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CHAPITRE II.

Dispositions de l'armée. Défection de Ney.

La découverte d'un complot, avant qu'il soit consommé, le fait d'ordinaire échouer; mais la conspiration actuelle n'était pas de nature à manquer par un échec partiel. La marche triomphante de Buonaparte cessa d'être merveilleuse, lorsqu'il fut bien connu que l'armée lui était presque entièrement dévouée; que par-tout les militaires recevaient ses ordres avec empressement, et que son escorte, semblable à la boule de neige, ne cessait de grossir en avançant.

La partie la plus considérable de l'armée française, et particulièrement de la garde impériale, n'avait jamais partagé l'horreur de la nation par son chef coupable. Son nom et l'aigle impériale', quoique proscrits, restaient encore présens à leur souvenir. Les soldats s'attribuant une partie de la gloire militaire de l'usurpateur, se croyaient obligés de compatir à sa disgrace.

Tels étaient les sentimens des plus honnêtes

d'entr'eux; mais d'autres étaient incapables d'aucune espèce d'élévation dans l'ame. De même que les Israélites, dans le désert, se rappelaient l'abondance dont ils avaient joui en Egypte, ils regrettaient les jours de délices qu'ils avaient passés en Allemagne, les actions de toute espèce qu'ils y avaient commises pour remplir les intervalles de leur carrière de gloire.

Une classe assez considérable de l'armée voyait dans l'exil de Buonaparte un terme à ses généreux ébats. Le retour de la paix et des Bourbons avait fait cesser des scènes de dévastation et de carnage.

Enfin, quelques militaires se plaisaient à croire qu'ils représentaient la nation; qu'ils étaient le premier, peut-être le seul ordre de l'Etat. Ils regardaient le reste de la population comme des ilotes, et dans leur grossier langage, les qualifiaient de péquins (1). Les

(1) Je suis bien fâché, disait un ministre au maréchal L***, de ce que nous avons été obligés de nous mettre à table avant votre arrivée : on ne vous attendait plus. Je serais venu plutôt, dit le maréchal, mais j'ai été retenu par des péquins. Qu'est-ce que des péquins ? demanda la compagnie. Vous savez, répondit le maréchal, que nous appellons pequins tout ce qui n'est pas militaire. Oui, répliqua le ministre, de même

ques-uns des chefs les plus turbulens avait réduit le reste au silence. Quoiqu'ils murmurassent de son injustice, ils craignaient et adoraient son pouvoir.

Cette classe était désormais trop obscure pour donner de l'ombrage à un gouvernement. A l'exception de quelques chefs, les vrais jacobins no se trouvaient que dans la classe la plus pauvre. Cependant ils avaient été utiles en plusieurs occasions; et en révolution, aucune ressource n'est à dédaigner. Deş subsides étaient nécessaires pour tirer de leur sommeil ces utiles alliés. Les fonds furent fournis par les parens et les amis de Buonaparte, et distribués avec profusion par leurs émissaires.

La tranquille possession de Lyon par Buonaparte, l'augmentation continuelle de son armée , par ceux qui désertaient la cause royale, excitèrent dans Paris les craintes les plus sérieuses. Le gouvernement assura qu'il avait été pris des mesures pour couper à l'ennemi la route de la capitale. Une armée formidable se formait à Melun-sur-Seine, à dix lieues de Paris; une autre à Montargis, à quelques heures de marche de Fontainebleau.

un rapport à la convention; osez! voilà tout le secret des révolutions.

On assurait que bientôt il serait placé entre deux feux, parce que le maréchal Ney était déjà arrivé à Lons-le-Saulnier avec douze à quinze mille hommes qui tomberaient sur ses derrières. Ce général, qui avait obtenu le titre de prince de la Moskowa, à cause de sa part glorieuse à la victoire remportée près de cette rivière, s'était rendu, dès le 7 mars, au château des Tuileries. Il avait montré le plus sincère dévouement, et promis d'amener Buonaparte dans une cage de fer. Le Roi avait répondu, avec autant de dignité que de douceur, que ce n'était pas là ce qu'il désirait, et qu'il recommandait seulement au maréchal de repousser l'ennemi. Le maréchal prit congé du Roi, en lui baisant la main avec effusion (1).

On n'avait pas encore cessé de compter sur la fidélité de l'armée. Les princes furent rassu

(1) L'auteur ajoute que le maréchal emporta, en même temps, un million qui lui fut donné pour la solde des troupes. Ce bruit, qui a circulé en effet dans la société, a été démontré faux par le procès. Cependant il résulte de la déposition du préfet du départe ment du Doubs, qu'à son arrivée à Besançon, le maréchal s'occupa de faire verser dans la caisse de l'armée tous les fonds qui se trouvaient dans les caisses publiques; mais on n'eut pas le temps d'exécuter cette mesure. (N. du t.)

rés, en apprenant que

l'ennemi allait être attaqué en avant, sur ses flancs et sur ses derrières. Convaincus d'ailleurs de la loyauté de la garde nationale, ils virent avec plaisir partir les maréchaux, et sur-tout le prince de la Moskowa, dont le discours circulait de bouche en bouche.

Après avoir harangué le peuple de sa bonne ville de Lyon (1), Buonaparte se mit en route pour Paris. Il traversa Mâcon, Tonnerre et Auxerre, où il fut joint par le maréchal Ney, dont toute la division avait, par ses ordres, arboré l'étendard tricolore. Une partie de cette division était bien disposée pour le Roi, et les troupes auraient probablement fait leur devoir, si on ne les eût forcées à trahir leurs sermens (2).

(1) Il a paru, il y a peu de temps, un ouvrage trèspiquant, Buonaparte, ou l'abus de l'abdication, pièce historico-héroïco-romantico-bouffonne, en cinq actes, dont le premier se passe à l'île d'Elbe, le second à Lyon, le troisième à Paris, le quatrième à Waterloo, enfin le cinquième à Paris, in-8° 1815, J. G. DENTU. L'acte qui se passe à Lyon est trèscurieux. (N du t.)

au mo

(2) Des témoins ont déposé que le 14 mars, ment où la maréchal Ney donna publiquement lecture de la fatale proclamation, tandis que des soldats de l'aile gauche, où il se trouvait, criaient vive l'Empe

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