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Français, qui, entraîné d'une part par ce grand séducteur, se figurant, d'autre part, qu'il saurait le jouer quand il le voudrait et qu'il lui serait facile de prendre, au moment opportun, entre l'Autriche et la Prusse, la position de médiateur souverain, consentit de nouveau à ce que Victor-Emmanuel s'alliât à Guillaume pour la conquête de la Vénétie. La guerre austro-prussienne parut pour la seconde fois imminente quand on apprit l'arrivée à Berlin du général Govone, que La Marmora venait d'y envoyer sous prétexte d'étudier les fortifications prussiennes, mais en réalité pour traiter avec le gouvernement prussien (9 mars 1866). Mais cette fois l'Italie voulut prendre ses sûretés. Le pacte conclu le 8 avril 1866 portait qu'elle attaquerait l'Autriche avec toutes ses forces, mais seulement après que la Prusse aurait pris l'offensive. Cette dernière puissance choisirait son heure pour déclarer la guerre; mais si elle ne l'avait pas commencée dans un délai de trois mois, le traité serait considéré comme nul par le gouvernement italien. Les deux alliés promettaient de ne pas faire de trêve séparée et de ne déposer les armes que lorsque l'un aurait obtenue la Vénétie, et l'autre des territoires équivalents en Allemagne. Enfin, le roi de Prusse devait fournir à Victor-Emmanuel un subside de 120 millions.

Campagne de 1866 et annexion de Venise. — La guerre fut encore retardée par des complications diplomatiques. La politique de Napoléon III devenait de plus en plus. confuse et contradictoire. Il s'était remis à négocier mystérieusement avec l'Autriche, et, grâce à un traité secret qu'il conclut avec cette puissance le 12 juin, il espérait amener l'Italie à faire sa paix séparée moyennant la remise de la Vénétie. M. de Bismarck, craignant que le cabinet de Florence ne se détachât de la Prusse, se décida enfin à brusquer l'ouverture des hostilités, qui commencèrent en Allemagne le 16 juin. Aussitôt les contingents italiens s'ébranlèrent, et pendant que Garibaldi, avec un corps de volontaires, allait essayer de pénétrer dans le Tyrol, deux grandes armées régulières attaquèrent de front la Vénétie, l'une par le Mincio, l'autre par le Bas-Pô (20 juin). Mais la première, et la plus considérable, qui marchait fort en désordre (sous La Marmora), subit presque aussitôt un revers éclatant

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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sur les hauteurs déjà célèbres de Custozza, où.l'archiduc Albert l'attaqua et la mit en pleine déroute le 24 juin. Ce début paraissait d'un fâcheux augure pour les Italiens. Mais fort peu de jours après, le triomphe éclatant de la Prusse à Sadowa (3 juillet) leur permit de relever la tête.

Le lendemain même de cette dernière bataille, l'Autriche, éperdue, se hâta de faire la part du feu en invoquant la médiation de Napoléon III et lui offrant la Vénétie pour qu'il la rétrocédât à l'Italie. L'empereur des Français eût bien voulu déterminer cette dernière puissance à poser les armes et dicter aussi la paix à la Prusse. Mais il eût fallu pour cela de sa part une démonstration militaire qu'il ne put ou n'osa faire. L'Italie profita de son inertie ou de son impuissance pour rester unie à la Prusse. Elle n'était pour son compte, malgré son échec, nullement disposée à suspendre les hostilités. Si la Prusse eût été vaincue, il en eût été autrement et elle eût accepté avec empressement de Napoléon III la Vénétie, qu'il lui offrait. Après Sadowa, elle croyait devoir parler haut. Le souvenir de Custozza lui était cuisant. Il lui tardait de venger l'honneur de son drapeau. Elle voulait ne devoir la Vénétie qu'à la conquête. Cette province, du reste, ne lui suffisait pas. Les Italiens convoitaient Trente, et même Trieste. Ils reprochaient à la France de vouloir les humilier, les tenir en tutelle. Aussi repoussèrent-ils toute suspension d'armes et, dès le 8 juillet, ils s'empressèrent d'attaquer pour la seconde fois le territoire vénitien (où, du reste, ils ne devaient plus trouver d'ennemis). Mais si rien ne les arrèla sur terre, ils furent moins heureux sur mer, où leur flotte, dont ils complaient se servir pour un débarquement en Illyrie, fut entièrement défaite à Lissa par l'amiral autrichien Tegetthoff (20 juillet). Pour comble de déception, ils virent peu de jours après (26 juillet) la Prusse, qui, grâce à la complaisance inespérée de Napoléon III, n'avait plus rien à désirer en fait d'annexions territoriales, conclure avec l'Autriche, sans les consulter, les préliminaires

1. L'amiral Persano, qui la commandait, fut accusé de n'avoir pas fait son devoir dans cette journée, et, traduit plus tard devant un conseil de guerre, fut condamné à la dégradation.

de Nikolsbourg, que suivit bientôt la paix de Prague (24 août). L'Italie n'apprit pas sans colère ce nouvel abandon. Elle protesta; mais en vain. M. de Bismarck répondit qu'on lui avait promis de l'aider à conquérir la Vénétie, rien de plus. Or la possession de ce pays lui était assurée. Napoléon III y envoyait le général Leboeuf pour en faire, après un plébiscite, remise aux Italiens. Force fut donc à Victor-Emmanuel de signer les préliminaires de la paix (10 août) et, quelque temps après (3 octobre 1866), le traité définitif qui les confirmait. La nation italienne ne dissimula pas sa mauvaise humeur. Elle parut surtout irritée, chose étrange, contre la France; et elle donna le triste spectacle d'un peuple recevant presque comme une offense d'une puissance amie le don d'un territoire qu'il n'avait pas su lui-même conquérir.

La question romaine en 1867. - Le souvenir de ses humiliations la rendait désireuse d'en effacer l'éclat par l'acquisition de Rome, à laquelle elle n'avait jamais renoncé. N'ayant plus que sa capitale à prendre pour compléter son unité territoriale, elle la demandait à grands cris et ne voulait plus attendre. Elle se montrait, au commencement de 1867, d'autant plus âpre et plus hardie dans ses revendications, qu'elle voyait Napoléon III achever de perdre dans de décevantes négociations avec la Prusse le peu de prestige et de crédit politique qu'il gardait encore avant Sadowa. Au plus fort de la crise du Luxembourg', Rattazzi remontait au pouvoir à Florence (10 avril 1867). Ce ministre, qui plaisait à l'empereur, ne lui épargnait pas les protestations de dévouement. Mais, invité à s'unir à lui, il ne le payait que de bonnes paroles et déclarait qu'entre ses deux bienfaitrices, la France et la Prusse, il était bien difficile à l'Italie de prendre parti. De fait, il ne voulait servir ni l'une ni l'autre. Son objectif, c'était Rome. Garibaldi agitait ouvertement l'État pontifical, organisait de nouvelles bandes; et le ministre le laissait faire, se disant que le conflit franco-prussien lui fournirait sans doute l'occasion d'aller impunément planter sur les bords du Tibre le drapeau de l'unité italienne.

1. Qui faillit, on le sait, au commencement d'avril 1867, amener une collision entre la France et la Prusse.

Ce conflit fut, il est vrai, retardé par la conférence de Londres (mai 1867), et la maison de Savoie dut ajourner l'exécution de ses projets; mais elle ne renonça pas à ses espérances. Du reste, le mouvement garibaldien ne s'arrêtait pas. Le gouvernement prussien l'encourageait, parce qu'il était de son intérêt d'entretenir la mésintelligence entre le cabinet de Florence et Napoléon III. Rattazzi, pour sa part, ne le contrariait pas et, protestant de son respect pour la convention de septembre, représentait d'autre part à l'empereur des Français qu'il ne pouvait, sans provoquer une révolution, heurter violemment de front sa nation parce qu'elle demandait Rome pour capitale.

Napoléon III voulait en finir avec cette question romaine, son constant cauchemar. Mais personne ne l'y aidait. Il avait sans aucun succès, vers la fin de 1866, proposé un congrès aux grandes puissances pour la résoudre. La cour de Rome persistait à refuser à ses sujets toute réforme sérieuse. Pie IX, en juin 1867, faisait applaudir à 450 évêques les doctrines du Syllabus et parlait de convoquer un concile œcuménique pour faire ériger en dogme non seulement cette singulière politique, mais le principe de l'infaillibilité du pape. Tant de provocations ne paraissaient pas lasser la complaisance du gouvernement français, qui, pour servir le Saint-Siège, prenait à cette époque de telles libertés avec la convention de septembre, que la cour de Florence fut bientôt en droit de lui adresser les réclamations les plus amères. Le souverain-pontife avait en effet à son service plusieurs milliers de Français, soi-disant volontaires, mais qui sortaient pour la plupart de notre armée et dont un certain nombre n'étaient même pas encore libérés du service; beaucoup de leurs chefs étaient des officiers attachés encore à nos régiments et qui, sans perdre leurs droits, étaient autorisés par le gouvernement impérial à passer sous les drapeaux du pape. C'était ce qu'on appelait la légion d'Antibes, car cette troupe s'était formée dans cette ville, publiquement; elle y avait son dépôt et continuait à s'y recruter. A ce moment même (juin-juillet 1867), un général français en activité de service' la passait ouvertement en revue à Rome, la réorganisait

1. Le général Dumont.

et lui tenait des discours qui ne laissaient aucun doute sur la complicité des Tuileries avec le Vatican'.

Rattazzi protesta contre cette fraude. Napoléon III promit de se désintéresser de la légion d'Antibes, mais se plaignit des volontaires garibaldiens, qui se rapprochaient chaque jour du territoire romain. Le cabinet de Florence le paya de bonnes. paroles, mais n'entrava pas le mouvement. A cette époque les rapports de la France et de la Prusse redevenaient fort aigres. Il ne fallait qu'un signal. Garibaldi se chargea de le donner.

Garibaldi à Mentana. - Le vieux partisan se rendit au commencement de septembre à Genève, où les représentants les plus avancés des idées révolutionnaires en Europe allaient tenir sous sa présidence le congrès de la paix. Les populations italiennes se pressaient sur son passage. « Tenez-vous prêts, leur disait-il, à vous guérir du vomito negro; mort à la race. noire! Allons à Rome dénicher cette couvée de vipères; il faut une lessive énergique. » En Suisse il ne tint pas un langage moins violent « Vous avez porté les premiers coups au monstre, dit-il aux Genevois; l'Italie est en retard sur vous.... Nous avons le devoir d'aller à Rome et nous irons bientôt. »

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La cour des Tuileries, que les progrès du parti révolutionnaire commençaient à effrayer fort, voulut couper court à de telles excitations. Aussi exigea-t-elle, quand Garibaldi, de retour en Italie, se fut porté aux confins de l'État pontifical, qu'il fût réduit à l'impuissance. Rattazzi se soumit et fit transporter à Caprera le vieux condottiere, qui, disait-il, y serait bien gardé. Napoléon III n'eut pas, il est vrai, longtemps à se réjouir. Fort peu de jours après (28 sept.), les bandes garibaldiennes pénétrérent sur le sol pontifical et s'avancèrent en quelques semaines presque jusqu'à Rome. Rattazzi protesta naturellement qu'il n'était pas leur complice et proposa de faire occuper l'Etat romain simultanément par les troupes italiennes et par les troupes françaises (13 oct.); ce à quoi Napoléon III, dominé alors par le parti ultramontain, ne répondit qu'en le sommant de faire respecter la frontière pontificale. Le ministre italien donna aussitôt sa démission (21 oct.) et, avant que Cialdini, 1. A. Debidour, Histoire diplomatique de l'Europe, t. II, chap. Ix.

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