans la catégorie des dépenses obligatoires.

Par suite des difficultés de payement, un certain nombre de communes se sont dispensées d'avoir des gardes champêtres. Qu'on ait bien ou mal fait de laisser tomber la loi en désuétude, c'est ce que nous discuterons pas. Mais, ou la loi est encore en vigueur; alors ces gardes champêtres doivent exister, et la dépense qu'ils occasionnent est obligatoire; ou bien la commune n'est pas obligée d'avoir un garde champêtre; alors, elle pourra délibérer la suppression de la place; mais, jusque-là, le payement doit rester obligatoire. C'est ce que la Chambre des députés, qui a examiné cet article avec beaucoup de soin, a elle-même voté, dans le paragraphe 10 que nous n'avons fait que rédiger d'une manière différente.

M. le comte Roy. Il me semble qu'il faut bien s'entendre sur un premier point, c'est de savoir si l'institution dù garde champêtre est obligée, si elle est nécessaire; eh! bien, il me semble qu'elle n'est pas commandée par la nécessité, et l'institution n'étant pas nécessaire, je ne puis concevoir comment là dépense le se rait. Du moment qu'une communè est libre

d'avoir ou de ne pas avoir un garde champêtre, la dépense qui est la conséquence de l'institutiondu garde champêtre est une dépense facultative. Il n'est pas nécessaire de renvoyer à tel ou tel article: la suppression des mots de garde champêtre dans l'article entraîne, par cela même, le classement de la dépense parmi les dépenses facultatives.

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Il y a des communes voisines de Paris qui n'ont pas de territoire, qui n'ont que des maisons, et l'on voudrait que ces communes eussent un garde champêtre ! L'on voudrait que des propriétaires de maisons payassent les frais d'un garde champêtre, lorsque le garde champêtre est évidemment étranger à la conservation de leurs maisons? Ce serait là une chose absurde et ridicule. La création d'un garde champêtre est dans l'intérêt de la commune; c'est à elle à déterminer si elle en aura un, et par cela même elle a la faculté de faire les fonds nécessaires pour le payer, et j'en conclus que la dépense est une dépense facultative.

M. le comte de Tascher. Je n'ose pas traiter une question qui a été si clairement traitée par M. le rapporteur; je me bornerai à une bien courte observation. M. le rapporteur n'a pas dit que la commune serait forcée à avoir un garde champêtre; il a dit que lorsqu'elle en aurait un, il ne fallait pas que ce fut par prétérition qu'on le supprimât, mais par une délibération que la commune est libre de prendre à chaque instant.

M. le baron Mounier, rapporteur. Cet article n'ayant présenté aucune difficulté à la Chambre des députés, je ne m'étais pas attendu qu'il en ferait naître ici. La loi du 8 brumaire an IV prescrivait l'établissement d'un garde champêtre par commune, Néanmoins, il y a un certain nombre de communes qui n'ont pas de gardes champêtres. Nous n'entendons pas innover, mais là où il en existe, il faut qu'ils soient payés. Si une commune, par une raison quelconque, ne veut plus en avoir, le conseil municipal prendra une délibération qui supprime la place. Le jour où elle aura été revêtue de l'approbation du préfet, qui ne la refuse pas si les motifs sont légitimes, il n'y a plus de traitement à acquitter; mais s'il l'on fait rentrer le traitement du garde champêtre dans les dépenses facultatives, vous serez exposés à chaque vote de budget, à voir son existence dépendre de la manière dont le budget aura été rédigé. Nous demandons une délibération réfléchie et régulièrement approuvée.

(La Chambre ne se trouve plus en nombre suffisant pour délibérer; la discussion est renvoyée à demain.)

(La séance est levée à cinq heures.)

Ordre du jour du mercredi 1er avril 1835.

A midi, réunion dans les bureaux. Pour l'examen : 1° du projet de loi relatif aux faillites et banqueroutes;

2o Du projet de loi portant application aux colonies de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Guyane française et de Bourbon, de la loi du 28 avril 1832.

A une heure, séance publique.

1° Discussion ou nomination de commissions pour l'examen des projets de loi dont la Chambre se sera occupée dans les bureaux avant la séance;

2. Rapport de la commission spéciale chargée

d'examiner le projet de loi relatif à l'amélioration du cours de la Scarpe ;

3° Suite de la délibération sur les articles du projet de loi relatif à l'administration municipale.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. pelet (de LA LOZÈRE), VICE-PRÉSIDENT.

Séance du mardi 31 mars 1835.

La séance est ouverte à une heure et demie. Le procès-verbal de la séance du lundi 30 mars est lu et adopté.

M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi sur la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir.

La Chambre est restée hier à l'article 40 de la commission, amendé par M. Dufaure et sousamendé par M. Charlemagne. Plusieurs amendements ont été distribués ce matin; il vient de m'en être remis d'autres. La Chambre comprendra que je n'ai pas eu le temps de les examiner et de les coordonner. Je lui en donnerai connaissance quand le moment viendra de le faire. J'invite toutefois les honorables membres qui ont remis ces amendements à se tenir prêts à les développer quand leur tour viendra.

La discussion, dis-je, était établie sur l'amendement de M. Dufaure, sous-amendé par M. Charlemagne.

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L'amendement de M. Dufaure est ainsi conçu : Lorsque l'information préliminaire sera terminée, elle sera remise au président de la Cour. La première chambre civile, sur les conclusions du procureur général, déclarera s'il y a lieu à suivre.

« Dans le cas de l'affirmative, il sera passé outre aux poursuites et, s'il y a lieu, à la délivrance de mandats contre l'agent inculpé. Il sera procédé et statue conformement aux articles 236 et suivants du Code d'instruction criminelle, sans préjudice des dispositions des articles 10 et 18 de la loi du 20 avril 1810. »

Voici le sous-amendement de M. Charlemagne : «Si l'agent inculpé déclare avoir agi en vertu d'ordres émanés du ministre, l'information préliminaire sera transmise avant toute décision au ministre compétent.

་་

Si, dans le délai de deux mois, le ministre déclare qu'il prend sur lui l'acte qui a donné lieu aux poursuites, il en devient personnellement responsable. En conséquence, le ministre et l'agent inculpé pourront être traduits conjointement devant la Cour des pairs, suivant les formes établies par les articles 21 et 23 de la présente loi.

« Si le ministre déclare qu'il n'empêche pas les poursuites, ou s'il laisse passer le délai cidessus déterminé, sans faire connaître sa décision, les poursuites seront continuées conformément aux paragraphes 1 et 2 du présent article. »>

La parole est à M. Charlemagne.

M. Charlemagne. J'aurai, Messieurs, peu de chose à dire pour justifier le sous-amendement que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre;

mais, avant, qu'il me soit permis de faire une réflexion.

Depuis le commencement de cette discussion, on a continuellement reproché aux partisans du premier projet du gouvernement et de la commission, aux partisans de l'amendement de l'honorable M. Dufaure, de détruire en quelque sorte le pouvoir administratif au profit de l'autorité judiciaire. Si vous adoptez, vous a-t-on dit, ce système, vous allez donner aux Cours royales le droit de juger l'Administration, d'en paralyser l'action.

Je regrette, Messieurs, qu'on se soit tenu continuellement à cet égard dans des généralités. Il semble qu'on ait tout prouvé en répétant plusieurs fois, avec beaucoup de force, j'en conviens, cette assertion que vous alliez paralyser l'Administration, que vous alliez confier au pouvoir judiciaire, non seulement l'autorité qui lui est propre, mais encore l'autorité administrative.

J'aurais désiré, je l'avoue, qu'on eût bien voulu préciser les faits, qu'on eût bien voulu entrer dans quelques détails et nous poser des exemples. On eût pu faire comprendre à chacun des membres de cette Chambre comment, en admettant le système de la commission ou celui de M. Dufaure (car véritablement, on peut bien substituer l'un à l'autre; au fond ce sont les mêmes principes), comment, dis-je, et dans quels cas, les cours judiciaires seraient autorisées, au mépris du Code pénal, au mépris même du droit commun, à s'immiscer dans les fonctions de l'autorité administrative. Mais on n'a cité aucun fait; je vais donc essayer de remplir cette lacune, et je tâcherai de le faire en peu de mots.

Je suppose qu'un fonctionnaire soit traduit devant une Cour royale pour un crime ou pour un délit commis dans l'exercice de ses fonctions. Trois cas peuvent se présenter.

Ou le fonctionnaire a agi de son chef, ou bien il peut chercher à se faire une sauvegarde de quelque acte émané de l'autorité administrative, par exemple, d'un arrêté;

Ou bien, enfin, ce fonctionnaire a agi en vertu d'un ordre, d'une instruction émanée d'un ministre.

Dans le premier cas, il n'y a pas de difficulté. Le fonctionnaire a agi de son chef; ce n'est pas en exécution d'un arrêté, d'un ordre ministériel: il a seulement abusé du pouvoir que la loi lui conférait pour se rendre coupable d'un crime ou d'un délit. Dans ce cas, il est impossible que l'autorité judiciaire, en statuant sur le fait im puté au fonctionnaire, se fasse juge d'un acte administratif et moins encore d'un acte législatif.

Le second cas peut présenter plus de complication. Un fonctionnaire déclare qu'il a agi en exécution d'un arrêté; trois circonstances peuvent se présenter à l'examen des tribunaux D'abord, le fait imputé au fonctionnaire est-il conforme au texte de l'arrêté qu'il invoque? Estce bien en exécution de l'arrêté qu'il a commis le crime ou le délit qui lui est imputé? Premier examen. Mais ensuite les juges auront à examiner si l'arrêté lui-même est obligatoire, si l'arrêté lui-même a été pris par un fonctionnaire revêtu de l'autorité compétente.

Je dis que c'est un droit qu'on ne peut pas contester et qu'on n'a jamais contesté aux tribunaux. Il serait inouï qu'un tribunal fût obligé de s'assujettir à faire exécuter un arrêt qui serait émané d'une autorité incompétente.

Un commissaire de police, par exemple, s'avise

de rendre un arrêté illégal, voudra-t-on forcer les tribunaux à assurer l'exécution de cet arrêté? C'est aussi un droit non contesté aux tribunaux que la faculté de voir si l'arrêté viole ou non une loi positive. Figurez-vous un arrêté en opposition avec le texte formel d'une loi, on ne peut contester à un tribunal le droit de déclarer qu'il n'est pas obligatoire, de ne pas du moins le faire exécuter. Le tribunal serait en forfaiture s'il ne respecte pas la loi, au détriment de l'arrêté qui se trouve contraire au texte de cette loi.

Voilà, Messieurs, quels sont, en pareil cas, les prérogatives d'une cour de justice saisie de la connaissance d'un délit imputé à un fonctionnaire; mais il ne peut aller plus loin; il ne peut examiner le fond de l'arrêté qu'il soit juste ou non, peu importe; il a été pris par une autorité compétente, il n'est pas contraire à un texte de loi, le tribunal ne saurait se refuser à l'exécuter.

Voilà, Messieurs, la position du fonctionnaire inculpé. L'arrêté est exécutoire, le tribunal n'a pas à l'examiner, il faut qu'il le respecte. Les faits imputés au fonctionnaire sont conformes à la lettre et à l'esprit de l'arrêté le tribunal ne peut pas aller plus loin. Il est impossible que, dans de telles circonstances, le tribunal prononce une peine quelconque contre le fonctionnaire inculpé. Mais si, au contraire, le tribunal s'aperçoit que le fait imputé au fonctionnaire ne soit conforme ni au texte ni à l'esprit de l'arrêté qu'il invoque et dont il cherche à se faire une égide, nulle difficulté alors pour le tribunal de juger et de condamner ce fonctionnaire.

Remarquez, Messieurs, que ce serait le fonctionnaire qui serait jugé et condamné, et non pas l'Administration. L'acte administratif en exėcution duquel il prétendra avoir agi sera respecté; mais tout en respectant l'arrêté, le tribunal aura droit de condamner le fonctionnaire qui ne sera pas renfermé dans ses fonctions et se sera rendu coupable d'un fait prévu par la loi pénale.

L'amendement de M. Dufaure ne blesse en rien les règles que je viens d'exposer. Il ne va pas plus loin, il n'autorise pas les cours à sortir du cercle où la loi les renferme. Le système enfin respecte le droit commun dans toutes ses dispositions.

Enfin, Messieurs, il peut se présenter un cas: ce cas, c'est celui où un fonctionnaire aurait agi en vertu d'un ordre, en vertu d'une instruction ministérielle. Ici encore, je soutiens qu'on ne saurait contester à une cour de justice le droit d'examiner si l'ordre émané du ministre est ou n'est pas conforme à la loi. Jamais on n'a prétendu qu'une instruction ministérielle fût autre chose pour les tribunaux qu'une sorte de jurisprudence. Si donc l'agent, en exécution d'un tel ordre, s'est rendu coupable d'un crime ou d'un délit, il n'est pas douteux que les tribunaux, aux termes du droit commun, ne puissent, sans sortir de leur compétence, réprimer ce délit et en punir l'auteur.

Cependant, je dois le dire, il y a dans l'amendement de M. Dufaure une lacune dont je vais signaler l'inconvénient, et par rapport à l'équité, et dans l'intérêt du pouvoir ministériel.

L'équité naturelle serait blessée en effet, si, lorsqu'un fonctionnaire exécute l'ordre qu'il a reçu d'un ministre, il pouvait être condamné pour un crime ou un délit, sans pouvoir appeler à son secours le ministre dont il n'a fait qu'exécuter l'ordre.

L'équité serait blessée si le ministre qui a donné l'ordre pouvait retirer le bénéfice de la mauvaise action qu'il a provoquée, en laissant briser par les tribunaux l'instrument dont il s'est servi, et en abandonnant à la vindicte publique le fonctionnaire qui, par faiblesse ou par nécessité peut-être, a exécuté l'ordre de son supérieur.

Avant tout, le pouvoir ministériel serait blessé, car on ne saurait contester aux ministres lé droit d'engager leur responsabilité toutes les fois qu'ils le jugent convenable. Mais encore pourrait-on empêcher un ministre de défendre le fonctionnaire qui n'a fait qu'exécuter ses ordres? On ne peut pas exiger qu'il garde le silence pendant que les ordres qu'il a donnés seraient censurés ou stigmatisés par une cour de justice.

Il fallait donc une disposition pour remplir cette lacune. C'est cette disposition, Messieurs, que je vous propose, toutes les fois que le fonctionnaire alléguera qu'il n'a fait qu'exécuter un ordre ou une instruction ministérielle : comme alors la responsabilité ministérielle peut être engagée, le ministre aura le droit d'intervenir, et pour qu'il intervienne, il sera nécessaire dé lui communiquer l'instruction préliminaire faite par la Cour royale.

Vous sentez la conséquence de ce changement de juridiction; le ministre, déclarant qu'il assume la responsabilité de l'acte incriminé, il est évident qu'aux termes de l'article 22 que vous avez déjà voté, la Cour royale perd toute juridiction, elle devient incompétente, non pas à raison du fait incriminé, mais à raison des personnes le ministre ne pouvant être traduit que devant la Cour des pairs.

:

Au surplus, je ne fais ici que reproduire en grande partie le premier système de la commission et du projet du gouvernement; ce projet même, ce système, je le retrouve reproduit, mais seulement à l'égard de certains fonctionnaires, dans le dernier amendement de la commission. Nous y lisons en effet que toutes les fois qu'il s'agira de préfets, de sous-préfets, de commandants militaires de département, l'instruction préliminaire sera soumise au ministre, et que dans ce cas le ministre pourra déclarer qu'il assume ou non la responsabilité du fait qui a donné lieu à la plainte.

Quant à moi, je n'applique pas cette disposition à certains fonctionnaires, mais à tous les fonctionnaires, par la raison qu'il n'en est aucun qui ne puisse intéresser la responsabilité ministérielle, parce qu'il n'en est aucun qui ne puisse recevoir médiatement ou immédiatement les instructions du ministre.

A mon avis, la distinction adoptée par la commission est vicieuse; ce n'est pas la qualité du fonctionnaire qui doit tracer la ligne de démarcation, mais la nature du fait incriminé.

Maintenant, Messieurs, qu'il me soit permis de mettre un instant en présence le système proposé par M. Dufaure et le dernier système de la commission. A mes yeux, le grand avantage du système présenté par M. Dufaure, c'est que, sans violer les règles du droit commun, il accorde à tous les fonctionnaires toutes les garanties qu'un homme raisonnable est en droit d'exiger. Suivant ce système, le fonctionnaire inculpé sera traduit devant la Cour royale, mais il sera traduit devant ses juges naturels, communs à tous les citoyens; la juridiction n'est pas changée.

L'instruction sera faite par les magistrats de la Cour royale, c'est-à-dire par les chefs immédiats de ceux qui en auraient été chargés en première instance.

Enfin interviendra une décision de la chambre civile; mais il est évident que cette décision n'est pas autre chose que la décision de l'ordonnance de mise en prévention. Ainsi, les garanties accordées ici aux fonctionnaires ne sont autres que les garanties du droit commun, que celles que la loi commune accorde à tous les citoyens. M. Dufaure les multiplie, leur donne une plus grande force en faveur des fonctionnaires, mais il reste toujours dans le cercle que la loi commune a tracé.

Quant au ministre, s'il intervient, il le fait sans perdre son caractère d'administrateur, et uniquement parce qu'il croit sa responsabilité engagée: il reste ministre, et ne devient pas une espèce d'arbitre. La commission ne change pas l'ordre des juridictions; mais elle fait mieux, elle les supprime, elle accorde au ministre lé droit d'arrêter l'action de la justice. Et elle appelle cela une garantie! Mais qu'est-ce donc qu'une garantie? C'est la promesse, l'assurance qu'on obtiendra une bonne et prompte justice. Mais ici ce n'est pas une garantie, c'est l'impunité, c'est-à-dire l'absence de la justice. Et le ministre, quel rôle lui fait-on jouer? Non seulement il examinera la plainte et l'instruction préliminaire, mais encore il décidera si le fonctionnaire est ou non coupable, ou du moins s'il existe contre lui de fortes présomptions de culpabilité.

Le ministre remplit ici les fonctions d'une chambre du conseil, et c'est une véritable ordonnance de mise en prévention qu'il rendra contre le fonctionnaire, lorsqu'il jugera convenable d'accorder l'autorisation de poursuivre.

Ainsi, de deux choses l'une, où le ministre accordera l'autorisation, et alors il livrera le fonctionnaire déjà à demi condamné aux tribunaux, ou il la refusera, et il mettra ce fonctionnaire dans l'impossibilité de se justifier aux yeux de ses concitoyens.

Je vous le déclare, moi fonctionnaire, injustement accusé, je repousserais cette prétendue garantie, parce que dans le premier cas elle me livre aux tribunaux sous le poids d'une prévention d'autant plus fâcheuse, d'autant plus accablante qu'elle émanerait de mon chef, de mon supérieur, de mon protecteur naturel, et que dans l'autre cas elle me met dans l'impossibilité de faire valoir mon innocence, de me justifier aux yeux des tribunaux et du public.

Il faut pourtant, Messieurs, se déterminer entre les deux systèmes qui vous sont proposés; car il est certain qu'il n'y en a pas trois; d'une part, le système de M. Dufaure, de l'autre le système reproduit dans les derniers amendements de la commission, qui n'est en d'autres termes que la reproduction de l'amendement de M. Vivien, qui n'est lui-même que la reproduction de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII. Je dis que le fond du système est toujours le même, c'est toujours la faculté au pouvoir administratif d'accorder ou de refuser l'autorisation de poursuivre le fonctionnaire. Il n'importe pas que le premier soit remis dans les mains d'un corps administratif comme le conseil d'Etat, ou d'un seul individu comme le ministre. C'est toujours l'arbitraire, l'arbitraire donné à l'Administration, et il est très facile de le reconnaître, sous quelque déguisement qu'il essaie de se cacher.

Au moins l'article 75 de la Constitution de l'an VIII avait cet avantage qu'il était clair et précis, et d'une exécution facile. Il avertissait les citoyens qu'offensés par un fonctionnaire public, ils devraient avant de le poursuivre devant les tribunaux, s'adresser au conseil d'Etat, qui donnerait ou refuserait l'autorisation. Si le conseil permettait de poursuivre, l'affaire suivrait son cours naturel; s'il refusait l'autorisation, il fallait se résigner. Mais au moins cet article était clair et d'une exécution facile.

Mais les modifications apportées par la commission à cet article 75 le rendront obscur dans l'interprétation et difficile dans l'exécution : difficile dans l'exécution, parce que d'après cet amendement, voilà le ministre institué héritier du conseil d'Etat et des directeurs généraux. Et veuillez remarquer, Messieurs, qu'il ne faut pas peser le fardeau du ministre d'après l'état statistique que vous a présenté, il y a quelques jours, M. Vivien. Il n'a dù vous parler que des demandes portées directement devant le conseil d'Etat, il n'a pu vous donner le nombre de toutes les demandes portées devant les directeurs généraux. Est-il à croire que les employés pour lesquels on demande l'autorisation de poursuite aux directeurs généraux sont beaucoup plus nombreux que ceux pour lesquels on demande l'autorisation au conseil d'Etat?

Eh bien, vous avez entendu il y a quelques jours M. le ministre de l'intérieur se plaindre à la tribune de la tâche accablante résultant de la nécessité que vous lui imposiez d'examiner toutes les plaintes portées contre les fonctionnaires de son département. Que sera-ce donc si vous supposez, au lieu de ministre de l'intérieur, le ministre des finances. Il faudra donc qu'il examine toutes les plaintes portées contre les employés des postes, de la loterie, des douanes, des eaux et forêts, une armée entière. La chose n'est pas possible. Le ministre des finances ne pourrait se livrer à un pareil examen qu'au détriment des grands intérêts qui lui sont confiés. Convient-il, je le demande, de faire descendre le ministre de la haute position où il est placé, pour soumettre à son examen de misérables affaires qui souvent seraient à peine dignes de l'attention d'un officier de police judiciaire; convient-il que le ministre des finances abandonne, et le soin du budget, et les affaires de son département, pour s'occuper d'une rixe qui se serait élevée entre quelques maraudeurs et un garde forestier, ou de tout autre incident de cette importance? Messieurs, il faut souffrir que le ministre des finances reste ministre des finances, et ne pas lui imposer les fonctions d'un procureur du roi ou d'un juge de paix.

Je dis donc que l'exécution de la loi, telle qu'elle vous a été présentée par la commission, souffrira de grandes difficultés de la part du pouvoir, et qu'elle ne pourra, d'ailleurs, avoir lieu qu'en blessant toutes les convenances administratives.

Mais, Messieurs, que sera-ce, si vous l'envisagez par rapport aux simples citoyens? que de difficultés, que d'entraves ne vous présente pas le projet de la commission! La moindre difficulté, sans doute, ne sera pas celle de bien se pénétrer du véritable sens de la disposition que l'on vous propose. En effet, que vous dit la commission? Que lorsqu'il s'agira de plaintes formées contre des fonctionnaires publics, je laisse en dehors les préfets et les commandants de département, ces fonctionnaires

seront déchargés de toute accusation portée contre eux, par le fait de la déclaration du ministre, sauf la responsabilité de celui-ci.

Eh bien! maintenant, je me demande quelle peut être cette responsabilité, quelle sera sa nature, quels seront ses résultats. Remarquez, Messieurs, qu'il est bien important de comprendre ici la véritable portée de ce mot responsabilité; car c'est là toute la garantie qu'en cas de refus de la part du ministre, la commission réserve aux citoyens. Sera-ce une responsabilité qui résultera du fait incriminé? en d'autres termes, le ministre, en déchargeant de toute responsabilité le fonctionnaire inculpé, s'exposera-t-il lui-même à tous les résultats de l'action?

Le citoyen obligé d'abandonner son action contre le fonctionnaire dont il croira avoir reçu quelques dommages pourra-t-il faire réfléchir cette même action contre le ministre? En adoptant cette interprétation la plus favorable aux libertés publiques, nous trouverions encore d'immenses difficultés d'exécution. La morale publique et l'équité seraient blessées par une pareille fiction; il est certain qu'on ne se déterminerait qu'avec beaucoup de peine à punir un ministre innocent pour un fonctionnaire coupable.

Et je me demande même, si jamais il se trouvait une majorité parlementaire quelconque qui pût se décider à se priver des services d'un ministre capable, nécessaire, parce que ce ministre aura par erreur refusé l'autorisation de poursuivre un garde à cheval, un vérificateur des poids et mesures. Jamais une Chambre des députés ne se décidera à traduire devant la Cour des pairs un ministre pour des fautes de si peu d'importance. Bien moins encore la Chambre des députés exigerait de la Chambre des pairs de se constituer quinze ou vingt fois par an en cour de justice, pour juger les questions les plus dignes de son attention et de la métamorphoser ainsi en tribunal correctionnel ou de simple police.

Mais il est inutile de signaler les inconvénients que cette interprétation pourrait avoir; car la commission les désavoue.

M. le rapporteur vous a dit que cette responsabilité des ministres ne serait pas la responsabilité du fait, mais que cette responsabilité résulterait uniquement de sa déclaration, c'est-àdire de son refus d'autoriser les poursuites de citoyen qui se croira lésé contre un fonctionnaire.

Je me demande quelle action pourra sortir de la responsabilité ministérielle ainsi engagée. Voilà un ministre qui refuse l'autorisation du poursuivre un fonctionnaire. On le déclare responsable; quelle action la partie plaignante pourra-t-elle employer contre le ministre? Pour qu'il y ait action, il faut qu'il y ait préjudice causé. Mais le préjudice ne résulte pas du refus d'autorisation; il existait avant le refus; il est la suite du fait incriminé, et non pas du refus d'autorisation; il n'y aurait donc pas d'action, puisque vous mettez en dehors le fonctionnaire inculpé, puisque vous isolez et le fait incriminė et le refus d'accorder l'autorisation de poursuivre.

Cette responsabilité sera donc purement morale. Mais si c'est une responsabilité morale, est-il donc nécessaire de l'inscrire dans votre loi; la responsabilité morale n'existe-t-elle pas en vertu de la loi naturelle? a-t-elle besoin d'être écrite et promulguée? Mais nous avons

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