Page images
PDF
EPUB

Avènement du grand ministère Gladstone. Les électeurs appelés à la vie politique par les conservateurs donnèrent raison aux libéraux. Pas tous cependant, ni partout, car Disraeli avait réussi à fonder le torysme démocratique, appelé à grandir plus tard. On remarque dès lors les progrès des conservateurs dans les centres industriels du Lancashire, où naguère les classes moyennes élisaient toujours des whigs. Gladstone en personne y fut battu; les électeurs de Greenwich le recueillirent. L'ensemble du Royaume-Uni lui donna une belle majorité de 120 voix. On pensait généralement qu'après la seconde réforme comme après la première, il fallait une série de lois libérales, et que l'état-major libéral devait en avoir l'honneur comme la responsabilité.

Sans attendre une secousse parlementaire inutile, Disraëli laissa le pouvoir à Gladstone et à son lieutenant Forster (décembre 1868). Bright acceptait le portefeuille du Commerce. Lord Clarendon, le duc d'Argyll, Layard, le chancelier Hatherley étaient après eux les membres principaux de ce cabinet remarquable, qui promettait beaucoup, qui tint plus encore.

Lois irlandaises (1869-1870). — Il fallait d'abord régler la question ecclésiastique, laissée en suspens. Le gouvernement ne proposa point de supprimer brusquement l'Église « établie » d'Irlande en confisquant ses biens, mais de la « désétablir », de lui enlever son privilège officiel, de la mettre sur le même pied. que l'Église presbytérienne et que l'Église catholique romaine, celle de la majorité. La loi lui laissait une grande partie de ses biens et tous ses bâtiments; elle se servait du reste pour aider les deux autres Églises, pour soutenir des œuvres d'assistance publique et pour payer des indemnités aux titulaires de certains droits. Ce projet subit des assauts énergiques dans les deux Chambres, où l'opposition le qualifia de spoliateur. Si les anglicans résolus défendaient si vivement « l'arbre exotique, entretenu à grands frais et pourtant stérile », c'est qu'ils redoutaient que l'Église d'Angleterre ne suivit l'Église d'Irlande. « Vous abandonnez, s'écriait lord Derby, ce grand principe que l'Église d'Angleterre est l'Église établie du pays, ce principe vital de notre constitution. Vous faites un pas décisif vers l'égalité de

HISTOIRE GÉNÉRALE. XI.

26

toutes les sectes. » On crayonnait le clergyman d'une île et le clergyman de l'autre île en frères siamois : le chirurgien Gladstone se prépare à les séparer avec son couteau, et rassure l'inquiet John Bull sur les suites de l'opération. Rassurée ou non, la Chambre des lords après la Chambre des communes se décida à la permettre, non sans un dernier effort de lord Derby mourant, en faveur des protestants d'Irlande « qui sont attachés comme vous à la foi protestante, qui pour cette foi ont versé leur sang sous Guillaume le Libérateur, ces hommes que vous avez appelés à coloniser l'Irlande, et qui ont changé en province florissante le désert de l'Ulster ».

Par un second acte de justice, Gladstone voulut apaiser les griefs économiques des Irlandais. Il fit voter le Land Act de

1870'.

[ocr errors]

Loi sur l'Instruction publique. Un adversaire de la réforme électorale avait dit en la voyant adoptée : « Voilà les travailleurs, les petites gens, c'est-à-dire la majorité, appelés à la vie politique; le moins que nous puissions faire maintenant, c'est d'instruire notre nouveau maître. » Pénétré de cette pensée, le ministre Forster déposa, le 17 février 1870, un projet destiné à assurer la présence à l'école des enfants de cinq à douze ans. Le gouvernement déléguait ses pouvoirs à de nombreux school boards, locaux et électifs. Les parents pouvaient envoyer leurs enfants, soit aux board schools, où s'appliquait le principe de la neutralité religieuse de l'État, soit aux écoles libres, voluntary schools, en général confessionnelles, pourvu que l'inspection de l'État reconnùt leur salubrité et leur bon enseignement. Les conseils pouvaient réclamer l'absolue gratuité dans les localités pauvres; mais autant que possible un certain écolage devait pourvoir aux dépenses concurremment avec les taxes locales et avec la subvention de l'État, laquelle

s'accordait aussi aux écoles libres.

Les non-conformistes n'admettaient, pour les écoles publiques, que l'absolue laïcité, les Églises, suivant eux, devant donner l'instruction religieuse à laquelle ils tenaient autant

1. Voir ci-dessous, t. XII, chap. Angleterre.

que personne. Or la majorité anglicane n'aurait jamais voté ce plan radical. On imagina donc un moyen terme la lecture de la Bible par l'instituteur, et l'enseignement dogmatique donné par le ministre du culte dans l'école, mais en dehors des heures de classe. L'Education Act a ouvert la porte à de longues querelles, non sans réaliser un immense et incontestable progrès.

Les grades dans l'armée (1871). Jusqu'alors l'officier, en se retirant de son régiment, cédait son grade à l'un de ceux qui venaient immédiatement après lui, comme chez nous une charge de notaire, et également à prix d'argent il l'avait du reste acquis de cette façon, et rentrait dans ses débours avec la plus forte plus-value possible. Ce système entretenait l'esprit aristocratique, ou pour mieux dire ploutocratique dans l'armée anglaise, et décourageait l'officier pauvre. Le ministre de la Guerre Cardwell proposa la suppression de cette pratique et le libre accès des grades sans autre condition que la capacité. Le budget supporterait la dépense des indemnités légitimement réclamées par les titulaires. Difficilement acceptée par les Communes, la réforme échoua devant la Chambre des Lords.

Gladstone prit alors un parti fort grave, celui de se passer du Parlement. La couronne, disait-il, avait réglementé la matière sans faire voter de loi par les Chambres; elle pouvait donc défaire son propre ouvrage. Le premier ministre obtint de la reine cet exercice imprévu de la prérogative royale.

Le scrutin secret (1872). Un autre abus, bien pittoresque, bien national, c'était la publicité du suffrage. Il était impossible de conserver cette mise en scène depuis qu'une série de réformes -on en prévoyait une troisième et prochaine conféraient le suffrage à des milliers d'électeurs dépendants. Plaisanterie amère de faire un ouvrier électeur pour qu'au lendemain de son vote public son patron, du parti contraire, lui retranche son gagne-pain! L'historien Grote combattait depuis longtemps cette vieille pratique avec un acharnement digne de Wilberforce.

Le Ballot Act institua le scrutin secret, l'entourant d'un luxe de précautions pour qu'il fût vraiment secret. On adopta le

système imaginé par la colonie démocratique de Victoria, en Australie. Un bulletin commun, imprimé par le bureau électoral, contient les noms des divers candidals. L'électeur reçoit un exemplaire de ce bulletin et marque au crayon, dans un local où personne ne peut le voir, le nom ou les noms de son choix. Tous les efforts contre cette loi importante échouèrent dans les deux Chambres. Le grand ministère libéral avait en peu de temps démocratisé l'école, l'armée, les élections.

BIBLIOGRAPHIE

Aux recueils et ouvrages indiqués dans les volumes précédents, ajouter : 1o Sur Disraëli et Gladstone, les publications de Kebbel, historien tory: Selected speeches of lord Beaconsfield, Londres, 1882, 2 vol. History of toryism, Londres, 1886. - Life of lord Beaconsfield, 1888. Froude, Lord Beaconsfied (dans la série des Prime ministers of Queen Victoria). — CuchevalClarigny, Lord Beaconsfield et son temps, 1879. Une bibliographie complète sur Gladstone se trouve dans Marie Dronsart, William-Ewart Gladstone, Paris, 1893.

[ocr errors]

20 Sur les autres hommes d'État Kebbel, Life of the earl of Derby, Londres, 1890. Barnett Smith, The life and speeches of John Bright, Londres, 1881, 2 vol. Ashley, Life of viscount Palmerston, Londres, 1876, 2 vol., résumé par Laugel (Rev. des Deux Mondes, 15 août 1876). Trevelyan, Life of Macaulay, et Reid, Life of Forster. Lord Malmesbury, Mémoires d'un ancien ministre, trad. franç., 1885.

3 Sur les questions ouvrières : Sidney Webb et Beatrice Webb, The history of Trade Unionism, Londres, 1894, trad. franç., Histoire du Trade Unionisme, 1897. Hodder, Biographie de lord Ashley, comte de Shaftesbury, trad. franç., 1890.

4o Sur les institutions outre les ouvrages déjà cités ci-dessus (t. X), A. Todd, On parliamentary government in England, Londres, 1887 (2e éd.), 2 vol. Ward (avec de nombreux collaborateurs très compétents), The reign of Queen Victoria, 1887, 2 vol.

CHAPITRE XI

LES ROYAUMES DE BELGIQUE

ET DES PAYS-BAS

De 1848 à 1870.

Après 1839, les deux royaumes de Belgique et des Pays-Bas sont définitivement séparés. Aux Pays-Bas la période des guerres et des négociations est terminée; l'histoire intérieure devient seule intéressante. Elle est dominée dans les deux royaumes par l'avènement des partis libéraux.

1.

Le Royaume de Belgique.

Les libéraux prennent le pouvoir. - Les élections générales du 8 juin 1847 firent entrer à la Chambre une majorité de libéraux et décidèrent le roi à prendre un ministère complètement libéral, présidé par Charles Rogier'. C'était une innovation; l'habitude depuis 1830 avait été de prendre les ministres à la fois dans les deux partis, et la grande majorité des représentants était favorable à cette pratique appelée la « politique d'union ». L'union fut menacée en 1842, quand les Chambres belges adoptèrent à l'unanimité moins trois voix une loi qui déclarait l'enseignement religieux obligatoire dans l'école primaire et le confiait à l'Église les libéraux, mécontents de la nouvelle loi, s'organisèrent pour conquérir la majorité des élec

4. Voir ci-dessus, t. X, p. 366.

« PreviousContinue »