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fait procéder à de nouvelles élections, disposa d'une majorité fidèle et de plus fut soutenu par le prince qui appréciait son énergie.

De graves difficultés provinrent en 1868 de la question juive en Moldavie, la presse juive internationale ayant ameuté l'opinion en Europe à propos d'incidents de peu de gravité à Bacau; puis de la formation de bandes d'insurgés bulgares à Giurgevo. Les puissances soupçonnèrent la Roumanie de préparer quelque attaque contre la Turquie occupée par les affaires de Crète et de Grèce le vote d'une loi militaire (13 juin) qui, par un système analogue à celui de la Prusse, devait donner 150 000 hommes en temps de guerre, des commandes d'armes à Berlin, l'envoi d'une mission en Russie en vue d'un rapprochement, parurent légitimer ces soupçons : la Turquie, l'Autriche, la France, l'Angleterre prirent une attitude hostile, et le ministère Bratiano démissionna à la fin de l'année 1868. Ce fut le début d'une nouvelle série de crises ministérielles il y en eut deux en 1869, quatre en 1870, — de dissolutions répétées, au milieu desquelles la situation du prince ne s'affermissait pas, en sorte que les événements de 1870, en raison des sympathies de la Roumanie pour la France, faillirent amener la chute du prince Charles.

Les résultats; l'influence française de 1848 à 1870. Si l'on considère dans son ensemble l'histoire des États balkaniques de 1848 à 1870, les faits à retenir paraissent être les suivants.

D'abord, dans l'État principal, la Turquie, il a été fait un effort pour transformer le caractère traditionnel religieux et sectaire de son gouvernement. Les résistances des conservateurs turcs, les méfiances légitimes des chrétiens, ont rendu vain cet effort. On a achevé d'énerver les institutions anciennes sans parvenir à leur en substituer de nouvelles, logiques, saines, vigoureuses. Le résultat a été l'anarchie administrative et un extraordinaire désordre financier.

Les États secondaires ont tendu vers une double fin. Ceux qui étaient vassaux, Serbie et Principautés danubiennes, ont cherché à rendre de plus en plus ténu le lien de vassalité, à transformer l'autonomie en indépendance. Sur ce point ils ont

trouvé dans la diplomatie française un concours absolu et très efficace. Grâce à elle ils ont acquis le droit de régler en toute liberté, sans contrôle, leur régime intérieur. L'investiture donnée par la Porte à leurs princes n'est plus qu'une vaine cérémonie, un symbole sans valeur de la suzeraineté du sultan.

Tous ont ensuite cherché à compléter leur unité. Seules la Moldavie et la Valachie ont obtenu gain de cause: elles ont formé la Roumanie. L'assassinat du prince Michel empêcha l'union, sous une forme quelconque, de la Bosnie à la Serbie. Les puissances, particulièrement l'Angleterre et l'Autriche, ont empêché l'union de la Crète à la Grèce. Ici la politique française fut plus hésitante. Théoriquement, elle était favorable au développement des nationalités. En Crimée, nos armées combattirent non point pour la Turquie, mais contre la Russie. Pour barrer la route de la Méditerranée à la Russie, Napoléon, à la place de la Turquie tombant à la décrépitude, aurait voulu placer des États neufs et forts et les grouper en une confédération'. La

constitution de la Roumanie n'entraînant aucun démembrement de la Turquie, on pouvait, sans courir le risque d'une guerre européenne, soutenir énergiquement et faire triompher la cause des unionistes roumains l'empereur n'y manqua pas. Mais il en allait autrement ailleurs. La France se fût heurtée à l'Angleterre et à l'Autriche, hostiles à toute modification dans les Balkans : l'Angleterre, par opposition systématique et traditionnelle à la politique française; l'Autriche, parce qu'elle est elle-méme une Turquie de l'Europe centrale, que certaines provinces des États balkaniques en formation sont soumises à son joug, et que le jour où l'empire ottoman serait démembré, Serbes et Roumains indépendants se tourneraient vers leurs frères des bords de la Save et des montagnes transylvaines. La France fut contrainte de se tenir à des encouragements platoniques, à des marques de bon vouloir, d'autant mieux qu'aux heures où la Serbie eût pu tenter l'attaque, de 1867 à 1868, la puissance impériale déclinait et le souci de prochaines complications en Occident absorbait l'empereur tout entier. Il n'en reste pas moins

1. Voir sur ce point une brochure de M. V. Urechia, L'alliance des Roumains et des Hongrois en 1859. Bucarest, 1894.

que, de 1848 à 1870, la France a eu une politique dans les Balkans, une politique généreuse et intelligente, qu'elle l'a suivie fidèlement et que, pendant longtemps, elle a été là, suivant le mot du roi Charles de Roumanie, « le pivot de la situation '».

BIBLIOGRAPHIE

Il a été publié un Essai d'une notice bibliographique sur la question d'Orient de 1821 à 1897, par G. Bengesco, Paris, 1897. Ce recueil est assez complet pour les publications françaises; le classement est fait d'après la date de publication des volumes. On trouvera d'autres renseignements bibliographiques dans Rambaud, Histoire de Russie; De la Jonquières, Histoire de l'empire ottoman; Leger, Histoire de l'Autriche-Hongrie, à la fin des volumes. Dans Debidour: Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, aux chapitres III, IV, IX. Seignobos, Histoire politique de l'Europe contemporaine, aux chapitres XX, XXI, XXVI, XXVII. Pour les peuples chrétiens des Balkans, voir ci-dessus, t. IX, p. 735 et suiv.

Les documents inédits, aux archives des divers ministères de la Guerre et des Affaires étrangères, ont servi en France et en Russie pour la préparation de trois ouvrages relatifs à la guerre de Crimée : Niel, Le siège de Sebastopol, Paris, 1858. Rousset, Histoire de ld guerre de Crimée, Paris, 1877. Todleben, La défense de Sébastopol (traduit en français), Pétersbourg, 1866.

Les documents officiels et le récit des faits se trouvent dans les Annuaires : Annuaire de Lesur, Annuaire des Deux Mondes, Annual Register, Geschichtskalender à partir de 1860. Pour la Roumanie il existe un recueil spécial de Petrescu et Stourdza: Actes et documents relatifs à l'histoire de la régénération de la Roumanie, 7 vol., 1889-1892.

Trois ouvrages publiés cette année (1898) apportent de nombreux documents nouveaux : Émile Ollivier, Napoléon III, articles à la Revue des Deux Mondes, 1er et 15 mars 1898 (papiers du Maréchal Vaillant). · Campagnes de Crimée, d'Italie, etc., 1849-1862, lettres adressées au Maréchal de Castellane. - J. Bapst, Le maréchal Canrobert, souvenirs d'un siècle.

1. Notes sur la vie du roi Charles de Roumanie, par un témoin oculaire, page 5 de l'édition française.

CHAPITRE VII

FORMATION DE L'UNITÉ ITALIENNE

(1850-1870)

I.

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Victor-Emmanuel. Cavour et Napoléon III (1850-1859).

État de l'Italie en 1850. Après l'explosion révolu

tionnaire de 1848 et la réaction de 1849, l'Italie semblait être redevenue ce que le congrès de Vienne avait voulu qu'elle fût : une expression géographique. Pour n'avoir pas su marcher unie à la conquête de l'indépendance nationale et de la liberté politique, elle paraissait presque aussi éloignée qu'en 1815 de ce double objectif. Morcelée et garrottée comme au temps de Metternich, elle obéissait de nouveau presque tout entière à l'étranger. L'Autriche, après avoir repris Venise et Milan, avait rétabli sa prépondérance dans la Péninsule, où les souverains étaient comme autrefois ses esclaves en même temps que les tyrans de leurs sujets. La terreur militaire régnait dans les provinces lombardes et vénitiennes, où les généraux de François-Joseph se comportaient comme en pays conquis et n'épargnaient pas plus les biens que les personnes. Le duc de Parme, Charles III, et le duc de Modène, François V, n'étaient que des espèces de podestats aussi durs pour leurs peuples que respectueux pour la cour de Vienne. En Toscane, Léopold II, moins violent pans ses vengeances, n'en avait pas moins aboli

toute liberté constitutionnelle, emprisonné ou exilé les plus purs patriotes et remis en honneur les persécutions religieuses. Pour plus de sûreté, il se faisait garder par 12 000 soldats autrichiens. Dans les Deux-Siciles, Ferdinand II (le roi Bomba), avait supprimé la constitution de 1848, rétabli les privilèges et le bon plaisir; la police était souveraine, les exécutions politiques étaient encore nombreuses, les galères et les prisons regorgeaient de bons citoyens, le peuple restait ignorant et misérable. Dans l'État pontifical, les Autrichiens occupaient la Romagne, où les légats du pape étaient sans pitié pour les patriotes (dont plus de cinq cents furent condamnés à mort et exécutés, en huit années). A Rome la présence des troupes françaises (que Louis-Napoléon n'osait pas rappeler de peur de perdre l'alliance de l'Église) ne permettait pas de pareils excès, — mais même en cette ville le gouvernement se montrait fort rigoureux et ne se relâchait en rien de l'absolutisme théocratique dont Pie IX s'était fait, depuis son exode à Gaëte, comme un dogme intangible. Vainement le chef du gouvernement français, qui rougissait de paraître complice d'une telle réaction, suppliait ou sommait le Saint-Père de se montrer plus clément, de séculariser son administration, de moderniser les lois, de faire une part raisonnable à la liberté. Sous l'influence autoritaire d'Antonelli, Pie IX se refusait à toute concession ou n'en faisait que de pure forme1, gardait le droit de nommer à tous emplois et de décider en toutes matières, maintenait avec les juridictions ecclésiastiques une législation odieuse, surannée, et ne montrait qu'aversion pour les idées de progrès ou d'innovations. Il n'avait de sympathie et de complaisance que pour l'Autriche. Aussi le pontife que l'Italie entière avait salué de ses acclamations en 1846, parce qu'elle le croyait patriote et libéral, avait-il depuis longtemps cessé d'ètre populaire.

Victor-Emmanuel, ses débuts. Ce n'était plus de Rome que les Italiens attendaient leur affranchissement, c'était de Turin. Là régnait depuis 1849 le seul prince italien qui fût resté fidèle à la cause nationale et n'eût pas rétabli le

1. Par le motu proprio du 12 septembre 1849 et les édits du 10 septembre 1850.

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