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presque complète de sincérité dans l'inspiration. Ils font des tragédies historiques comme la Rica hembra (la grande dame) de Tamaya y Baus, le Prince de Viane de Doña Gertrudis de Avellaneda, le Philippe II de José Maria Diaz et les Deux favoris de Rubi. A peine, de temps à autre, voit-on quelques essais de théâtre moderne et original comme la Croix du mariage d'Eguilaz, le Toit de verre et le Tant pour cent d'Alejandro Lopez de Ayala. Vers 1850, le goût du public pour l'opéra-comique (la Zarzuela) détermina un Catalan nommé Camprodon à écrire des livrets originaux ou à adapter à la scène espagnole ceux des auteurs étrangers; on applaudit la musique de Barbieri, d'Arieta, de Gaztambide et d'Oudrid, et l'opéra-comique fut définitivement acclimaté à Madrid.

Parmi les poètes, D. Ramon Campoamor s'est fait avec ses Doloras, ses Poesias et son Drama universal un des noms les plus populaires de l'Espagne. Manuel Palacio rappela parfois Quévédo par la hardiesse de ses satires, Arnao fut le poète de ⚫ la religion, et Antonio de Trueba dans son Libro de los cantores donna peut-être le modèle de la poésie populaire castillane.

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Nombreux furent les romanciers, mais ils cultivèrent presque tous le genre artificiel et un peu démodé du roman historique et du roman d'aventure. Enrique Perez Escrich a écrit trente volumes, Manuel Fernandez y Gonzalez a poussé ses romans de cape et d'épée à travers tous les siècles de l'histoire d'Espagne. Le roman « à thèse » a été aussi très populaire et a trouvé son principal représentant chez Doña Cecilia Bohl de Faber, connue dans les lettres sous le pseudonyme de Fernan Caballero. Fille d'un négociant de Hambourg établi à Cadiz, elle a été l'amie de la reine Isabelle, et a mis son talent au service des idées absolutistes et réactionnaires de sa royale protectrice. Cette préoccupation politique nuit à la vérité de son œuvre et lui imprime une fatigante monotonie, mais qui voudra bien connaître l'Espagne d'Isabelle II devra lire Fernan Caballero, et, à côté de vieilles idées fausses, il y trouvera de charmantes descriptions, des accents de passion sincère et surtout beaucoup de sel et de grace andalouse. En 1869 parut un livre écrit par un auteur de vingt-trois ans, la Fontana de Oro, de Benito Perez Galdos.

C'était le premier volume d'une série de romans nationaux (Episodios nacionales) où l'auteur se proposait de montrer l'évolution politique et sociale accomplie dans ce siècle par sa patrie. Perez Galdos s'annonçait comme un progressiste déterminé; au lendemain de la révolution de septembre, son livre fut comme un signal de guerre, comme l'entrée victorieuse du libéralisme dans la littérature.

A côté des romanciers, une place importante doit être réservée aux polygraphes, tels que Canovas del Castillo, historien et polémiste; Pedro Antonio de Alarcon, journaliste, auteur dramatique et romancier; Emilio Castelar, économiste, historien, esthéticien, romancier et conférencier.

La langue espagnole paraît faite exprès pour la tribune et la chaire; les salles des Cortès et de l'Ateneo de Madrid ont entendu de merveilleux orateurs, comme le conservateur Donoso Cortès, l'absolutiste et sceptique Gonzalez Bravo, le probe et ferme Antonio Ros Rosas, et tous les coryphées du parti progressiste, Olozaga, Maria Rivero, Ruiz Zorrilla, Figueras, Salmeron, Pi y Margall, et Castelar, le prestigieux orateur, l'incarnation même de l'éloquence espagnole.

A tous ces hommes la presse aussi a servi de tribune, et quoique l'instruction primaire soit encore fort peu avancée en Espagne, Madrid se trouvait posséder en 1867 cent trentequatre journaux, dont dix-sept politiques et trente-deux littéraires. Le Heraldo était l'organe des modérés, la Epoca celui de l'Union libérale, le Clamor publico celui des progressistes. Ce fut dans la Discussion d'abord, puis dans la Democracia qu'Emilio Castelar publia les premiers manifestes du parti républicain. En province, le Diario de Barcelona et l'Irurac bat de Bilbao restèrent les interprètes écoutés des patriotes basques et catalans.

Toutes ces publications comptaient, il est vrai, plus de rhéteurs que d'hommes vraiment compétents, et quoique réels, les progrès de l'esprit public ont été moins rapides que ne le feraient supposer le grand nombre et le talent de ses éducateurs. Le sérieux, voilà ce qui manqua trop souvent aux brillantes amplifications des littérateurs, des orateurs et des journalistes de cette période. Les progrès de la culture espagnole leur donne

ront peu à peu les qualités qui leur manquent encore. Qu'elle garde ses dons merveilleux et qu'elle renonce franchement aux préjugés de son éducation théocratique, l'Espagne sera la plus originale et la plus vivante des nations latines.

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Le Portugal de 1847 à 1870. De 1847 à 1870 le Portugal n'eut pas une vie politique beaucoup plus régulière que l'Espagne. Il eut ses pronunciamientos et ses coups d'État, douze présidents du conseil se succédèrent à la tète du cabinet, sans compter d'innombrables changements dans le personnel des ministres. En Portugal comme en Espagne, le régime parlementaire n'était qu'une importation étrangère, une création artificielle, et il est aisé de comprendre qu'en un pays où il n'y avait pas d'opinion publique, un gouvernement fondé sur l'opinion ait eu quelque peine à s'acclimater. Les idées et les principes n'étaient pour la masse que des formules vides de sens, qui servaient de jouet ou d'arme aux partis; à force de passer de main en main, ils perdaient tout relief et toute signification, personne ne les comprenait plus, et les politiciens s'agitaient devant une nation inattentive et lassée, qui ne cherchait que le bien-être matériel. Le Portugal était « une vaste Barataria gouvernée par le roi Sancho ». L'indifférence générale eut du moins ce bon résultat qu'elle réduisit les partis politiques à l'état de simples coteries, et enleva ainsi à leurs luttes beaucoup de leur apreté. Le pays ne fut pas à chaque instant troublé par des secousses révolutionnaires, et, sous le gouvernement paternel de souverains patriotes et intelligents, le Portugal réalisa d'immenses progrès.

Saldanha et Costa Cabral. Les années qui suivirent la révolution de 1847 furent remplies par la lutte du maréchal Saldanha et de Costa Cabral. « Homme sans idées, les partis et les programmes n'étaient pour Saldanha que des occasions, rien de plus, et comme les partis et les programmes naissaient, croissaient et se défaisaient constamment, le maréchal, à la fin

de sa vie, comptait presque autant d'opinions successives que d'années. >> Costa Cabral, dur et autoritaire, avait pour lui l'habitude des affaires et la pratique du gouvernement. Pendant deux ans (1847-49) Saldanha réussit à le tenir en échec, puis en 1849 Costa Cabral l'emporta à son tour. En habile politique, il essaya de retenir le vieux soldat et de l'enchaîner à sa cause, mais l'amour-propre parla plus haut chez Saldanha que l'intérêt, il refusa toute proposition d'accommodement et passa à l'opposition. Il mit deux ans à préparer ses batteries, il gagna la confiance des hommes les plus distingués du pays, Ferrer, Soure, Pestana, Herculano, il se fit libéral, pour mieux duper les libéraux, qui espéraient trouver en lui un chef de parade et gouverner sous son nom en le flattant et en le payant bien. Le 17 avril 1851, il souleva Porto avec l'aide d'un riche manufacturier progressiste, Victorino Damasio. La cour ne fit aucune résistance, et, le 15 mai, Saldanha triomphant entrait à Lisbonne au milieu d'une population enthousiaste qui saluait en lui le régénérateur du pays.

La régénération. La coalition qui avait porté Saldanha au pouvoir était surtout un syndicat de financiers et de gens d'affaires. Saldanha servit d'enseigne à la maison, mais au lieu de la régénération morale que demandait le candide Herculano, ce fut le progrès matériel que décrétèrent Rodrigo, le pontife, et Fontes, le diacre du nouveau culte. La régénération portugaise ne fut en somme que le règne du capital. Fontes résumait l'esprit du nouveau système en disant « qu'il répondrait du salut du pays s'il était possible de faire une loi qui obligeât tous les Portugais à voyager trois mois par an ».

Don Pedro V. La mort de la reine Doña Maria (15 nov. 1853) donna la couronne à D. Pedro V, jeune prince de seize ans, qui régna d'abord sous la tutelle de son père D. Fernando de Saxe. Le régent était un prince instruit, de goûts artistiques et d'esprit très moderne, qui se prètait en philosophe à tous les changements à vue de la politique portugaise. Il avait confié son fils à l'historien Herculano, et pour compléter son instruction il le fit voyager en France, en Angleterre, en Suisse, en Belgique et en Italie. Déclaré majeur en 1855, D. Pedro

apporta à son pays une intelligence cultivée et un vif amour du bien public, mais son savoir l'avait fait trop supérieur à son peuple, et ses voyages le firent étranger, en lui révélant les misères de la société portugaise. Sa complexion délicate, son penchant naturel au mysticisme le portèrent à croire à sa fin prochaine. Il sembla plutôt assister à son règne que vraiment régner. Il vit succéder le parti historique au parti régénérateur, il vit tomber Saldanha (1856) et passer au pouvoir après lui le duc de Loulé, grand seigneur de naissance, mari d'une infante, chef des révolutionnaires et franc-maçon, portant dans la révolution ses grandes façons et son impassible sérénité de fidalgue du vieux temps, le duc d'Avila, — le régénérateur Terceira. Il n'aima et n'estima vraiment que Loulé. Il s'attira une immense popularité par le courage dont il fit preuve dans les épidémies de choléra et de fièvre jaune qui désolèrent Lisbonne. Sa femme, la belle et bonne Stéphanie de Hohenzollern-Sigmaringen, fut bientôt aussi populaire que lui. Mais la mort prématurée de la jeune reine augmenta encore la mélancolie du roi. Il se vit accuser de cléricalisme parce qu'il avait introduit les Sœurs de charité en Portugal; il ne se sentit pas l'énergie nécessaire pour se mettre résolument à la tête du gouvernement, comme son peuple l'y conviait, et il mourut le 11 nov. 1861, regretté de tous ses sujets, qui un moment crurent à un crime et se répandirent dans les rues de Lisbonne en poussant des cris de mort et de vengeance.

Don Luiz I. - D. Luiz, duc de Porto, succéda à son frère D. Pedro, et s'entoura d'hommes nouveaux comme Cazal, Serpa, Martens, Sampaio, qui donnèrent à la politique portugaise une tournure progressiste marquée. Mal vues des libéraux et du clergé portugais, les Sœurs de charité furent expulsées du Portugal. Le roi épousa une fille de VictorEmmanuel.

Les intérêts industriels et commerciaux furent l'objet de la constante sollicitude du roi et des ministres. L'année même où fut inaugurée la ligne de Badajoz à Lisbonne, les passeports furent abolis dans l'intérieur du royaume pour les nationaux et les étrangers. En 1866, une Exposition universelle fut ouverte à

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