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Ecrivainsont traité fi exactement cette matiere que ce feroit une temerité de vouloir encherir fur eux: ou de reprendre quelque chofe dans leursouvrages. Mon but dans ce traité eft de montrer aux enfans dequelleslettreschaque fyllabe eft compofée,& quellesfyllabes entrent dansla compofition de chaque mot: avec les accens, & les autres marques qui fervent à la diftinction, à la clarté & à l'intelligence de l'écriture.

Il n'eft pas besoin de faire icy de grandsdifcourspour prouver laneceffité de cette connoiffance:on fçait affez que les paroles font les fignes des idées & des chofes:&que les mêmes paroles, oulesmotsd'un même fon& d'une même prononciation diversement écrits, ou diversementaccentués fignifientdes chofes trés-differentes.Le mot deplaine,par exemple,écrit avec un a,fignifie. une campagne: pleine écrit avec une, fignifie remplie. Le mot matin, écrit fimplement, fignifie la premiere partie du jour :mâtin accentué, ou maftin, fans prononcer l'; fignifie un gros chien.

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Pere écrit avec un e, fignifie celui qui a des enfans: écrit avec ai Pair de France, Comte & Pair, fi on y ajoûte un e à la fin,qui ne change point la prononciation, c'est tout autre chose; comme une paire de gants.Seigneur avec un é, S eft un homme de qualité ayant ficffai gneur avec un a, c'est un Chirurgien qui faigne. Cœur, cor partie du corps &lę principe de la vie. Chœur,chorus, partie d'une Eglife destinée pour le Clergé, Poid, pondus. Pois, pifa. Poix, pix. Poing,pugnum.Point,punctum,que l'on écrivoit anciennement, poinct. Point, particule negative, & ainfi de quantité d'autresmots,dont on donnera une lifte à la fin de cet ouvrage. Ne fçait on pas la peine que l'on a à lire la plus belle écriture lorfque l'ortographe n'y eft point obfervée, & qu'on la devine plûtôt qu'on ne la lit. On fçait enfin que plufieuts jeunes gensqui formant bien les caracteres de l'écriture ne fçavent pas l'ortographe font méprisés, & manquent fouvent des bons Emplois, & des établiffemens confiderables.

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Il est donc neceffaire de fçavoir l'or tographe,& de bien écrire chaque mot c'est à dire,de lui donner toutes les lettres, & les accens qui lui font propres : autrement on tombe dansla confusion, &ony jette le Lecteur,qui n'entendant pasce qu'il lit,ne le prononce pas com→ me il faut, & ne le fait pas entendre à ceux qui l'écoutent. Car la fonction des lettres, des fyllabés, & des mots est de formerun difcoursquireprefenteàceux qui le lifent, lesparoles qui ont été, ou qui auroient dû être prononcées : & l'écriture eft l'art d'exprimer par des figures fubfiftantes le fon de la voix, qui perit & s'envole à mefure qu'elle eft prononcée. Ainfi l'écriture eft un portrait de la parole, comme la parole eft un portrait de la penfée, avec cette difference,quela voix étant vivante auffibien que la pensée, elle reprefente la pensée plus vivement, & plus parfaite ment que l'écriture ne la peut representer:parce que l'écriture étant une figure morte & inanimée, elle ne peut reprefenter la vivacité, le mouvement,le

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fon & la prononciation de la voix : de même que lapeinture reprefente bienla figure exterieure d'un homme, la dif : pofition & fon attitude; mais elle n'en peut pas representer le mouvement. Depuis plus de cent ans que l'on tra vaille à perfectionner la Langue Fran çoise, plufieurs Anteurs ont témoigné du zele pour en reformer l'Ortogra phe, & ont crû que cette reformation étoit neceffaire; ils en ont apporté des raisons apparentes, en ont indiqué des moyens. Les raifons qu'ils en ap portent font : Que les Enfans ont de la peine àlire le François,& les Errangers à l'apprendre:parce que l'on écrit plufieurs mots François autrement qu'on ne les prononce, & que l'on pouroit facilement éviter cette confufion en écrivant comme on prononce: Car la fin de l'écriture, difent-ils, eft d'expri mer par des figures ce que nous avons à dire, comme la fin de la voix eft d'exprimer par des paroles ce que nous avons pensé. De forte que l'écriture étant comme un portrait dé la voix, il

femble qu'il feroit bien naturel d'écrire tomme on parle ; pour ne point tomber dans la confufion bizare que nous voïons dans l'Orthographe. On ne peut pas difconvenir, ajoutent ils, que la prononciation ne foit fujette au changement, nos ayeulsprononçoient Royne, & écrivoient Royne. Depuis l'oreille étant devenuë plus delicate, cette prononciation fut adoucie: mais auffi-tôt qu'on prononça Reine, on écrivit auffi Reine; il femble donc que l'Or tographe n'ayant aucune confiftence, elle devroit fuivre aveuglement le fort de la prononciation, & changer lorfque la prononciation change.

Mais ne feroit-il pas plus raisonnable de penfer & de dire qu'il faudroit prononcer comme on écrit ? car l'écriture étant plus fixe,plus generale,&plus uniforme que la prononciation: on prononceroit par tout de même,& on ne verroit plus tant de diverfité dans la prononciation;puifque les habilesgens partoute la France écrivent delamême maniere, quoi qu'il y ait tant de diver

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