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étaient pour Napoléon III et pour sa dynastie d'irréductibles ennemis. Les autres pouvaient à la rigueur être gagnés; mais il fallait pour cela que l'empereur capitulât sans réserve et de bonne foi devant leurs exigences constitutionnelles et rétablit de ses propres mains ce régime parlementaire détruit par luimême au 2 Décembre, anathématisé, raillé depuis, tant de fois, par lui ou par ses ministres. S'il s'y refusait, il sentait bien que, des bancs de la gauche, l'opposition gagnerait rapidement ceux du centre et absorberait sans peine une majorité depuis longtemps ébranlée dans son dévouement à l'empire autoritaire. Mais il ne voulait s'y résoudre qu'à la dernière extrémité et se réservait de reprendre un jour d'une main ce qu'il aurait été contraint d'abandonner de l'autre.

Avant de céder, il essaya une fois encore de ramener le pays à lui en lui faisant peur du spectre rouge. Les journaux bonapartistes remontrèrent au public que la révolution et l'anarchie étaient à nos portes. Il est certain qu'il régnait dans la classe ouvrière, particulièrement à Paris, une agitation de nature à inquiéter la bourgeoisie, comme les populations rurales. Le socialisme, que les agents provocateurs de l'Empire surexcitaient de leur mieux, s'y manifestait par les formules les plus extravagantes et les théories les plus subversives. Dans certaines circonscriptions les républicains de 1848, pour cause de modérantisme, étaient traités en suspects. Jules Favre n'avait été élu cette fois qu'au second tour de scrutin. Gambetta avait dû, pour obtenir les suffrages des électeurs de Belleville, accepter un programme impliquant, entre autres réformes, la séparation de l'Église et de l'État, la nomination de tous les fonctionnaires par l'élection et la suppression des armées permanentes. Enfin des scènes de désordre avaient lieu dans plusieurs villes, mais surtout dans la capitale, au lendemain des élections. Le gouvernement les favorisait par l'emploi de faux émeutiers chargés d'exciter la foule et les rendait ainsi plus brutales, partant plus effrayantes. Puis il en profitait pour ordonner des perqui

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1. C'étaient de prétendus ouvriers vêtus de blouses blanches, qui, malgré leurs violences de toute nature, n'étaient jamais saisis par la police ou demeuraient toujours impunis.

sitions, des arrestations, et se poser aux yeux de la France comme le sauveur nécessaire de la société menacée.

Le tiers parti et le programme des 116. Mais cette tactique n'eut pas tout le succès qu'il aurait souhaité. Les républicains ne firent qu'en rire et, au bout de peu de jours, surent se garder de tous les pièges. L'opposition modérée se montra bien, il est vrai, disposée à se rapprocher d'un gouvernement qui se faisait fort de rétablir la paix intérieure et l'ordre social. Mais si elle ne refusait pas son concours aux partisans de l'Empire, c'était à la condition qu'ils s'associeraient à ses revendications libérales. Elle l'obtint sans peine de beaucoup d'entre eux et il se forma bientôt au Corps législatif un tiers parti plus nombreux, plus compact et plus résolu que celui de 1866, avec un programme très net, que le gouvernement ne put pas longtemps feindre d'ignorer. Cette assemblée ayant été réunie le 28 juin, cent seize députés signèrent presque aussitôt une demande d'interpellation « sur la nécessité de donner satisfaction aux sentiments du pays, en l'associant d'une manière plus efficace à la direction de ses affaires. La constitution d'un ministère responsable, était-il ajouté dans ce manifeste, le droit pour le Corps législatif de régler les conditions organiques de ses travaux et ses communications avec le gouvernement seraient des mesures essentielles pour atteindre ce but. »

Transformation constitutionnelle de l'Empire. Napoléon III, n'osant pas repousser une pareille requête, mais ne voulant pas laisser discuter au Palais-Bourbon des questions constitutionnelles qui étaient du ressort exclusif du souverain et du Sénat, se tira d'embarras en prorogeant le Corps législatif (13 juillet). Puis, s'exécutant avec une bonne grâce plus apparente que réelle, il supprima le ministère d'État, nomma Rouher président du Sénat, et soumit à cette assemblée un projet de sénatus-consulte qui paraissait devoir donner aux 116 la plus large satisfaction.

Ce projet, qui fut adopté le 6 septembre, portait que désormais le Corps législatif aurait, comme l'empereur, l'initiative des lois; qu'il élirait son président et ses secrétaires. Il affranchissait les droits d'interpellation et d'amendement de leurs entraves

les plus gênantes. Il rétablissait le vote du budget par chapitres et même par articles. Il soumettait au vote de la Chambre élue les traités de douanes et de postes. Quant au Sénat, dont les séances dès lors seraient publiques, il lui confirmait le droit de renvoyer les lois à une seconde délibération. Il portait aussi que les rapports constitutionnels entre l'empereur et les Chambres ne pourraient être modifiés que par un sénatus-consulte. Mais la clause la plus importante qu'il renfermat était à coup sûr celle par laquelle les ministres étaient déclarés responsables. Il y était dit en outre qu'ils pourraient être membres de l'une ou de l'autre Chambre et qu'en tout cas ils y auraient droit d'entrée et de parole. C'était là toute une révolution. Le sénatus-consulte ajoutait, il est vrai, que les ministres dépendaient de l'empereur. Comment cette dépendance pouvait-elle se concilier avec leur responsabilité devant les Chambres? C'est ce que demanda, non sans malice, le prince Napoléon, toujours porté à faire étalage de ses sentiments démocratiques, dans un discours que les impérialistes purs trouvèrent « affligeant et scandaleux et qu'un ministre appela le « programme de la branche cadette ». Le Sénat passa outre. Il n'en était pas moins vrai qu'au moyen d'une pareille réserve l'empereur espérait bien conserver personnellement la direction des affaires et se jouer au besoin de la volonté des Chambres.

Au fond, toutes ses sympathies étaient encore pour le parti des mameluks; ce parti avait pour lui l'impératrice, dont l'influence grandissait à mesure que diminuait l'énergie physique et morale du souverain. La disgrâce de Rouher n'était qu'apparente. Rouher était toujours consulté, toujours écouté aux Tuileries. Il en allait être ainsi jusqu'à la fin de l'Empire, et le ministère Ollivier, dont le tiers parti attendait l'avènement, ne devait être qu'un ministère de dupes.

L'exaltation des esprits ne diminuait pas, loin de là. Un moment on put craindre dans la capitale une journée révolutionnaire, que les chefs du parti républicain et même quel ques libérauxparlaient d'organiser pour le 26 octobre. Elle

1. Pour protester contre le retard, inconstitutionnel suivant eux, que le gouvernement mettait à réunir de nouveau le Corps législatif.

n'eut pas lieu; mais Paris resta disposé à saisir toute occasion de manifester son hostilité au gouvernement. Il le prouva bien quand, grâce aux élections complémentaires du 21 et du 22 novembre, il envoya au Palais-Bourbon le plus violent détracteur de l'Empire, Henri Rochefort, dont l'élection pouvait être considérée comme un outrage personnel à Napoléon III.

Quelques jours après (29 novembre), le chef de l'État, ouvrant la session législative ordinaire, adjurait les Chambres non sans tristesse de l'aider à sauver la liberté. Quant à l'ordre, il ajoutait bien qu'il en répondait; mais cette feinte assurance dissimulait mal son inquiétude et son impuissance. Le tiers parti était las de lui faire crédit et, après lui avoir arraché la nouvelle constitution, voulait être appelé au pouvoir pour la mettre à l'épreuve. Il était à craindre, si on lui faisait trop attendre cette satisfaction, qu'il ne fût débordé, entraîné par la gauche, qui déjà, par l'organe de Jules Favre, demandait pour le Corps législatif le pouvoir constituant.

Napoléon III se décida donc à faire un pas de plus dans la voie des concessions. Depuis plusieurs mois il négociait secrètement avec Émile Ollivier, et ce dernier était même venu de nuit, en grand mystère, se concerter avec lui à Compiègne. Le 28 décembre 1869, la France apprit que l'ancien collègue de Jules Favre dans le groupe des Cinq était chargé de former un ministère, et le 2 janvier suivant ce ministère était constitué. L'Empire libéral était fondé: Le tiers parti le salua comme un régime durable et qui devait régénérer l'Empire. Ses adversaires de droite n'y virent qu'un expédient, bon pour gagner du temps et préparer le retour de l'Empire autoritaire. Aux yeux de ses adversaires de gauche, c'était un simple acheminement à la République.

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BIBLIOGRAPHIE

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La Gazette de France.

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partir de 1861). L'Avenir National (à partir de 1865). L'Électeur libre (à partir de 1868).

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L'Univers (supprimé en 1860, reconstitué en 1867). Le Monde (à partir de 1860). L'Ami de la religion (fondu en 1862 dans le Journal des villes et des campagnes). Le Correspondant. Annuaire historique (ancien annuaire Lesur), de 1852 à 1861 (inclusivement). Annuaire des Deux Mondes, jusqu'en 1867 (inclusivement).

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