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Antivari. Le 13 mai, le prince Mirko Petrovitch, frère de Danilo, infligeait aux 20 000 hommes d'Hussein pacha, à Grahovo, dans un terrible combat à l'arme blanche, une sanglante défaite : 3000 Turcs étaient tués, et toute l'artillerie tombait aux mains des montagnards. Le sultan admit alors les décisions d'une commission européenne dont Napoléon avait provoqué la réunion et qui devait procéder à une délimitation de frontière entre les deux pays. Un délégué monténégrin y figura officiellement. Le travail n'était pas achevé quand à Caltaro, le 13 août 1860, Danilo fut assassiné par un banni. N'ayant pas de fils, il avait désigné pour lui succéder son neveu Nicolas, fils du prince Mirko. Le nouveau prince était àgé de dix-neuf ans ce fut son père qui dirigea réellement les affaires.

Soulèvement de l'Herzégovine.- La victoire de Grahovo avait eu un extraordinaire retentissement parmi les Serbes d'Herzégovine, et réveilla chez eux les espérances de liberté. Exaspérés par les exactions des begs et les brigandages des bachi-bouzouks, les Herzégoviniens se soulevèrent. Les puissances craignant qu'une intervention du Monténégro n'amenat dans les Balkans un bouleversement total d'où pourrait sortir une guerre européenne, pressèrent Nicolas de garder une stricte neutralité. Il écouta ces conseils au point d'autoriser le passage à travers la Tsernagora de convois destinés à ravitailler la citadelle de Niktchitch. Mais il ne pouvait empêcher ses montagnards de courir par bandes au secours de leurs frères, frères de religion, frères de sang puisqu'ils sont tous Serbes. La Porte organisa d'abord le blocus de la principauté; puis lorsqu'Omer pacha eut écrasé les insurgés à Piva, il somma Nicolas de désarmer: sur son refus, les Turcs passèrent la fronlière au printemps de 1862. Omer disposait de 60 000 hommes. Les 20 000 montagnards tinrent quatre mois. Mirko, « l'épée de la Tsernagora », admirable d'activité et d'énergie, partout présent, fit un moment hésiter la fortune. Sur leur passage les Tures faisaient littéralement le désert. L'Europe divisée demeurait inerte. Napoléon commençait à s'engager dans l'affaire du Mexique. Palmerston déclarait cyniquement à la Chambre des communes « que ce serait aux applaudissements de l'Angleterre

que les rebelles de la Tsernagora seraient châtiés par les troupes du sultan ». Seul le pape Pie IX agit en faveur des Monténégrins; par une encyclique adressée aux évêques d'Albanie, il défendit aux catholiques de cette province de prêter un concours quelconque aux Turcs. A la fin le nombre l'emporta. Pour arrêter une marche directe d'Omer pacha sur Celinjé, Mirko, sans canons, avec les derniers montagnards, livra un suprême et sublime combat, le 25 août, à Rieka, et ne céda qu'après six heures de lutte, écrasé sous les projectiles de l'artillerie turque. Pourtant Omer pacha ne put entrer dans Cetinjé. Une note collective avait été présentée par les puissances à Constantinople un ultimatum fut adressé à Nicolas qui y acquiesça sur les conseils du consul de France. Le prince Mirko devait quitter la Tsernagora et n'y pourrait rentrer. La route d'Herzégovine à Scutari, à travers le Monténégro, serait gardée par des blockhaus qu'occuperaient les troupes ottomanes; l'importation des armes et des munitions de guerre serait interdite. Les Monténégrins n'élèveraient pas d'ouvrage sur leurs frontières.

Les stipulations de cet ultimatum ne furent du reste pas exécutées. La Porte renonça d'elle-même à l'expulsion de Mirko. Elle fit bien élever neuf fortins sur la route de Scutari; mais la France et la Russie réclamèrent et en obtinrent l'évacuation et la démolition (protocole du 3 mars 1863); la route devait seulement rester constamment ouverte au commerce. Quant à l'interdiction d'importer des armes, elle ne fut jamais respectée. Le gouvernement de Napoléon III, après avoir envoyé des approvisionnements de grains pour sauver le pays de la famine consécutive à la guerre, autorisa en France l'émission d'une loterie dont le produit servit à l'achat de 12 000 carabines. La Russie fournit des munitions. La défaite de la Tsernagora avait entrainé la soumission de l'Herzégovine, qui fut durement châtiée et retomba sous le joug odieux des Begs.

La Grèce. Le roi Othon. Le soulèvement de la Crète. devait être plus long à réprimer et faillit amener la guerre avec la Grèce.

L'avènement d'Othon de Bavière en 1832 n'avait pas donné la tranquillité intérieure au jeune royaume. La régence bava

roise, les troupes étrangères sur lesquelles elle s'appuyait, avaient excité des mécontentements qu'exploitèrent certaines des puissances protectrices, notamment l'Angleterre et la Russie, jalouses d'établir leur influence sur le pays. En 1843, l'Angleterre et la Russie, en exigeant le règlement des intérêts de l'emprunt émis par le gouvernement grec à l'avènement d'Othon, amenèrent une crise financière qui contraignit le roi à renvoyer ses troupes bavaroises. Il se trouva dès lors désarmé, et l'armée grecque soulevée (3 septembre 1843) le força de convoquer une assemblée nationale, chargée de préparer une constitution. La Grèce eut désormais (mars 1844) deux Chambres : un Sénat composé de membres à vie nommés par le roi, une Chambre des députés élue au suffrage universel; le ministère était responsable. La conversion à la foi grecque était la condition d'hérédité de la couronne.

L'établissement du régime parlementaire ne mit nullement fin aux luttes intérieures et aux rivalités d'influence des puissances. Le parti français avec Coletti domina jusqu'à 1847, combattu par la Russie et l'Angleterre. Pour amener sa chute, celle-ci favorisa et suscita même le soulèvement de l'Achaïe, de la Messénie et de l'Eubée en 1846-47. Elle alla plus loin en 1850. A propos de Pacifico, juif portugais, protégé anglais, dont la maison avait été pillée dans une émeute, Palmerston envoya une flotte anglaise bloquer le Pirée (15 janvier). Un ultimatum d'une brutalité odieuse fut présenté : la France offrit vainement sa médiation et rappela même son ambassadeur de Londres. La Grèce dut céder; mais le but poursuivi par l'Angleterre et qui était de faire éclater un soulèvement contre Othon, ne fut pas atteint. Ce fut le tour de la Russie d'intriguer. En 1852 le gouvernement ayant proposé l'organisation d'un synode national, et d'autre part ayant reconnu la suprématie du patriarche de Constantinople, répudiée depuis la guerre de l'indépendance, un moine fanatique, Christophoros Papoulakis, souleva la Magne (Morée) et fut soutenu par les agents russes. Cette fois encore la tentative échoua.

La guerre de Crimée fut une nouvelle cause d'agitation. Les patriotes voulurent profiter du conflit où se trouvait engagée la

Turquie pour étendre les frontières ridiculement étroites du royaume. Des armes furent fournies aux insurgés de Thessalie et de nombreux volontaires vinrent combattre dans leurs rangs. Mais la France et l'Angleterre ne pouvaient admettre une diversion favorable aux Russes sur la mer de l'Archipel, tandis qu'elles engageaient leurs forces sur le Danube et dans la mer Noire. D'autre part, elles avaient proclamé le principe de l'intégrité de l'empire ottoman, et s'en étaient portées garantes. Une division française fut donc débarquée au Pirée le 26 mai 1854 : elle y demeura jusqu'à 1857 et contraignit les Grecs à la paix. Cette intervention de la France et de l'Angleterre, la connaissance des sentiments réels des Russes à l'endroit des Grecs, par suite de la publication des entretiens de Nicolas et d'Hamilton Seymour, ruinèrent les partis français, anglais et russe, et le roi Othon devint tout à fait impopulaire pour n'avoir pas voulu tenter une folle équipée et la résistance à l'Europe. L'hostilité contre le roi devint particulièrement vive dans l'armée en 1861 deux conspirations militaires furent découvertes. Le 1er février 1862 une insurrection militaire éclatait à Nauplie. Il fallut un siège en règle pour reprendre la place, où l'autorité royale ne fut rétablie qu'au bout de deux mois et demi (20 avril). Pendant les opérations un soulèvement s'était produit dans l'ile de Syra. Les sociétés secrètes, les hétairies étaient réellement maîtresses du pays. Pendant un voyage du roi sur les côtes de Grèce, la garnison de Missolonghi s'insurgea (19 octobre). Le mouvement gagna Athènes, les soldats y pillèrent le château royal, et le 26 octobre Othon, sentant toute résistance impossible, abdiqua.

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Le roi Georges. Un gouvernement provisoire fut institué, composé de Kanaris, Boulgaris et Roufos. Ils convoquèrent une Constituante où siégèrent des députés nommés par les colonies grecques établies à l'étranger. L'assemblée dut s'occuper d'abord de trouver un roi, l'idée de l'organisation d'une république ayant été écartée par l'énorme majorité des députés.

Pour se gagner l'appui de l'Angleterre et tàcher d'en obtenir la cession des Iles Ioniennes qui, à diverses reprises, notamment

en 1859 et en 1862 même, avaient demandé leur annexion à la Grèce, on nomma le prince Alfred, second fils de la reine Victoria. Mais le protocole de Londres (1830) excluait du trône de Grèce les membres des dynasties des États protecteurs. Napoléon et Alexandre refusèrent d'admettre le prince Alfred, puis le prince de Leuchtemberg, leur parent. Palmerston prit alors l'affaire en main, comptant bien, s'il réussissait à donner un souverain à la Grèce, que celui-ci, par reconnaissance, deviendrait le client de l'Angleterre. Il annonçait du reste que les Iles Ioniennes serait le don de joyeux avènement du nouveau souverain à la Grèce, si ce souverain était au gré du gouvernement de Londres. Après une inutile tentative auprès de Ferdinand de Saxe-Gotha, père du roi de Portugal, l'on élut un neveu du roi de Danemark, Guillaume-Georges, dont la sœur avait épousé le prince de Galles (30 mars 1863). Il n'accepta la couronne que le 18 juin. Par un traité signé à Londres (14 novembre), l'Angleterre céda les Iles Ioniennes moyennant la neutralisation de Corfou et la démolition des fortifications.

Pendant les négociations pour le choix du souverain, l'anarchie était arrivée à son comble. Dès le mois de février 1863 un nouveau mouvement militaire avait amené la retraite des membres du gouvernement provisoire. Le pouvoir appartint dès lors tout entier à l'Assemblée, où l'ambition des individus, l'intervention de l'armée, divisée elle-même en divers partis, provoquaient le plus honteux désordre. Le 30 juin, après même la nomination du roi Georges, une insurrection militaire éclatait à Athènes et trois jours durant l'on se battit dans les rues. Le brigandage la plaie des premières années de l'indépendance réapparaissait par tout le pays. Il n'en pouvait guère être autrement quand l'Assemblée réhabilitait jusqu'à des assassins, comme le régicide Donsios, tandis qu'elle privait de leurs droits politiques pour dix ans les membres du ministère qui, faisant son devoir, avait réprimé l'insurrection de Nauplie (1862).

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L'arrivée du roi Georges (30 octobre 1863) ne modifia en rien la situation. Dans sa première proclamation à son peuple, le roi promettait de consacrer sa vie à faire de la Grèce « le

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