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La révolution moldo-valaque. Les révolutions de 1848 eurent leur contre-coup dans l'empire turc, dans les provinces vassales de Moldavie et de Valachie. Les mouvements y présentèrent les mêmes caractères que dans le reste de l'Europe. Ils furent à la fois constitutionnels, libéraux, nationaux et unitaires. En Moldavie tout se borna à une réunion tenue à Iassi, le 27 mars, presque sous les yeux de l'hospodar Michel Stourdza; on y prépara un projet de constitution qui lui fut soumis et qu'il promit de prendre en considération. Le soir même il faisait arrêter les chefs du mouvement, et tout rentra dans l'ordre.

Les événements furent plus graves en Valachie. En dépit d'utiles réformes, le prince Georges Bibesco s'était rendu très impopulaire surtout par ses étroites relations avec la Russie. Un parti d'opposition s'était formé, composé de jeunes hommes imbus des idées françaises, hostiles avant tout à l'influence russe et qui, pour délivrer le pays « du fléau du protectorat », élaient prèls à « se rallier sincèrement à la Porte ». Ils

1. Mémoire présenté à Talaat effendi, commissaire ottoman, publié dans les Mémoire justificatif de la Révolution roumaine, Paris, 1849, p. 74.

rêvaient pour l'avenir l'union de la Valachie et de la Moldavie, même de la Transylvanie roumaine; pour le présent, l'abolition du règlement organique de 1831, une constitution qui assurat l'égalité civile et politique, la liberté de la presse, l'indépendance administrative et législative sous le seul contrôle de la Turquie. Plusieurs sociétés secrètes, notamment la Société des frères, créée en 1844, propageaient ces idées et groupaient les mécontents. Lorsque les libéraux, d'abord désireux d'agir par les moyens légaux, eurent acquis la certitude qu'ils ne devaient rien espérer de Bibesco, ils se résolurent à un coup de force. Le 21 juin, à Islaz, « au camp de la régénération », ils proclamaient une constitution. A Bucarest les soldats déclarèrent qu'ils ne se battraient pas contre leurs frères», et, le 23, le prince se résigna à signer la constitution. Le 25 juin, «sentant que ses forces n'étaient point en rapport avec les exigences des circonstances », il abdiquait, laissant la place à un gouvernement provisoire aussitôt constitué. La révolution s'était accomplie sans qu'on eût versé une goutte de sang.

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Intervention russo-turque. Dès lors que les libéraux demandaient le rétablissement du protectorat unique de la Turquie, le sultan eût peut-être reconnu le nouvel état de choses. Mais le tsar Nicolas, outre son horreur instinctive de tout mouvement révolutionnaire, ne pouvait admettre une transformation d'où résulterait un amoindrissement d'influence pour la Russie dans les Balkans. Aussi, dès le 28 juin, 12000 Russes avaient pénétré en Moldavie et s'avançaient sur la Valachie. Leur marche fut un instant suspendue sur la protestation de la Porte, et une demande d'explications de la France et de l'Angleterre. Mais le tsar renforça l'armée et la tint prête à agir. De son côté, le sultan portait 20 000 hommes au delà du Danube, se refusait, à l'instigation de la diplomatie russe, à reconnaître le gouvernement provisoire et chargeait un commissaire extraordinaire, Soliman pacha, de rétablir l'ordre légal. Soliman, d'esprit très modéré, invita les Valaques à nommer eux-mêmes un lieutenant (caïmacan) conformément au règlement organique, mais promit, une fois « le pays ramené

à son état antérieur, de prendre en considération les griefs fondés qu'on serait dans le cas d'exposer ».

Le 4 août fut élue une « lieutenance princière de la terre roumaine ». Fidèle à sa promesse, Soliman examina avec la plus grande bienveillance les demandes de réforme, et ce travail aboutit à l'adoption, à quelques détails près, de la constitution. proclamée au camp de la régénération. L'entente étroite entre les Valaques et le représentant de la Turquie déplut aux Russes. Le sultan fut invité à rappeler immédiatement Soliman et à nommer un nouveau commissaire qui devrait agir de concert avec le commissaire russe, le général Duhamel. Le sultan, isolé, dut céder. Fuad effendi et Omer pacha que surveillait le commissaire russe entrèrent à Bucarest; la lieutenance fut remplacée par un caïmacan, Constantin Cantacuzène; les chefs du parti libéral furent arrêtés et expulsés. Pour être plus sûr que ses volontés seraient exécutées, le tsar envoyait, à la fin de septembre, 60 000 hommes à Bucarest. Le gouvernement se trouva en fait aux mains du général Duhamel, qui fit arrêter, emprisonner, exiler sans jugement tous les adversaires du protectorat russe.

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Convention de Balta-Liman. Le 1er mai 1849 les deux puissances signaient à Balta-Liman une convention réglant les nouvelles conditions d'existence des Principautés. Les hospodars, nommés pour sept ans par le tsar et le sultan, ne seront plus que des lieutenants gouverneurs; les assemblées générales sont supprimées; des comités nommés par les commissaires russe et ottoman auront à remanier l'ancien règlement organique; l'occupation durera jusqu'au complet rétablissement de l'ordre et jusqu'à l'achèvement des travaux des comités. En vertu de cette convention le prince Stirbey, client de la Russie, fut nommé hospodar de Valachie; en Moldavie l'on nomma le candidat des Turcs, le prince Ghika.

Ainsi le seul résultat de la paisible révolution valaque avait été le retrait des libertés importantes concédées par le traité d'Andrinople les Principautés perdaient le droit de nommer elles-mêmes leurs hospodars, et d'avoir des assemblées générales élues. La politique réactionnaire de Nicolas triomphait

à Bucarest et à Iassy comme elle allait triompher quelques semaines plus tard en Hongrie. L'effort des Moldo-Valaques pour échapper à l'influence et à l'ingérence de la Russie aboutissait pour celle-ci à l'accroissement de ses moyens d'action légaux dans les Principautés. C'était aussi une victoire du tsar sur le sultan, un nouveau progrès dans la lente conquête des Balkans, un nouveau pas en avant dans la marche patiente et continue vers Constantinople.

Soulèvements en Bosnie et en Bulgarie. Sur d'autres points de l'empire turc la politique russe fut moins heureuse. On ne peut guère mettre en doute l'intervention de ses agents dans les troubles de Bosnie et de Bulgarie de 1849 à 1851. En Bosnie, au mois de juillet 1849, le sentiment national réunit pour la première fois dans une même pensée ceux dont les différences de religion avaient toujours fait des frères ennemis, begs renégats et raïas chrétiens. Ce soulèvement devait paralyser toute velléité d'intervention de la part des Turcs dans les affaires de Hongrie. Les insurgés avaient proclamé la confédération slave, inscrit sur leurs étendards le nom du ban de Croatie, Ielatchitch, et pris pour chef un cousin de ce dernier. Ils comptaient sur la coopération de la Serbie et du Monténégro. Mais en Serbie le prince Alexandre Karageorgevitch, en haine de la Russie, déclara vouloir remplir fidèlement ses devoirs de vassal du sultan, et les Monténégrins en haine des begs renégats se jetèrent sur les insurgés. Le sultan rappela Omer pacha de Bucarest et le lança sur la Bosnie au printemps de 1850. Aussitôt les agents russes, exploitant les souffrances intolérables des raïas bulgares, les soulevèrent contre leurs bourreaux, les spahis. Leur échec certain devait fournir un prétexte à l'intervention du tsar. Les malheureux paysans, armés pour la plupart de faux et de bâtons ferrés, ne purent tenir. Une répression sauvage commença, assez vite interrompue pour que les Russes ne pussent agir, par le brusque retour d'Omer pacha. Celui-ci, nommé gouverneur général de la Turquie d'Europe, accorda une amnistie sans restriction aux insurgés et profita des circonstances pour imposer aux spahis

1. Voir ci-dessus, t. X, p. 944-945.

de Bulgarie l'application du tanzimat. Il l'imposa de même. aux begs musulmans de la Bosnie, contre lesquels il avait immédiatement repris la campagne. Les libertés promises par le tanzimat amenèrent la soumission rapide des raïas qui aidèrent même les réguliers turcs à pourchasser les begs rebelles. Omer pacha se hâta d'appliquer lui-même les dispositions les plus importantes pour le relèvement de la puissance turque. Il fit percevoir les taxes sur les begs comme sur les raïas et leva ses recrues parmi les chrétiens comme parmi les musulmans. Il tira de là quelques-uns des meilleurs éléments de l'armée qui peu de temps après devait arrêter les troupes russes au pied des Balkans.

Russie et Turquie. La répression rapide de ces deux soulèvements, l'énergie avec laquelle le sultan refusait au tsar et à l'empereur d'Autriche l'extradition des réfugiés hongrois, le fait qu'il venait d'imposer même au vice-roi d'Égypte l'application du tanzimat (mai 1852), témoignaient chez les Turcs d'un retour de vigueur dont il était impossible que Nicolas ne s'émût pas. Depuis son avènement il attendait l'heure d'ouvrir et de recueillir, soit par la force, comme au moment du traité d'Andrinople, soit par la diplomatie, comme au temps de la convention d'Unkiar-Skelessi, la succession de celui qu'il allait appeler « l'homme malade ». Et voilà que les réformes d'AbdulMedjid, l'énergie de Réchid pacha modifiant ses conditions. d'existence, le malade se reprenait à la vie. Il fallait donc brusquer les événements. Le règlement d'un conflit d'influence engagé depuis 1851 avec la France, à propos des Lieux-Saints, allait fournir à Nicolas le prétexte d'une rupture.

Question des Lieux-Saints. Une tradition plus de douze fois séculaire, confirmée par de nombreux firmans, assure aux Catholiques ou Latins, tous protégés de la France, la garde des Lieux-Saints à Jérusalem et à Bethléem. Ce privilège leur est envié et contesté de temps immémorial par les Arméniens et les Grecs. A différentes reprises, les Grecs avaient essayé de déposséder les Latins. En 1757, ils étaient arrivés à occuper quelques-uns des sanctuaires. En dépit des protestations et des réclamations de la France, l'incident n'était pas réglé en 1789.

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