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saura bien galoper », répondait-il aux unitaires qui s'étonnaient de ses scrupules; il « avait assez de confiance dans le génie de son peuple pour croire que sur cette route il saurait bien trouver le chemin qui conduit au but ».

Discrétion habile et peu coûteuse; le projet qui sortit des conférences de Berlin (15 décembre 1866-9 février 1867) n'en établit pas moins solidement l'hégémonie prussienne. Le Bund ou Confédération a à sa tête le roi de Prusse qui en est le président, le généralissime; le drapeau fédéral (blanc-noir-rouge) est le drapeau prussien agrandi. La compétence de la Confédération s'étend à toutes les questions militaires, politiques et commerciales; des autorités fédérales relèvent les douanes, les impôts indirects, les chemins de fer, les postes et télégraphes, les monnaies, les poids et mesures, l'organisation sanitaire, le droit commercial et maritime, le droit pénal. Le budget fédéral est alimenté par les douanes, les postes et divers impôts indirects; si ces recettes ne suffisent pas à couvrir les dépenses, les divers États paient des « contributions » calculées au prorata de la population.

Le président représente seul la Confédération vis-à-vis des États étrangers, déclare la guerre, signe la paix. Il a sous ses ordres toutes les forces militaires, les inspecte, nomme leurs commandants, reçoit le serment de fidélité des soldats; la plupart des petits États conclurent avec la Prusse des conventions militaires par lesquelles leurs troupes furent purement et simplement incorporées dans l'armée prussienne; tous durent modeler leurs institutions militaires sur celles de la Prusse. Le président promulgue les lois, convoque et clôture les assemblées fédérales, nomme et destitue les employés. Il est représenté par le chancelier fédéral, dont les fonctions sont très étendues. Les États particuliers restent autonomes et conservent les cultes, l'enseignement, les travaux publics, l'administration de la justice, mais ils sont mal garantis contre les empiétements du pouvoir central, et l'histoire de la Confédération n'est guère faite que de leurs abdications progressives.

Bismarck, pour satisfaire l'opinion publique et pour se garder contre les résistances particularistes possibles, plaça à

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

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côté du président une Diète élue au suffrage universel, mais par une série de combinaisons fort ingénieuses il assura à la royauté un pouvoir absolument prépondérant. Le Reichstag ou Diète de la Confédération, en dépit de son droit d'interpellation et d'initiative, n'a sur les affaires qu'une influence des plus limitées; son contrôle financier est restreint aux impôts nouveaux qui lui sont demandés; les lois qu'il vote n'ont de valeur que si elles sont approuvées par le roi et le Bundesrath. Ce Bundesrath, ou conseil fédéral, est une création assez étrange, à la fois conseil d'État, collège ministériel et Chambre haute. La Prusse y possède 17 voix sur 43; elle préside les 7 commissions permanentes entre lesquelles il se divise, armée, marine, douanes et contributions, commerce, chemins de fer, postes et télégraphes, justice, comptabilité, et nomme seule les membres des deux premières. Ce mécanisme compliqué était d'une incohérence savante; les divers pouvoirs s'équilibraient et s'annulaient de manière à ne laisser subsister qu'une autorité concrète, celle du roi et de son représentant, le chancelier, pour qui la constitution semblait avoir été faite, de même que la Diète ne paraissait avoir été inventée que pour couvrir les ambitions de la Prusse.

Les libéraux les plus apprivoisés regimbèrent, se plaignirent. que la responsabilité du chancelier, dont le pouvoir était trop vaste et trop lointain, fût illusoire, demandèrent un ministère parlementaire. Bismarck refusa, moins encore parce qu'il ne voulait pas étendre les prérogatives de l'assemblée populaire que parce qu'il ne se souciait pas d'avoir à côté de lui des collègues dont il lui faudrait subir les avis; sa conception du pouvoir était purement plébiscitaire; il ne prévoyait pas la naissance des partis nouveaux, directement sortis du peuple, qu'il eut par la suite quelque peine à manier. Sur la question du vote de l'impôt, l'opposition s'entêta. Le ministre fit appel aux grands moyens, parla de se retirer, rejeta sur les doctrinaires l'échec possible de la Confédération : « Que répondrez-vous à l'invalide de Königgrætz qui vous interrogera sur les résultats de ce grand effort? Vous lui répondrez sans doute : oui, l'unité allemande n'est pas consommée, l'occasion se retrouvera, mais

nous avons sauvé le droit de la Diète prussienne de mettre chaque année en question l'existence de l'armée; c'est pour ce droit que nous avons poursuivi jusque sous les murs de Pres bourg les armées de l'empereur d'Autriche! Et voilà les consolations que vous offrirez à l'invalide mutilé, à la veuve qui pleure son mari! » Le chancelier de fer n'était pas coutumier des déclamations; les libéraux courbèrent la tète, votèrent une transaction qui, sous des formules obscures, maintenait intactes les prérogatives militaires et financières du souverain. La constitution, une fois adoptée par le Parlement provisoire (17 avril 1867), fut soumise aux diverses Diètes. Dans la Chambre prussienne, les progressistes firent un dernier effort. La majorité ne voulut rien entendre. « Nous sommes aussi vains que les Français, écrivait Bismarck avant de prendre le pouvoir; si nous pouvons nous persuader que nous sommes considérés au dehors, nous supportons bien des choses à la maison. » La Prusse, rassasiée de gloire, ne demandait qu'à abdiquer entre les mains des hommes qui avaient élevé sa fortune. Les amendements de Virchow furent repoussés par 226 voix contre 91. Le 1er juillet 1867, la constitution fédérale fut définitivement promulguée; Bismarck, nommé chancelier, prit pour auxiliaire Delbrück, dont le nom était un programme : il passait pour libéral et était très versé dans les questions de finance et de commerce.

Le Reichstag fédéral. Les socialistes. Le premier parlement fédéral constitutionnel s'ouvrit dans l'automne de 1867. Les partis extrêmes n'y formaient que d'infimes minorités. Les catholiques, qui allaient trouver dans le hanovrien Windthorst un chef parlementaire de premier ordre, n'étaient pas encore organisés. Les socialistes attiraient davantage l'attention.

Dès 1847, le manifeste des communistes, rédigé par Karl Marx et Engels, renfermait les principes essentiels du parti, et ils avaient joué un certain rôle pendant la révolution. La réaction arrêta leur propagande, leurs journaux furent supprimés, leurs associations dissoutes: ils disparurent jusque au moment où Ferdinand Lassalle (1825-1864) leur apporta l'appui de son éloquence colorée et chaleureuse, de son énergie et de son acti

vité. Fils d'un riche négociant de Breslau, juif d'origine, très
ambitieux, de goûts raffinés et d'allure aristocratique, il donna
au parti ouvrier son mot d'ordre, — la loi d'airain, — son pro-
gramme la formation d'associations de production soutenues
par l'État.
son terrain d'action les cercles ouvriers. Il
fonda à Leipzig, en 1863, le Cercle général des travailleurs alle-
mands dont les ramifications s'étendirent au loin, et quand il
mourut en 1864, le socialisme formait un groupe redoutable.
Les ouvriers, qu'avaient moins séduits ses doctrines que sa
personne, écartèrent assez vite ses théories relativement modé-
rées pour se rallier au communisme de Karl Marx, qui avait
résumé son système dans son livre fameux Le Capital, et
qui trouva des apôtres pleins de foi et de talent, Liebknecht
et surtout Bebel, qui joignait à de rares dons d'orateur le
mérite d'être un véritable ouvrier. Dans le congrès de Nurem-
berg (1868), où 111 cercles ouvriers étaient représentés, 74 se
rallièrent à l'Internationale et, l'année suivante, à Eisenach,
262 délégués qui avaient reçu mandat, dit-on, de 150 000 ou-
vriers, constituèrent le parti socialiste. Ils demandaient le
référendum, l'impôt progressif sur les revenus et les héritages,
la journée normale de travail; leur but dernier était la sup-
pression de la propriété individuelle. Les socialistes recru-
tèrent de très nombreux adhérents dans la Silésie, les pro-
vinces rhénanes, la Saxe; leurs progrès inquiétèrent bientôt
le gouvernement; mais de 1867 à 1871 ils n'avaient à la
Chambre qu'un ou deux députés et leur action politique était
nulle.

Les progressistes n'étaient eux-mêmes qu'une vingtaine. Les nationaux-libéraux, unis en général aux conservateurs libres, disposaient donc d'une énorme majorité, et Bismarck s'appuya volontiers sur eux. Les sessions de 1867 à 1870 furent extrêmement fécondes. D'abord, la majorité s'efforça de resserrer l'unité en tirant de la constitution tout ce qu'elle renfermait. L'adoption générale des institutions militaires prussiennes, l'organisation des consulats, la création d'une Haule Cour de commerce, le vote d'un code de commerce et d'un code pénal marquèrent autant de progrès vers la fusion complète; les puissances étran

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:

gères s'alarmaient « Les États voisins, écrivait la Gazette d'Augsbourg, ont reconnu la Confédération du Nord en tant que composée d'États autonomes, et cette Confédération n'existe plus dès que ces États ne sont plus autonomes que de nom. On sait hors d'Allemagne comme ici que des œufs vidés ne sont plus des œufs. » Les souverains aussi de la Confédération s'inquiétaient de ces empiétements; mais que signifiaient leurs plaintes! Les colères des féodaux contre les réformes économiques n'étaient pas moins illusoires. La Prusse ménageait les propriétaires fonciers. Mais elle laissait les libéraux balayer tout ce fatras de monopoles, de prohibitions, de règlements restrictifs, de maîtrises, de jurandes, de corporations, qui gènaient le commerce et l'industrie; la Diète votait la liberté de l'industrie, la liberté du mariage, la liberté d'établissement, la suppression du taux de l'intérêt, le droit de coalition; elle se dédommageait de son servage politique en appliquant ses doctrines économiques.

:

Ces réformes lésaient bien des intérêts et faisaient bien des mécontents. Le nouveau régime aussi soulevait des plaintes nombreuses le service militaire très lourd, les impôts, les nouveaux fonctionnaires, raides, pointilleux, tracassiers. Bismarck avait prévu ces froissements inévitables et c'est pour cela qu'il avait si facilement accueilli la demande de Napoléon III qui voulait arrêter au Mein la domination prussienne. Peu à peu, malgré tout, l'unité entrait dans les mœurs et le chancelier croyait maintenant son œuvre assez solidement fondée pour songer à la compléter. A la longue, les États du Sud devaient fatalement être englobés dans la Confédération du Nord; leur adhésion eût été sans doute moins prompte sans les fautes de la France.

Les États du Sud. L'article 2 du traité de Prague stipulait que les États allemands situés au sud du Mein formeraient

« une union dont les liens nationaux avec la Confédération du Nord feraient l'objet d'une entente ultérieure ». Le gouvernement français attachait une grande importance au maintien de cette scission et prétendait que cette division de l'Allemagne en trois tronçons, confédération du Nord, confédération du Sud,

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