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armée irrésistible et d'un corps nombreux de fonctionnaires habitués à dominer les particuliers, le Président recevait seul la force réelle qui le rendait maître du pays; en face de lui, l'Assemblée, avec son pouvoir législatif tout théorique, était impuissante et sans défense. Le sort de la République dépendait donc d'une question pratique : comment serait élu le Président? Une partie des républicains voulaient le faire élire par l'Assemblée; la Constituante eût élu Cavaignac, ce qui assurait l'avenir de la République. Mais la majorité trouvait plus conforme au principe démocratique de faire élire le Président par le suffrage universel. Lamartine, qui s'imaginait être assez populaire pour se faire élire par le peuple, prononça un discours célèbre : « Alea jacta est! Que Dieu et le peuple prononcent! Il faut laisser quelque chose à la Providence. » L'Assemblée, par 602 voix contre 211, vota l'élection au suffrage universel. Après quoi, pour retenir le Président dans le devoir, elle décida qu'il jurerait d'observer la Constitution et régla la procédure à suivre par la Haute Cour au cas où il violerait son serment. Élection de Louis-Napoléon. Le chef de la famille Bonaparte, Louis-Napoléon, réfugié en Angleterre, avait profité de la révolution pour revenir en France. Arrivé dès le 25 février à Paris, et renvoyé aussitôt par le Gouvernement provisoire, il avait laissé ses amis faire de l'agitation sur son nom. Il n'y avait pas encore de parti impérialiste. Aux élections d'avril pour la Constituante, on ne vota pas pour Louis-Napoléon, personne ne prit au sérieux une bande qui parcourut les rues de Paris en criant sur l'air des Lampions : « Poléon, Poléon, nous l'aurons!» Mais le nom de Napoléon était resté populaire. Aux élections complémentaires de juin, Louis-Napoléon fut élu par 84000 voix dans la Seine et passa dans trois autres départements. On commença alors à crier Vive l'Empereur! et il se fonda des journaux napoléoniens.

L'élection du Président de la République était fixée au 10 décembre; les candidats étaient Cavaignac, Louis-Napoléon, Ledru-Rollin, candidat des socialistes, Lamartine, Raspail. Cavaignac était l'homme du parti républicain non socialiste. Le parti royaliste catholique, surnommé le « parti de l'Ordre »,

venait de s'organiser sous la direction du « Comité de la rue de Poitiers », dominé par les chefs des trois fractions: Thiers orléaniste, Berryer légitimiste, Montalembert catholique. Il offrit à Cavaignac de le soutenir, à quatre conditions: il ferait voter une loi pour interdire les clubs (ils n'étaient fermés que provisoirement), il maintiendrait 50 000 soldats à Paris, il refuserait de reconnaître l'Assemblée de Francfort (Thiers était l'ennemi violent de l'unité allemande), il soutiendrait le roi de Sardaigne contre les républicains. Cavaignac refusa de s'engager. Le Comité décida d'accepter pour candidat du parti de l'Ordre Louis-Napoléon, qui promit tout ce qu'on voulut.

Louis-Napoléon eut pour lui les royalistes et les catholiques; il eut aussi la masse des électeurs paysans et ouvriers qui, n'ayant jamais reçu d'instruction politique, ne connaissaient d'autre nom que celui de Napoléon. Il fut élu par 5 434 226 voix, avec une énorme majorité, même dans les départements les plus républicains (Saône-et-Loire, Isère, Drôme). Cavaignac n'en eut que 1 498 000, Ledru-Rollin 370 000 et Lamartine 7910.

Fin de la Constituante.

Louis-Napoléon, installé à l'Élysée, forma un ministère pris dans la droite de l'Assemblée, présidé par O. Barrot', avec le catholique Falloux à l'Instruction publique. Il nomma préfet de police Carlier, un bonapartiste militant, et dans les départements des préfets qui commencèrent à faire la guerre aux emblèmes républicains, arbres de liberté et bonnels phrygiens.

La Constituante, en grande majorité républicaine, assistait impuissante aux actes du pouvoir exécutif, et la minorité royaliste lui déclarait qu'ayant terminé sa mission, elle devait faire place à la Législative. C'était le sens de la proposition Rateau, qui, malgré les comités, fut prise en considération à 3 voix de majorité (8 janvier).

Puis il fut question « d'en finir avec l'Assemblée » par la force. Changarnier, le général de confiance du parti royaliste,

1. D'après un récit de Thiers (à Nassau Senior), il aurait refusé le ministère et c'est lui qui aurait désigné à Louis-Napoléon ses ministres il lui aurait conseillé de s'habiller en civil, de s'entourer de maîtres des requêtes et d'affecter la simplicité américaine; mais le président prit une attitude opposée.

commandant des gardes nationales de la Seine et des troupes de Paris, disposait de toutes les forces militaires de la capitale. Le 29 janvier au matin, il faisait battre le rappel et remplissait de soldats les rues de Paris. Le bureau de l'Assemblée, inquiet, manda Changarnier qui, deux heures plus tard, fit répondre qu'il était retenu auprès du Président de la République et que les troupes étaient réunies pour combattre une insurrection. L'incident ne fut jamais expliqué. O. Barrot prétendit qu'il s'agissait d'une émeute de la garde mobile. Il est probable que c'étaient les préparatifs d'un coup d'État. Le soir, à l'Élysée, Louis-Napoléon tint une réunion secrète avec Changarnier, Thiers, Molé, de Broglie. Changarnier voulait en finir avec l'Assemblée par un coup de force; Thiers déclara l'idée absurde : << Laissez crier l'Assemblée, Barrot est aussi criard qu'elle; il est fait pour ça; c'est son métier et il le fait bien ». Et il conseilla de réserver l'opération, héroïque mais pénible, d'un coup d'État, jusqu'à ce que le mal fût assez invétéré et dangereux pour justifier le remède ». Louis-Napoléon, silencieux suivant son usage, approuva l'ajournement du coup de force. Et Changarnier, en s'en allant, dit à Thiers: « Avez-vous vu la mine qu'a fait le Président? Après tout, c'est un j... f....... »

Le conflit entre la Constituante et le Président éclata sur une question de politique italienne. La majorité républicaine voulait soutenir le royaume de Sardaigne menacé par les Autrichiens; Louis-Napoléon, pour plaire à la droite catholique, voulait rétablir le Pape et détruire la République romaine. L'Assemblée intervint par un ordre du jour (30 mars) : « Si pour mieux garantir l'intégrité du territoire piémontais et pour mieux sauvegarder les intérêts et l'honneur de la France, le pouvoir exécutif croit devoir prêter à ses négociations l'appui d'une occupation partielle et temporaire en Italie, il trouvera dans l'Assemblée le plus entier concours. » Le Président, sur le conseil de Thiers, accepta l'intervention en Italie, mais la détourna contre la République romaine. Il fit voter à l'Assemblée un crédit extraordinaire pour une expédition de trois mois; Barrot promit qu'il s'agissait seulement de « maintenir l'influence française et défendre la civilisation ». Mais le corps d'armée envoyé

sous Oudinot à Civita-Vecchia, marcha sur Rome et fut repoussé. La majorité républicaine vota aussitôt la résolution: « L'Assemblée invite le gouvernement à prendre sans délai les mesures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne soit pas plus longtemps détournée du but qui lui était assigné. » Au lieu d'obéir, le Président écrivit (8 mai) à Oudinot « Nos soldats ont été reçus en ennemis, votre honneur militaire est engagé. »>

L'Assemblée refusa pourtant la mise en accusation des ministres et même une déclaration de défiance (par 329 voix sur 620); mais le ministre de l'Intérieur ayant annoncé ce vote officiellement aux départements, l'Assemblée vota un ordre du jour qui le força à se retirer. La Constituante aurait pu prolonger sa durée en attendant d'avoir voté les lois organiques complémentaires de la Constitution; mais elle s'était laissé entraîner par la droite à accepter un amendement qui équivalait à la proposition Rateau; elle se sépara le 26 mai.

IV.

L'Assemblée Législative.

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Élection et réunion de la Législative. -L'Assemblée législative de 750 membres, élue le 13 mai 1849, à la majorité relative et au scrutin de liste par département, et réunie le 28 mai, représentait une proportion des partis toute différente de la Constituante. L'ancienne majorité républicaine, le parti de Cavaignac, était tombée à 70 membres. L'extrême gauche, qui prenait le nom traditionnel de la Montagne, s'était organisée pour les élections sous la direction de comités électoraux, la Solidarité républicaine, les Amis de la Constitution, qui avaient fait appel au sentiment démocratique dans la lutte contre les ennemis de la République. Le manifeste des 55 représentants de la Montagne (rédigé par Félix Pyat) contenait même quelques promesses de réforme sociale réforme du service militaire (pour abolir l'inégalité), abolition des impôts sur les objets de première nécessité, impôt progressif sur le revenu net, exploitation par l'État des chemins de fer, mines, canaux, assu

rances, crédit d'État'. La Montagne eut 180 représentants, élus

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surtout par l'Est, le Midi et Paris. Contre les 250 républicains, la coalition monarchiste et catholique de la rue de Poitiers avait fait élire environ 500 représentants du « parti de l'Ordre », orléanistes, légitimistes, partisans de la fusion; les bonapartistes n'étaient qu'en petit nombre.

Le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif étaient d'accord contre le parti républicain; ils allaient travailler à l'écraser en détruisant ses moyens de propagande et d'action, les journaux républicains, les sociétés politiques, les écoles laïques et le suffrage universel.

A la nou

Le 13 juin et la défaite de la Montagne. velle des combats devant Rome, le parti de la Montagne prit l'offensive. Les comités organisés pour les élections rédigèrent des protestations contre le gouvernement qui venait de violer l'article 5 de la Constitution: « La République française respecte les nationalités étrangères... et n'emploiera jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple ». Ledru-Rollin demanda à l'Assemblée de mettre en accusation le Président de la République et ses ministres; aux explications d'O. Barrot, puis aux cris de la droite, I répondit par cette déclaration qu'il répéta: «La Constitution a été violée, nous la défendrons même les armes à la main » (11 juin). L'Assemblée rejeta la proposition. Le lendemain, Ledru-Rollin et quelques représentants organisés en commissions lançaient une proclamation qui dénonçait la conspiration monarchique contre la République, et convoquaient les gardes nationaux à la mairie du 5o arrondissement pour se rendre en masse, sans armes, à l'Assemblée.

Il ne vint que quelques centaines de gardes nationaux et des ouvriers; le 13 juin, à onze heures du matin, ils partirent du Château-d'Eau en criant: « Vive la Constitution! Vive l'Italie! » et arrivèrent jusqu'à la rue de la Paix. Changarnier avait massé des troupes qui chargèrent les manifestants et les dispersèrent.

4. « Nous voulons reconnaitre à tous le droit à la propriété par le droit au travail. Qu'est-ce que le droit au travail? C'est le droit au crédit. Qu'est-ce que le droit au crédit? C'est le droit au capital, c'est-à-dire aux instruments de travail... Il faut que l'Etat prête au lieu d'emprunter, qu'il prête sur immeubles comme

sur meubles.

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